Abstention, mes raisons
A quelques jours du second tour de l'élection présidentielle la question de l'abstention semble avoir pratiquement disparue du débat public et des médiats. Pourtant près de 20% des français appelés à voter ne se sont pas déplacés au premier tour. Il semble donc imprudent de vouloir liquider cette question en la passant sous silence.
J'ai beaucoup défendu l'abstention comme acte politique sans toutefois pouvoir toujours préciser les motivations qui pouvaient conduire au refus que cet acte représente. Pour éclairer cette option d'un jour plus net et éviter comme se méprenne sur sa portée et sur l'engagement politiques de ceux qui la prônent il me semble donc nécessaire d'en dire un peu plus long.
Précisons d'abord une chose, je ne m'abstiens ni systématiquement ni le cœur léger. Je ne défend l'abstention que dans des cas très précis lorsque je souhaite faire entendre par mon acte une remise en cause non du choix – ou du non choix – qui m'est proposé (il ne s'agit pas d'un « tous pourris » aussi ridicule qu'improductif) mais d'une critique de la manière dont on sollicite ma participation à la vie publique. Je me suis donc abstenu systématiquement aux scrutins présidentiels, aux élections cantonales, jamais aux législatives, aux européennes ou aux régionales.
Mais concentrons nous sur l'élection présidentielle. Quelle est la fonction du président de la république française ? C'est chef du pouvoir exécutif et de la diplomatie. Rien de moins certes, mais rien de plus non plus. Son rôle est de nommer un premier ministre issu d'une majorité parlementaire ainsi que des fonctionnaires qui seront en charge de veiller à l'application des lois républicaines. Il est en outre chef des armées. Son rôle, normalement, s'arrête là. Or c'est aujourd'hui sur des questions législatives qui ne relèvent pas de son pouvoir que se mènent les campagnes présidentielles. Étrange mélange des genres accru par la synchronisation des calendriers électoraux des présidentielles et législatives. Mélange des genres en outre parfaitement dérangeant puisque la démocratie et la république avec elle s'appuient sur la séparation des pouvoirs, non sur leur confusion ou leur concentration qui est le propre des dictatures.
Mais il est vrai que là où règne la confusion, peut s'entretenir l'opacité, la peur, le mensonge et le populisme. L'élection présidentielle s'est donc transformée dans ce pays en une débâcle de populisme sans commune mesure que l'on ne peut décemment pas cautionner.
En outre ce mélange des genres à permis de donner à cette élection une importance démesurée (on en viendrait même à croire que l'on ne vote que pour elle). Or cette démesure a des conséquences dramatiques pour la vie politique. D'une part elle ne permet l'accession au pouvoir qu'aux grands partis (qui a pu croire sérieusement que le futur président ne serait pas issu du PS ou de l'UMP ? ). D'autre part elle a provoqué la liquidation de la campagne et de l'élection législative laquelle n'est plus qu'une formalité pour le parti vainqueur de la présidentielle. Et une liquidation en entraînant une autre on a vu disparaître toutes questions sur les réformes du mode de scrutin.
Malheureusement tout cela est lié : les partis les plus représentés au parlement sont aussi les plus financés. Les partis les plus financés sont ceux qui peuvent le plus communiquer (et pas seulement pendant les campagnes électorales). Ils seront donc localement et nationalement plus représentés et auront donc plus de moyens financiers. Et la boucle est bouclée. Bien sûr (sans rentrer dans les détails) une bonne dose de proportionnelle pourrait permettre aux partis plus modestes d'avoir des élus au parlement... et donc d'être mieux fiancés... et donc de prendre un peu plus d'importance... mais ni aucun grand parti songe sérieusement à cela et on les comprend évidemment, pourquoi partageraient-ils le pouvoir ?
L'élection présidentielle engendre donc un fonctionnement de la classe politique incapable de créer ses propres forces de renouvellement et tributaire des grands partis. L'inverse en somme d'une vie politique réellement démocratique, mais ressemblant plutôt à un fonctionnement oligarchique non avoué mais parfaitement maîtrisé...
Concentration du pouvoir, indifférenciation des pouvoirs, pérennisation d'un bi-partisme stérilisant, absence totale de renouvellement de la classe politique : beaucoup de maux pour une démocratie et pour une seule élection. Comment dès lors la prendre pour autre chose qu'une vaste arnaque républicaine ?
Ajoutons par ailleurs que toute démocratie devrait fonctionner grâce à ses citoyens et à leur engagement dans la vie politique. Or, combien d'entre nous connaissent réellement le fonctionnement de nos institutions ? Où d'ailleurs nous l'apprend-on ? Si l'on regarde les chiffres de l'abstention aux différentes élections législatives depuis plus de 20 ans on s'aperçoit qu'il n'est pas tombé en dessous de 30% aux deux tours atteignant même 40% au 2ème tour en 2007. Cela signifie que depuis plus de 20 ans l'assemblé nationale (étant élue à la majorité des suffrages exprimés) ne représente que 50% de 60% des français inscrits sur les listes électorales soit quelque chose comme 30% des votants. Concrètement cela veut donc dire que l'assemblée qui édicte les lois en France n'est plus représentative depuis plusieurs décennies... et que l'on continue à nous faire croire que nos institutions vont bien. Mais doit on vraiment s'étonner d'une telle situation quand rien n'est fait pour donner aux citoyens que nous sommes une bonne connaissance des questions institutionnelle ? N'est-ce pas tout de même l'un des rôles essentiels de l'état que de s'assurer du bon rapport des citoyens aux institutions qui sont sensées les représenter ? Ne doit-on pas tenir notre classe politique pour responsable de la faillite de notre représentation nationale ? Doit-on enfin faire comme si tout cela nous convenait parfaitement et nous rendre aux urnes sans nous préoccuper outre mesure du « pourquoi » de notre geste ?
On me demandera alors en quoi l'abstention à l'élection présidentielle est une réponse pertinente à ces problèmes ? Je répondrai qu'elle tente de faire savoir que le problème républicain ici n'est pas tant un problème de personnes qu'un problème d'institutions. Je suis défavorable à un régime présidentiel où le rôle du parlement a été réduit au minimum donc je boycotte un scrutin important qui est à l'exact opposé de mes convictions républicaines.
Au demeurant, une chose est absolument sûre aujourd'hui : ne pas vouloir parler de la question de l'abstention, ou, ce qui revient au même, la reléguer au plan de l'absence d'intérêt pour la chose publique (res publicae), de l'égoïsme, de l'indifférence, de l'irresponsabilité ou de l'inconséquence est une erreur qui pourrait avoir des conséquences dramatiques. On peut critiquer l'abstention, mais on ne doit ni l'ignorer, ni la mépriser.
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