À Rome, fais comme les Romains
La phrase bien connue « À Rome, fais comme les Romains » est souvent utilisée dans les discussions politiques pour justifier une vision assimilationniste, soutenant que les étrangers doivent adopter les pratiques locales pour se conformer aux normes culturelles du pays d’accueil. Pourtant, cette interprétation contemporaine s’éloigne profondément de la situation originelle. En réalité, la source de cette citation, dont peu connaissent l’auteur ou le contexte, s’inscrit dans un cadre social et religieux bien différent des débats actuels sur l’assimilation et l’intégration culturelle.
En effet, cette idée puise ses racines dans les écrits du génial saint Ambroise de Milan, Père et Docteur de l’Église. Dans une lettre adressée à saint Augustin, Ambroise répondait à une question portant sur les différences de pratiques religieuses entre les communautés chrétiennes. Augustin s'interrogeait sur la conduite à adopter car les chrétiens de Rome respectaient le repos hebdomadaire et jeûnaient le samedi tandis qu'à Milan ils jeûnaient le dimanche. Cette différence de vingt-quatre heures troubla énormément Monique, sa sainte mère.
Augustin écrivit alors à Ambroise pour lui demander conseil. Ambroise exprima très clairement son avis : « Quand je suis à Rome, je jeûne le samedi ; quand je suis ici, je ne jeûne pas ce jour-là. Faites de même ; suivez l'usage de l’Église où vous vous trouvez, si vous ne voulez pas scandaliser ni être scandalisé ». Lorsque saint Augustin rapporta à sa maman cette réponse, elle se plia sans aucune difficulté aux pratiques romaines. Augustin précisa : « Depuis ce temps, j'ai souvent repassé cette règle de conduite, et je m'y suis toujours attaché comme si je l'avais reçue d'un oracle du ciel ».
En définitive, « À Rome, fais comme les Romains » est attribuée à saint Ambroise sur la base de sa réponse à Augustin citée plus haut. Toutefois, il s'agit d'un résumé simplifié qui ne permet pas de saisir la pensée profonde et nuancée du saint patron des apiculteurs. Cette digne recommandation d’Ambroise, rapportée pieusement par Augustin, fut en réalité une exhortation à respecter les usages locaux pour éviter les conflits, les scandales ou les malentendus, particulièrement dans le cadre des pratiques religieuses.
Au fil du temps, cette pensée ambrosienne a malheureusement été détournée de son sens premier. Dans les controverses contemporaines, elle est employée comme un argument d’autorité pour promouvoir l’assimilation. Néanmoins, chaque fois qu’elle est brandie comme une arme de persuasion, saint Ambroise passe aux oubliettes. Et pour cause ! Nommer le créateur de cette pensée reviendrait à limiter la portée de l’argument, car son origine pastorale s’oppose à l’usage politique et généralisé que certains en font aujourd’hui. En d’autres termes « À Rome, fais comme les Romains » devient l’argument politique, un peu simpliste, de ceux qui désirent l’assimilation des étrangers voulant vivre en France. Cette interprétation déformée de la proposition initiale de saint Ambroise ne lui rend ni justice ni témoignage fidèle.
En réalité, l'emploi moderne de cette maxime met en avant deux erreurs manifestes. Il y a un oubli ou une méconnaissance du contexte religieux et social de l’époque : saint Ambroise ne cherchait pas à imposer une assimilation culturelle complète à deux fidèles chrétiens. Cela eut été idiot parce que Monique et Augustin étaient déjà des citoyens romains. Augustin et sa famille parlaient le latin tout en étant profondément intégrés à la culture romaine. Concrètement, Ambroise voulait surtout éviter les désagréments et les divisions dans l’Église en conseillant aux chrétiens d’appliquer les règles religieuses en vigueur dans telle ou telle ville.
De même, il s’agit également d’une extrapolation totalement anachronique : la phrase se voit intégrée à des questions politiques et sociales modernes, comme l'immigration ou l'identité nationale, sans tenir compte des différences fondamentales entre les enjeux de l’Antiquité tardive et les nôtres. L’assimilation, entendue comme l’exigence pour les étrangers d’abandonner leurs propres pratiques culturelles au profit de celles du pays d’accueil, dépasse totalement l’idée prônée par saint Ambroise.
Par ailleurs, une telle vision semble ignorer la richesse des échanges culturels qui ont façonné les grandes civilisations, dont Rome elle-même. La société romaine antique n’imposa pas une uniformité rigide à ses provinces ; au contraire, elle sut intégrer des coutumes, des dieux et des pratiques venus des peuples conquis ou soumis, dans une dynamique d’assimilation mutuelle. Par exemple, les historiens parlent bien de civilisation gallo-romaine. Dans le même ordre d’idées, certains activistes politiques évoquent l’Empire romain comme un « Empire métèque »…
En résumé, si certains politiques, chroniqueurs, éditorialistes, militants convoquent cette opinion patristique pour soutenir des positions contemporaines, ils se méprennent lourdement quant à la pertinence et la portée de leurs intentions. Ainsi, cette formule ne devrait pas être utilisée de manière détournée comme un argument en faveur de l’assimilation. Saint Ambroise n’entendait nullement répondre à des enjeux politiques et sociétaux qu’il ne connaissait pas. Sa formule montre toute la richesse de son approche spirituelle et théologique centrée sur l'unité dans la diversité, l’ensemble reposant sur une authentique charité fraternelle.
Pour finir, certaines personnalités politiques, avant de prôner l’assimilation des autres, gagneraient en crédibilité en s’assurant d’incarner elles-mêmes les principes qu’elles recommandent. Après tout, comme le rappelle l’adage populaire : « Charité bien ordonnée commence par soi-même »…
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