Après douze années à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Abdou Diouf tire sa révérence. Le géant sénégalais ne l’est pas que par la taille. L’empreinte qu’il laisse dans l’espace francophone mondiale est considérable. Durant ses trois mandats comme Secrétaire général de l’OIF, il se sera escrimé à redonner ses lettres de noblesse au français et à ceux qui le parlent, avec le succès que l’on sait : depuis 2002, plus de vingt pays ont rejoint le giron de l’OIF. Surtout, c’est à Abdou Diouf que l’on doit d’avoir su intéresser des millions de jeunes à la notion de Francophonie.
Abdou Diouf dans les pas de Léopold Sédar Senghor
Lorsqu’on lui demande quel souvenir elle conservera du passage d’Abdou Diouf à la tête de l’OIF, Anne-Michelle Ekedi, une Camerounaise présente à la Conférence internationale pour le dialogue des cultures et des civilisations de Fès (octobre 2013),
a ce mot : « Alors qu'il achevait une interview avec des journalistes, il a remarqué grâce à sa taille, mon regard admiratif dans un coin, il m'a fait signe de me rapprocher tout en me disant
"Tout ceci, c'est pour vous les jeunes....". » Le témoignage semble anecdotique, il résume au contraire toute l’action d’Abdou Diouf ces douze dernières années.
Formé à Dakar et Paris, Abdou Diouf s’inscrit dès son entrée en politique dans les pas de Léopold Sédar Senghor. En 1963, il devient directeur de cabinet de celui qui est alors président du Sénégal, continue son ascension auprès de son mentor, est nommé Premier ministre en 1970 et accède à la présidence en 1981, après la démission de Senghor.
L’héritage du premier président de la République du Sénégal est palpable chez Abdou Diouf. Ce dernier se considère comme son « fils spirituel », et il est vrai que les deux hommes ont beaucoup en commun : les fonctions politiques qu’ils ont occupées au Sénégal, bien sûr, mais également le rôle prépondérant qu’ils ont tous deux joué au sein de la Francophonie. Abdou Diouf en a été le Secrétaire général douze ans, Léopold Sédar Senghor est considéré comme l’un des pères fondateurs du concept même.
Profils similaires, donc, mais pas seulement. Diouf et Senghor partagent également une vision, au sein de laquelle la notion de modernité se taille la part du lion. Chacun sait ce que Senghor, Prince des poètes et académicien, a apporté à la littérature de langue française : un souffle, l’idée selon laquelle les traditions peuvent être fédérées malgré leurs différences. Personne n’ignore qu’il est à l’origine d’institutions démocratiques stables au Sénégal, et qu’il a passé sa vie à défendre des thèmes à l’époque novateurs, dénonçant par exemple la dégradation des termes de l’échange, prônant le dialogue des cultures et des civilisations, la diversité des expressions culturelles, le soft power, etc. Autant de motifs récurrents chez lui, et omniprésents de nos jours,
qui font dire à Abdou Diouf que
« Senghor n’a jamais été aussi actuel qu’aujourd’hui ».
Dans le cadre de son action à la tête de l’OIF, Abdou Diouf a largement puisé dans ce corpus théorique. Mais plus que d’emprunter des idées modernes à son illustre mentor, il lui a emprunté l’idée même de la modernité. Le principal héritage qu’il a reçu de Senghor se trouve là, et se reflète dans les priorités qui ont été les siennes au cours de ces douze années.
Un Secrétaire général connecté avec la jeunesse
Abdou Diouf l’a bien compris, pour assurer à la Francophonie un rayonnement maximal, cette dernière se devait d’entrer de plain-pied dans l’ère 2.0. Internet représente un formidable moyen d’atteindre et de sensibiliser de jeunes populations aux vertus de la Francophonie, mais aussi, potentiellement, un outil efficace grâce auquel ils peuvent assurer leur avenir.
Ainsi, sous son impulsion, plusieurs actions ont vu le jour. Début octobre se tenait par exemple à Montréal une conférence internationale sur l’avenir des médias francophones. L’événement revenait sur tous les efforts entrepris par la Francophonie pour renforcer son tissu médiatique en Afrique, notamment en ligne. La présence de pure players francophones est primordiale s’il l’on souhaite que les futures générations africaines, appelées à devenir ultra connectées, préfèrent la langue de Molière à d’autres.
Plus concrètement, l’OIF a mis sur pied un Réseau francophone de l’innovation, comprenant un volet numérique, et ayant pour vocation d’encourager jeunes inventeurs et entrepreneurs à concrétiser leurs ambitions dans un cadre linguistique francophone. Le renforcement de « l’entrepreneuriat des jeunes dans le numérique » fait d’ailleurs partie des objectifs assumés de l’OIF à l’horizon 2020. Dans le développement durable, l’OIF fait également rimer jeunesse et avenir, comme en témoigne
le 2e Forum international jeunesse et emplois verts, dont la seconde édition s’est tenue en juin dernier au Niger. Des jeunes qui sont aussi régulièrement sollicités par l'OIF dans le cadre de
programmes de volontariat. Enfin, preuve qu’Abdou Diouf a fait du dialogue avec la jeunesse l’une des lignes de force de ses mandats,
l’OIF a lancé un « portail de la jeunesse » en ligne, fourmillant d’informations et de suggestions de concours innovants.
Mais si Abdou Diouf, 79 ans, est tant apprécié de la jeunesse, c’est aussi qu’il comprend sa détresse. Lors de la cérémonie d’ouverture des VIIes Jeux de la Francophonie à Nice,
il lui adresse ces mots :
« Votre présence est une leçon ; votre nombre, un acte d’engagement. Et vous avez bien des raisons de vous indigner, face à la marche du monde, aux inégalités révoltantes, aux conflits meurtriers, aux atteintes récurrentes à la dignité de l’homme et à l’intégrité de la nature ; face à une crise économique à laquelle les jeunes payent le plus lourd tribu. Vous avez bien des raisons de vous indigner face à ce monde qui peine à combler les attentes du moment et à tenir les promesses d’avenir que sont en droit de revendiquer toutes les jeunes générations. En venant à Nice avec la francophonie pour citoyenneté, avec la langue française comme lien du cœur, vous avez fait le choix de délivrer à la jeunesse de tous les continents le message le plus fort, le plus constructif et le plus optimiste qui soit : celui de la culture contre l’obscurantisme, de l’art contre l’intolérance, du sport contre la violence. »
S’il ne devait rester qu’une seule trace du passage de Diouf à l’OIF, sans doute serait-elle là. L’homme est parvenu à dépoussiérer le concept de Francophonie sans jamais trahir l’esprit originel véhiculé par Senghor, pour la simple et bonne raison que ce dernier en appelait précisément à davantage de modernité. En remplissant les défis contemporains, Diouf a réussi à faire en sorte que la jeunesse ne se contente plus d’envisager la Francophonie comme une abstraction déconnectée de ses préoccupations, mais la vive, mais en soit fière. Charge désormais à Michaëlle Jean de prolonger ce mouvement.