Accès aux données de santé : les victimes de médicaments demandent plus de garanties
Accéder aux données de santé de la population au travers des bases de données publiques comme celles des hôpitaux ou de l'assurance maladie, tels sont les objectifs de l'article 47 du projet de loi santé actuellement débattu à l'assemblée nationale. Derrière ces formalités techniques sont brandies de nombreuses promesses, intéressantes mais rarement démontrées, en termes de progrès scientifiques, de sécurité sanitaires ou de développement économique.
Un projet intéressant mais précipité
En tant que citoyens et associations de victimes de médicaments, si nous sommes fermement convaincus de l'intérêt d'exploiter de telles données, nous restons parfois sceptiques quant aux promesses de toutes sortes qui les accompagnent et souhaitons que de solides garde-fous soient érigés. Car les idéologies floues et la précipitation sont mauvaises conseillères : le mélange de concepts pourtant bien distants[i] au sein d’un même article (open data et accès aux données de santé personnelles) dans un contexte de lobby mondial intense et d’une rare efficacité autour de l’open data[ii], nous incite à la plus grande prudence. Mélange des concepts ou volonté de noyer le poisson ? Le citoyen lambda, lui, se retrouve devant le fait accompli, sans avoir trop compris ce qui se jouait réellement. Sera-t-il invité, par l’intermédiaire des associations de victimes à participer aux instances décisionnelles (comité d’expertise) qui donneront l’accès aux données pour certaines études ?
Pourtant, dans une ère post-Snowden, la perspective de l'exploitation informatisée de données personnelles de masse par des organismes publics et privés, dans un domaine qui touche à l’une des parts les plus intimes de l’individu, devraient nous inciter à la plus grande vigilance, et tout d’abord à ne griller aucune étape. Ainsi, quelle urgence y avait-il à autoriser le transfert de nos données de santé à des organismes privés, avant d'en avoir testé au préalable la pertinence auprès des organisations publiques ?
Des expérimentations à mieux encadrer
Certes, le projet de loi du gouvernement ne s'autorise pas le grand n'importe quoi et beaucoup de précautions semblent vouloir être prises. Même si on se demande parfois quels moyens de contrôle, de répression et de punition pourront s'appliquer en cas de dérapage ? Et surtout, de quels moyens de preuve disposera le citoyen pour démontrer qu'une utilisation préjudiciable de ces données de santé a été réalisée ?
Certes, grâce à la centralisation des données d'un système de protection sociale très avancé, la France dispose d'un gisement de données de qualité inégalé en matière de santé qu'il serait coupable de ne pas mieux exploiter. Mais pas à n'importe quel prix. D'autant que la gratuité de ses données, lorsqu'elles sont transmis à des organismes à but lucratifs, pose question : n'y a t-il pas ici un risque de transférer ce capital informationnel inouï que sont nos données de santé dans des conditions asymétriques et surtout inéquitables pour nous citoyens ?
Les axes à renforcer
Nous proposons 4 grands principes à incorporer d’urgence dans le texte de loi ou dans ses textes d'applications. Ils viennent renfoncer les axes de l'équité du transfert aux tiers de nos données de santé (réciprocité informationnelle), de la transparence de l'accès à ces données (registre des études autorisées et information des assurés sociaux) et créé une « zone franche » de protection des personnes dites " à données sensibles".
La « réciprocité informationnelle » (1) : les organismes privés souhaitant accéder aux données de santé individuelles des citoyens devront signer au préalable une charte de Réciprocité informationnelle. Cette charte impliquera l'obligation de partager avec tout organisme de recherche public français et toute association nationale de représentants des usagers qui en fera la demande, les données individuelles et anonymisées liées aux études cliniques menées par ces organismes privés, en France ou à l'internationale, passées, actuelles et à venir.
Actuellement, de nombreux fabricants de médicament obtiennent des autorisations de mise sur le marché de médicaments sur la base de résultats d'essais cliniques dont ils refusent de partager les résultats avec les citoyens ou d'autres chercheurs. D’autres études ne sont pas rendues publiques car leurs résultats ne sont pas favorables aux firmes pharmaceutiques : le risque est que ces études puissent être reconduites et exposer leurs participants à des risques qui n'ont pas lieu d'être. Il n'est pas envisageable de donner accès aux données de santé citoyennes à des organismes dont l'éthique en matière de partage et de transparence sur les données de santé n'est pas au plus haut niveau.
La transparence de l’accès (2) : Toutes les études autorisées à partir des données de santé citoyennes doivent être publiées dans un registre public, détaillant de manière extensive les données accédées, leurs finalités et le bénéfice attendu justifiant leur accès, ainsi que les résultats obtenus, une fois l'étude terminées.
Maîtrise des données utilisateurs(3) : Parallèlement, la loi informatique et libertés prévoit le consentement express des personnes à partager leurs données. Chaque assuré social doit dont être assuré de la maîtrise de ses données et être informé au travers de son compte AMELI de l'utilisation de celles-ci dans une étude. Il doit pouvoir éventuellement demander à ce que ses données ne soient pas utilisées, s'il estime que la finalité de l'étude ne lui paraît pas justifiée ou qu'elle lui fait courir un risque en termes de confidentialité. L'assuré social devra pouvoir obtenir par le registre cité précédemment les informations les plus exhaustives et précises quant à l'étude spécifiée.
Une « zone franche » pour les personnes à données sensibles (4) : Certaines personnes peuvent être plus identifiables que d’autres, dans certains contextes. Ainsi, les données concernant les personnes travaillant pour des organismes de santé publics ou privés susceptibles d'accéder aux données de santé citoyennes doivent par défaut ne pas pouvoir être accédées dans le cadre posé par l'article 47. Il s agit par exemple de protéger des employées dont les données de santé pourraient être communiqués par inadvertance à leurs collègues ou employeurs. Bien qu'anonymisées, ces données pourraient, dans un cadre restreint, comme celui du travail, permettre d'identifier la personne. D’autres populations spécifiques pourraient être concernées par de telles mesures (maladies rares par exemple).
Qui sommes-nous ?
Nous sommes un collectif d’associations de victimes des médicaments :
· AIVQ (Victimes des Quinolones),
· AMALYSTE (syndromes de Lyell et Stevens-Johnson -www.amalyste.fr ),
· AVRG (Roaccutane et Générique - avrg.unblog.fr ),
· E3M (Myofasciite à Macrophages - www.myofasciite.fr ),
· REVAHB (Réseau Vaccin Hépatite B – www.revahb.fr ).
Nous représentons tous ensemble plusieurs milliers de victimes et sommes représentatifs de la diversité et de la complexité des effets indésirables graves des médicaments.
Nous sommes indépendants de l’industrie pharmaceutique.
Contacts Presse :
Cathy Gaches [email protected] Tel : 06 11 22 67 40
Sophie LE PALLEC, [email protected] , Tél : 06 78 00 88 28
Didier Lambert : [email protected] Tel : 06 72 41 20 21
[i] Le texte de loi mélange deux notions : en premier lieu, il y a l'Open Data, qui consiste à mettre à disposition du grand public sous des formats standards des jeux de données administratives non personnelles (ou suffisamment agrégées pour ne plus l'être) et portant sur des critères établis au préalable (par exemple, répartition par genre, par âge et par département des consommateurs d'anti-anxiolytiques). Puis il y a ensuite l'accès aux données personnelles de santé, à des fins de recherche, et dans des conditions restreintes (contredisant le titre même de l'article, car un accès ouvert ne doit pas être restreint, par définition). On sent bien le gap qu'il peut y avoir entre ces deux notions : en termes de finalités et de modalités de traitement, rien à voir. On peut regretter qu'elles aient été mises toutes en vrac dans un seul article de loi, sans prendre la peine au travers d'exemples concrets de bien montrer les différents niveaux d'utilisation, avec leurs intérêts mais aussi leurs risques respectifs en termes scientifiques, économiques, sociaux et de politiques publiques.
[ii] Concept d'origine anglo-saxonne, l'Open data s'est, en un temps record, invité à la table des politiques au point de parfois revêtir les habits mêmes du programme politique. Paré des vertus de la transparence et du modernisme, il est vrai que l'open data appliqué à la bureaucratie de l'administration publique peut en séduire plus d’un : le politique, pour qui il est toujours plus facile de s'engager sur des moyens que sur des résultats, le citoyen, qui veut croire qu'une plus grande transparence de l'action publique mènera vers plus de démocratie. Autres grands gagnants : les prestataires de solutions informatiques et les spécialistes en traitements de données qui prédisent, sans jamais vraiment le démontrer, des gisements colossaux d'emplois et de richesse grâce à l'exploitation de ces méga-données. La cité de verre n'est pas loin.
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