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Accueil du site > Tribune Libre > A quoi sert le populisme ?

A quoi sert le populisme ?

Quand les élites ne veulent plus être des élites...

A l’heure du succès électoral du Vlaams Belang aux élections municipales en Belgique, de la révolte manifestante contre la morgue du Premier ministre milliardaire bobo de Hongrie, de la crise burlesque intervenue au sein de la coalition fraternelle des Dupont-Dupond en Pologne, de la surenchère médiatico-démagogique liée à la présidentielle en France, un mot revient sans cesse : populisme. Partout, le populisme serait à l’œuvre, sapant les bases de notre démocratie.

Dans les médias, le populisme résonne comme l’anathème suprême dans la bouche des imprécateurs, des sombres prophètes et des oracles des malheurs à venir, qui sont nombreux. Bien souvent, l’anathème se fait menace : gare au populisme ! Le populisme, c’est alors un outil très efficace d’autocensure médiatique. Qui veut, de nos jours, être taxé de populisme ? Le populisme, c’est aussi un avertissement lancé au troupeau électoral : ne vous éloignez pas trop de vos bergers (vrais démocrates) ou vous serez dévorés par les loups (populistes) qui vous guettent ! Avertissement lancé, aussi, à certains bergers dont on pourrait penser qu’ils ont de trop grandes dents pour être de simples bergers...

Si notre monde était rationnel, le populisme pourrait être défini comme le mésusage démagogique de la démocratie. La démocratie contre elle-même. Pour séduire un troupeau atomisé, égaré, abusé, le populisme serait le fait de certains politiques faisant la promotion de solutions simplistes là où tout est compliqué, faisant primer l’émotionnel sur le rationnel, se faisant le relais de la bofitude... En cela, le populisme serait opposable à l’élitisme, qui serait le seul garant du bon usage de la démocratie. "Je ne conçois guère de démocratie sans une forte aristocratie", écrivait l’excellente Madame de Boigne dans ses mémoires, au lendemain de la révolution de 1848. En France, terre de l’élitisme s’il en est, l’abolition définitive de la monarchie en 1875 eut pour résultat l’édification d’une nouvelle noblesse républicaine. Nous avons bien des raisons d’être fiers de notre aristocratie des concours, de notre méritocratie des grandes écoles que "l’égalité des chances" transforme malheureusement chaque jour un peu plus en une petite caste vouée à l’endogamie et au radotage. C’est bien l’élitisme, c’est-à-dire le primat de l’opinion d’une élite cultivée, bien éduquée, éclairée, dotée d’un certain sens du bien public et des responsabilités, en d’autres termes, la primauté d’une véritable noblesse composée d’hommes et de femmes supérieurs conscients des obligations liées à cette supériorité qui, en France, a permis, par exemple, de remporter la bataille pour l’abolition de la peine de mort. Pour résumer : si l’élitisme, c’est bien, le populisme, c’est mal ; et inversement.

Mais notre monde n’est pas rationnel. Tout comme il est inconvenant d’évoquer les bienfaits des aristocraties, il est malséant, que dis-je, malsain, nauséabond, et même révoltant, de parler aujourd’hui, nous sommes en 2006, d’un élitisme nécessaire. Tout n’est désormais que proximité, local, sur le terrain, concret et proche des gens. "Politique ukrainienne de la France ? Parlons plutôt du menu des cantines !"... Cette logorrhée se décline partout en Europe, la palme de la médiocrité politique revenant sans aucun doute aux pays scandinaves.

Alors, si l’élitisme est banni, pourquoi sans cesse parler de dérive populiste ? Les élites sont tellement "en phase" et "à l’écoute" qu’on ne voit pas vraiment pourquoi le peuple les rejetterait ! Si l’élitisme est mort, d’où peut bien venir la dérive populiste ? Comment le populisme peut-il saper la démocratie quand il n’a plus de raison d’exister ?

C’est qu’il y a peuple et peuple. Il y a le peuple "vu à la télé", et le peuple qui la regarde. Comme il y a "l’opinion publique" et le public sans opinion. Comme il y a la "société civile" et la société qui supporte les incivilités. Le peuple en images et le peuple de chair et de sang n’ont plus guère de points communs. Qu’importe ! Le peuple, ça n’existe pas, nous explique l’historien Pierre Rosanvallon. Tout cela n’est que représentation, symbole, concept. Certes. Mais il y a tout de même des gens qui respirent, une population qui se déplace, une société qui fonctionne, des individus qui se croisent et se parlent, comment on appelle ça ? On parlait jadis d’un "pays légal" coupé du "pays réel" : il faudrait aujourd’hui parler d’un "pays virtuel" coupé du "pays réel".

La bofitude était jadis gouailleuse, boutiquière et populacière : elle est désormais "langue de bois" et "people". Et ce sont les élites qui en donnent désormais le la. Car les élites ne veulent plus être des élites. Elles ne veulent plus être nobles, elles ne veulent plus être supérieures, elles veulent parler et jurer comme tout le monde. Et elles parlent et jurent comme tout le monde. Ecoutez Gyurcsany, écoutez les frères Kaczynski, écoutez Blair ou son nouveau clone conservateur, écoutez Borloo... Les élites veulent avoir l’air jeune, et aussi avoir du fric : mais n’est-ce pas le rêve de tout le monde ? Les élites ne veulent plus guider le peuple. Elles veulent jouir sans entraves. Que le peuple se démerde ! C’est, en des termes simples, que certains ne manqueront pas de qualifier de populistes, l’analyse faite par le sociologue américain Christopher Lasch dans son livre La révolte des élites (Editions Climats, 1996).

Que signifie alors cette menace populiste brandie ad libitum comme le péril suprême ? Le populisme, c’est tout simplement quand on ne partage pas l’avis prescrit par les élites, qui sont tellement "en phase" avec le peuple qu’elles connaissent mieux que lui ses besoins... Les élites sont d’ailleurs bien plus démocrates que le peuple, crypto-fasciste, et qui réclame des chefs modèles et renaclent devant la modernité post-politique de l’Europe... Les élites n’assument plus leur élitisme, pourtant nécessaire. La vérité, c’est que les élites sont aujourd’hui presque toutes populistes - c’est celui qui le dit qui l’est ! - et que le peuple a la nostalgie des élites élitistes... Quel monde compliqué nous vivons !


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18 réactions à cet article    


  • DEALBATA (---.---.166.140) 11 octobre 2006 12:14

    Seules les élites spirituelles sont légitimes car leurs origines se trouvent dans une source ésotérique et donc métaphysique, elles établissent ainsi le lien entre le Principe Divin et sa manifestation. Les autres autorités ou connaissances ne sont que parodies, forfaitures et impostures.


    • Rantanplan (---.---.4.88) 11 octobre 2006 12:23

      T’as raison:vite le règne des ayatollas de tous poils !


    • Stravos (---.---.132.162) 11 octobre 2006 17:16

      Vous avez raison : elles sont aussi légitimes que les nuages...


    • La Taverne des Poètes 11 octobre 2006 12:15

      Alors soyons tireurs d’élites !  smiley

      Il faut former des élites citoyennes pour une chambre de représentants de la société civile, un peu sur le modèle du Conseil économique et social.


      • olivier (---.---.129.79) 11 octobre 2006 20:37

        le conseil economique et social c’est la ou on recase les anciens ministres histoire d’avoir un pretexte pour leur verser une rente ? enfin en clair 3000 euros par mois par tete et pour rien ... c’est ca ?


      • Notre Crépuscule 11 octobre 2006 13:23

        Bonjour,

        Merci pour cet article qui lutte efficacement contre les mots qui se tirent la langue, et plus généralement contre l’entropie du monde. Est-ce que vous connaissez le sentiment de tristesse qui étreint doucement le coeur lorsqu’on parle de quelque chose d’irrémédiablement révolu ? C’est ce sentiment qui me poursuit lorsque l’on me parle de démocratie en 2006...

        Salutations.


        • gem gem 11 octobre 2006 14:27

          le titre ne donne pas très envie, le chapeau guère plus, mais le contenu est interressant.


          • Céline Ertalif Céline Ertalif 12 octobre 2006 01:00

            Je partage cet avis, l’article est intéressant. Il n’est pas abouti, et ce n’est pas satisfaisant... mais justement la vérité d’une analyse est parfois dans ce genre de suspent.


          • Internaute (---.---.249.70) 11 octobre 2006 15:07

            Le libéral fait le bonheur du peuple contre lui.

            Le socialiste fait le bonheur du peuple malgré lui.

            Le populiste fait le bonheur du peuple avec lui.


            • Jojo2 (---.---.158.64) 11 octobre 2006 16:25

              Entre parler et jurer comme tout le monde et expédier les problèmes avec des solutions café du commerce, il y a un pas.


              • Stravos (---.---.132.162) 11 octobre 2006 17:14

                Question impertinente : Aggoravox est-il un site populiste ?


                • Marsupilami (---.---.222.34) 11 octobre 2006 17:54

                  @ Stavros

                  Ben non. Vue la qualité intellectuelle et culturelle de la plupart des commentaires, il est clair que c’est un site hautement élitiste...


                • Rantanplan (---.---.4.88) 11 octobre 2006 21:19

                  Aux participants d’agoravox:je m’excuse d’intervenir par le biais de ce site,sur un scandale:il y a un article /débat mené par Annie Battle « féministe » qui s’est permis de censurer quantité de commentaires, de mon point de vue parfaitement injustifiés.Actuellement le site n’est pas joignable,donc impossible d’essayer de comprendre:ou Agovox est une forme de journalisme alternatif qui accepte la contradiction et le débat ou c’est une pure manipulation nettique,qui ressemble aux autres médias:la parole d’en haut et le courrier des lecteurs soigneusement sélectionné..Je suis trés déçu et trés anxieux . J’attends des réponses sérieuses de l’équipe d’Avox. Et j’espère que chacun demandera des éclaircissements.


                  • (---.---.117.27) 11 octobre 2006 21:40

                    Est-ce vrai que les auteurs peuvent se permettre de censurer des commentaires ?

                    On n’est tout de même pas chez Franco ou chez Pinochet...


                  • Internaute (---.---.240.15) 12 octobre 2006 07:58

                    Si ce que vous dites est vrai, on imagine ce qui nous attend quand la parité sera atteinte dans tous les domaines smiley


                  • ergo-sum ergo-sum 12 octobre 2006 09:37

                    Si tout le monde assumait ses responsabilités, et si on donnait les moyens à tout le monde de le faire, aurait-on besoin d’une élite, quelle qu’elle soit ? Je ne sais pas si les taoistes étaient élitistes ou populistes, mais leur point de vue était que pour « guider le peuple », il fallait se mettre « derrière lui » et pas devant. Quand on fait confiance aux gens et qu’on leur laisse la possibilité d’agir, parfois on peut s’apercevoir qu’ils ne sont pas si cons que ça. L’élitisme - ou le populisme - reviennent à la confiscation du pouvoir par une oligarchie, qu’elle soit « populaire » ou « spirituelle ». Ce ne sont que des moyens différents pour parvenir à une fin bien semblable.


                    • Emile Red Emile Red 12 octobre 2006 13:29

                      La question devrait être :

                      Les élites peuvent-elles ne pas être populistes ?

                      La réponse est dans les budgets de l’éducation nationale et de la culture.

                      A force de vouloir abrutir le peuple on en arrive à ce que les élites s’abrutissent elles-même afin d’être en phase.

                      Le résultat étant que l’élite étant élite fait toujours mieux que le peuple en le dépassant dans son ignardise.


                      • (---.---.79.247) 12 octobre 2006 17:04

                        Le lancement médiatique et l’utilisation du terme populisme, vise à instiller dans les esprit un nouveau racisme bien pratique pour ses sponsors : le racisme anti-peuple.

                        La boucle est bouclée, l’idéal démcratique est mort et enterré, et on est revenu au temps de la « canaille » qui fustigeaient dédaigneusement les marquis (et Voltaire)

                        bon, maintenant abolissez les « Déclarations des Droits de l’Homme », concept populiste par excellence.

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