A qui profite la guerre froide ?
La diabolisation des forces en présence, si elle représente une dynamique de fond, masque partiellement les enjeux économiques. Ces derniers ne se limitent pas qu’à l’Ukraine, car la Russie est le premier fournisseur énergétique de l’Europe mais aussi un partenaire privilégié de l’Allemagne sur le plan commercial. Les impacts d’une tension des relations et d’une réduction des échanges profiteraient à d’autres.
L'Allemagne représente quasiment un tiers des exportations de l’UE28 vers la Russie et près d’un cinquième des importations. Ce simple constat statistique permet d’expliquer la proactivité d’Angela Merkel afin de dénouer la crise actuelle. Mais alors qu’un site polonais estime que l’Allemagne a pour ambition de faire plier Vladimir Poutine, j’en doute car la vie spirituelle renaissante en Russie y joue un rôle non négligeable contrairement à une Europe matérialiste. Si l’Allemagne exporte massivement, la Russie peut trouver des fournisseurs de remplacement ou faire à la place de. La Russie a déjà développé considérablement ses échanges avec la Chine et l’Inde, cette tendance peut s’amplifier.
Inversement, l’Europe peut-elle se passer si aisément de la Russie en tant que principal fournisseur énergétique, très loin devant ses concurrents ? Ci-dessous un tableau récapitulatif de la première décennie 2000 :
- Classement des fournisseurs de l’Europe en pourcentage
Vous remarquerez la coïncidence qu’il peut y avoir entre les tensions géopolitiques actuelles et la relance du débat sur le gaz de schiste. Mais le traité transatlantique représente un autre versant dévoilant ceux qui ont réellement intérêt à l’intensification de la guerre froide : les Etats-Unis. La démarche d’Angela Merkel relèverait plutôt d’un sursaut d’orgueil afin de ne pas plier intégralement devant Obama.
Il y a un siècle, les alliances se nouaient sur le plan politique, les guerres étaient principalement militaires. Aujourd’hui, les alliances se concrétisent par le biais d’accords commerciaux illustrant à quel point l’économie occupe le devant la scène, aussi bien sur le plan des relations internationales que sur le plan intérieur. Alors que l’OMC est censée cadrer les échanges commerciaux dans le monde, on voit fleurir, majoritairement à l’initiative des Etats-Unis, une liste de traités court-circuitant l’organisation internationale et révélant les alliances économiques dans une guerre qu’Edward Snowden a définitivement dévoilée au grand public.
S’il y a bien un pays qui tirerait profit d’une diminution des échanges entre l’Europe et la Russie, ce sont les Etats-Unis, désespérément en recherche de croissance pour conserver leur leadership et ne pas déposer le bilan. Les étasuniens pourraient augmenter à la faveur de la guerre froide leurs échanges avec l’Europe, vendre ce gaz de schiste en surproduction et dont la bulle finirait tôt ou tard par exploser. En écoulant plus facilement à l’export, cela permettrait à la bulle de dégonfler sans que ne s’écroulent les entreprises américaines et qu’un effet boule de neige entraîne l’économie mondiale déjà bien fébrile dans une tourmente que personne n’ose envisager.
Ce calcul stratégique permettrait aux américains de tirer leur épingle du jeu temporairement, mais encore faut-il qu’une autre bulle n’explose pas ailleurs. Or, les alliances économiques en construction n’éviteront pas la concurrence des pays à bas salaire. En Occident, le besoin en compétitivité ne peut que continuer à croître et la croissance à s’affaisser. La mécanisation de la production et l’industrialisation du développement informatique, censés apporter une solution indolore à cette guerre économique, ne génèrent pas suffisamment de croissance, mais plutôt un chômage représentant un coût supplémentaire pour les pays développés. Il s’agit d’une tendance de fond.
L’imaginaire collectif croit (en relisant Simone Weil, vous constaterez que cette croyance ne date pas d’hier) que les machines remplaceront l’homme par magie, un homme qui ne saurait d’ailleurs pas quoi faire de ses journées dans ce cas. Cette foi constitue un autre leurre, complémentaire de celui de la guerre froide, projection réelle d’une guerre que l’homme aurait bien voulu éviter mais à laquelle il ne pourra être que confronté prochainement en percutant le mur.
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