Accusé, levez-vous ! Pamphlet
En l’an de grâce 2017, un violent incendie détruisit une partie de Notre-Dame de Paris et secoua d’émotion notre beau pays la France ! Il faut dire que la célèbre cathédrale fut et reste encore un véritable joyau religieux et historique de notre patrimoine national, que le monde entier nous envie. Et ce jour là le monde pleura. Le grand Victor s’était fait un malin plaisir d’immortaliser la cathédrale dans son roman aussi massif qu’un menhir. L’on imagine l’écrivain devant sa page blanche imposer à sa plume une cadence d’écriture, tel un jockey son canasson, pour le faire courir plus vite : Hue, Go ! Et la plume s’envola, le chef-d’œuvre naquit. Si bien que l’on ne saura jamais ce que pleuraient les badauds rassemblés le jour de l’incendie, devant l’édifice en flammes, Esmeralda, Casimodo ou le clocher parti en fumée ? Mystère...
Il faut dire aussi que Notre-Dame est l’objet de bien des convoitises de la part de petit malins qui la transformeraient en galerie marchande genre Start Up, pour y vendre toutes sortes de colifichets religieux ou profanes, en galerie d’expos pour peintraillons bobos qui sont à la peinture religieuse ce que le silex de Cro-Magnon est à la Ferrari. De déambulatoire pour touristes, avec un grand parvis revu et visité par les architectes très tendance qui auraient donné à la vieille dame un rajeunissement à ravir tous les glands des ministères, des confréries, y compris de l’Épiscopat ébaudi par les prouesses acrobatiques des rénovateurs. Elle est convoitée, cette vieille dame de pierre, par tant de petits vauriens avides qui verraient bien dans leur escarcelle se rajouter l’antique demeure de Dieu. Quitte à le faire fuir définitivement, lui, ses anges, ses madones, ses ex-voto et tout ce qui confère à l’édifice sa sacralité.
Notre-Dame défigurée, autant de larmes versées, le choc digéré, l’on se mit à poser tant de questions dignes d’un Simenon, qu’il fallut bien que le ministère en charge se préoccupât de diligenter une enquête. L’on échafauda toutes sortes d’hypothèses et l’on adjoignit même aux enquêteurs, un militaire, général de son état, on ne sait jamais, sabre au clair c’est plus efficace. Et les conclusions étaient sans appel : l’incendie était d’origine accidentelle !
Lors, que tout laissait à penser qu’il était d’origine criminelle !
L’on évoqua dans les milieux autorisés qu’une charpente aussi vieille et presque fossilisée ( 800 ans d’âge), ne pouvait brûler en si peu de temps et embraser la totalité de la charpente en proue de navire en seulement deux heures, lorsque une simple bûche de cheminée en chêne ou autre bois serré met plusieurs heures à cramer ! Le bois ? Il brûla aussi vite que du contre-plaqué. Mystère, mystère… L’on étudia le degré d’hygrométrie, le degré de température extérieure, intérieure, l’on tourna, l’on retourna la question, les questions, toutes les questions, l’on se perdit en conjectures. Les avis des experts étaient formels, pour brûler aussi vite l’adjonction d’un produit inflammable était indispensable. Et pas n’importe lequel. Oui, justement, lequel ? Nous n’en saurons pas plus. Un autre mystère… de Paris !
Or, le ministère ne voulant pas entendre parler de mystère, du gigantesque incendie, réitéra ses conclusions : c’est un malheureux accident dû à un malheureux hasard, hasard dû lui-même à un hasard encore plus hasardeux : des travaux entrepris depuis peu pour rénover les lieux sacrés ! Trois hasards en un, c’était géométriquement parfait ! Nous, de coupables, nous n’en voyons qu’un ! Et de taille !
L’enquête fut lancée par tous les inspecteurs Colombo disponibles et après avoir écarté l’ hypothèse la plus probable, l’origine criminelle d’un produit inflammable d’origine inconnue, l’on se polarisa sur le désigné coupable : petit, tout petit mais alors… Quel pouvoir magique de destruction pouvait-il avoir sur une charpente vieille de 800 ans !
Bien entendu, il fut arrêté dans les plus strictes traditions policières et judiciaires, on le fit mettre aux arrêts, et, après l’avoir bien cuisiné et fait passer aux aveux, le coupable fut conduit manu militari devant les juges de la République, ces impitoyables femmes et hommes en noir, qui d’un doigt vous condamnent au bracelet électronique ou à la réclusion à perpétuité, suivant que vous soyez un gland puissant ou un pauvre microbe de gueux. Notre abominable coupable était… grillé !
Comme le prévoit le code pénal, notre coupable eut droit à l’assistance d’un avocat. Oh ! Pas n’importe lequel, on lui octroya le plus grand, le plus gros, le plus large, le plus tonitruant, le plus venteux, un ténor du barreau, maître Pompon-Passementerie !
Les deux au milieu du prétoire, l’avocat-l’accusé ; la salle était comble ! Tout le monde voulait voir Pompon, grande vedette du barreau, qui, se croyant sans doute sur le tapis rouge du festival de Cannes, avait peine à rengorger sa vaniteuse flagornerie. Mais une fois admiré le célèbre baveux, on voulut voir le coupable, la vindicte ne saurait attendre chez le populaire et les journalistes qui avaient sous la main le coupable idéal, dites, pensez, celui qui avait osé détruire ce joyau ?!!
Maître Pompon-Passementerie marchait fièrement, agitait ses larges manches noires comme des ailes de gypaète, son regard ténébreux de bovin à la diète – car il n’avait rien avalé depuis son premier café du matin pour garder la gorge fraîche, le gosier libre – fixait le public. Il se racla la gorge et fit sortir de sa bouche quelques volutes d’essai . Ce n’était plus un baveux que nous avions devant nous, mais, Pavaroti !
Madame la jugesse fit de son œil sévère le tour de la salle où l’audience était très suivie, l’excitation à son comble, ils étaient tous là, spectateurs endiablés, près au chahut, à la contestation et à vivre intensément ce procès… unique en son genre. Enfin nous allions punir l’assassin de Notre-Dame !
L’accusé était là aussi, plus ratatiné que jamais, blanc comme neige. Il essayait de se tenir roide et il fallait se lever pour le voir distinctement. La haute taille de maître Pompon-Passementerie effaçait entièrement son nanisme et sa modeste envergure, son aspect souffreteux et fluet. En un mot, le coupable était minable. Si bien qu’on l’aurait presque pris en pitié, ce tout petit.
Mais maître Pompon-Passementerie, avec les grandes ailes protectrices que formait sa robe noire rassura le nain et lui promit l’acquittement. Son talent suffirait.
Enfin le procès du siècle put commencer après les préliminaires habituelles, coups de marteau :
- Silence, ou je fais évacuer la salle !
- Accusé levez-vous !
Et l’on vit poindre la petite chose qui se tortillait pour s’extraire de son siège et décliner son identité à la jugesse :
- Je m’appelle Mégot !
A ce moment, la foule déchaînée se leva et cria :
- Assassin ! Au gnouf ! Au gnouf !
- Silence ou je fais évacuer la salle !
- Qu’on le fume ! Qu’on le fume !
Pompon-Passementerie sentit soudain comme une envie de s’en griller une. Mais comme sa grande et grosse carcasse de grand fumeur contenait également un cocktail explosif d’alcools, de coke, de la blanche et de la bonne, spéciale jet set – d’amphétamines, de caviar à la louche et de toutes sortes de friandises grasses et sucrées, véritable empilement menant tout droit au comas diabétique, Pompon sentit qu’il ne finirait pas l’audience sans tourner de l’œil. Il lui vint alors un irrésistible besoin de griller une cigarette. Mais interdit de fumer dans la salle. Il le savait, il salivait. Soudain, il se pencha vers son client, le renifla longuement... il sentait le tabac… l’attrapa, le hissa jusqu’à ses lèvres et l’écrasa entre ses dents et le mâchonna, pendant que la salle médusée assistait à la peine capitale de l’infortuné accusé Mégot que lui appliquait son propre avocat !
Le coupable disparut entièrement entre les lèvres cannibales du baveux, la salle sidérée venait d’assister à une application de peine sans procès. Pompon-Passementerie venait encore de frapper, il en avait l’habitude, ses clients avec lui ne faisaient pas long feu !
73 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON