Guerroyer ou économiser ? La question du budget de l’armée pourrait se résumer à ce choix cornélien. A fortiori en ces temps de crise économique, laquelle se mue rapidement en crise des finances publiques pour la France (qui, de toute façon, est perpétuellement en crise de finances publiques), investir dans l’armée se révèle compliqué. Ardu techniquement d’abord : où trouver l’argent ? Ardu politiquement ensuite : financer d’hypothétiques guerres alors que le pays fait face à un chômage bien certain, lui ?
La question du financement de l’armée depuis 1945 et la fin de la seconde guerre mondiale, et a fortiori depuis 1991 et la fin de la guerre froide, est récurrente. Elle va croissant. Des convaincus pacifistes s’illustrent régulièrement en demandant une importante baisse des financements militaires, voire une suppression pure et simple de ceux-ci. Après tout, se disent-ils, l’Allemagne est maintenant la meilleure amie de la France, l’Occident est uni, les Etats-Unis protègent tous ceux qui se disent dans leur camp et la dissuasion nucléaire est toujours effective… Autant d’argument qui prouvent qu’une armée nationale est devenue obsolète, arriérée, inutile.
Sacrifier l’armée sur l’autel des finances serait en réalité une erreur gravissime. Même diminuer sensiblement son budget constituerait un faux pas qui pourrait se révéler, à terme, fatal. Il est évidemment tentant de ponctionner tout ou partie du budget de l’armée (qui représente peu ou prou 2.5 % du PIB en France soit grosso modo 45 milliards d’euros) pour, par un jeu de vase communiquant, le transférer à d’autres ministères.
Oui, le RSA nécessite 1.5 milliards d’euros par an, et par conséquent l’on pourrait distribuer un RSA 30 fois supérieur sans l’armée. Oui, l’on pourrait massivement investir dans la recherche universitaire, effectivement parent pauvre de la recherche française. Oui, l’on pourrait restaurer et construire de nouvelles facs. Acheter de nouveaux trains de banlieues, accroître le périmètre de la sécurité sociale, etc. Ah, si l’argent était facile !
Le budget de l’armée doit, à mon avis, rester une donnée intangible, même en temps de crise, et peut-être surtout en temps de crise. Loin de moi l’idée de me faire Cassandre et de supputer une nouvelle guerre mondiale. Mais si le principe de précaution doit être effectif sur un seul sujet, ce doit sur l’éventualité d’une guerre. Les guerres parsèment dramatiquement l’histoire de l’humanité. C’est déplaisant, mais c’est ainsi. Rien ne serait plus dangereux que de rêver un monde et de façonner nos politiques en conséquence.
Avant de penser RSA, Sécurité sociale, université, transports… autant de problèmes fondamentaux, loin de moi l’idée de le nier, il faut penser avant tout indépendance. Sans indépendance, rien n’est possible. Et cette indépendance, - faut-il le rappeler ? – a été très, très chèrement acquise, et ne peut être protégée que militairement. Sauf à créer une véritable Union européenne fédérale, qui aurait son armée. Mais cela ne ferait que transférer vers Bruxelles les financements, certes alors plus partagés, puisque l’essentiel des budgets de défense européens sont aujourd’hui assumés par la France et l’Angleterre.
Que ce soit, donc, au niveau national, continental ou fédéral, une armée propre à l’entité en question (une nation, une union type UE, un continent fédéralisé) se doit d’exister. Il n’est qu’à regarder un an, un seul, en arrière pour constater qu’un pays (en l’occurrence la Géorgie) qui a confié peu ou prou sa sécurité au « parapluie militaire américain », même s’il a une armée propre, se retrouve le bec dans l’eau à la moindre anicroche. La Géorgie est aujourd’hui amputée de deux larges pans de son territoire.
La protection militaire par un pays ami est une fiction, une illusion de politiques trop heureux d’économiser quelques sous. Loin d’armer jusqu’aux dents tous les Etats du monde, il faut au moins que ceux-ci ne tombent pas dans un égarement épris de naïveté en confiant les clés de leur sécurité à un voisin. Car si les petites économies aboutissent aux grandes rivières, ce type de thésaurisation inconséquente aboutit toujours, tôt ou tard, à un désastre.