Affaire : « Bêtes en Cour »
De l’usage des parallèles historiques pour prendre la tangente
A court d’arguments, cerné de tous côtés, en pleine déroute, le gouvernement de droite, face aux affaires qui éclatent en cascade - affaires d’argent et de politique, affaires de régime et affaires d’Etat - , n’a pour autre ligne de conduite que la fuite et l’agression.
Reviennent sans cesse les termes de "calomnie", de " diffamation" et de "fascisme" pour déconsidérer, salir le travail des journalistes et des internautes qui ne sont pas aux ordres, pour déconsidérer les députés de l’opposition lors des séances publiques de questions au gouvernement.
Sarkozy prend ses airs dégoûtés pour stigmatiser une façon de "s’emballer à la première horreur, euh.. calomnie, qui n’a que le seul but de salir sans aucune espèce de réalité" ; Morano qualifie Mediapart de "presse de ragots" ; le secrétaire général du parti présidentiel qualifie de "méthodes fascistes" la couverture de l’affaire Bettencourt, toujours par Mediapart ; Barouin accuse l’opposition de "piétiner des éléments fondamentaux de libertés individuelles" et Luc Chatel qui, en non-réponse à une question précise du député Christian Eckert,y va en catimini d’une citation tronquée de Léon Blum : "Il n’y a pas d’antidote contre le poison de la calomnie. […] Il pervertit l’opinion par le goût du scandale".
Une citation extraite - avec beaucoup de jésuitisme - du discours de Blum à l’enterrement de Roger Salengro, son ministre de l’intérieur, poussé au suicide par les calomnies de la presse d’extrême droite en 1936.
A la différence de l’affaire Woerth-Bettencourt, avec laquelle Chatel - ministre de l’éducation -souhaite établir une comparaison et un parallèle, Salengro fut accusé à tort d’avoir déserté en 1915, alors que le conseil de guerre - qui l’avait jugé conformément à la procédure en vigueur - l’avait blanchi de toute accusation.
A la différence de Sarkozy, Léon Blum, pour faire taire la rumeur, confia à une commission présidée par le chef d’Etat major général, le soin d’enquêter à nouveau. La commission conclut encore à l’innocence de Salengro : il avait passé les lignes ennemies pour tenter de ramener le corps d’un de ses camarades tué au combat. Fait prisonnier par l’ennemi, il avait notamment encourager ses codétenus à ne pas travailler pour les Allemands :
""Ce qui lui vaut treize mois de camp disciplinaire. Sa santé s’altère d’autant plus qu’il est atteint de dépression nerveuse. Il est dirigé vers la Suisse dans un convoi de rapatriés sanitaires. Quand il revient à Lille, Roger Salengro ne pèse plus que quarante-deux kilos." ( Assemblée nationale)
A la différence de Sarkozy et/ou de son premier ministre, Léon Blum, interpellé le 13 novembre 1936 par la droite à la Chambre des députés, obtenait par un vote la confiance de 427 députés : " Vous savez que la campagne menée contre Roger Salengro au nom de l’honneur militaire et du patriotisme repose sur l’altération de la vérité" dit-il.
A la différence de Woerth, Salengro, homme d’honneur, n’a jamais eu à se poser la question de sa démission pour poursuivre ses accusateurs comme simple citoyen, les confondre et se disculper, puisqu’il avait déjà été disculpé. Les soupçons n’avaient même pas lieu d’être. Une enquête judiciaire était hors de propos. Plusieurs n’en parlons même pas...
A la différence de Woerth, Salengro, était socialiste et ministre d’un gouvernement de Front populaire qui avait promulgué la dissolution des ligues factieuses de droite. Le 19 juin 1936, 4 ligues étaient dissoutes. Pour la droite et l’extrême droite c’en était trop et Salengro devenait l’homme à abattre.
A la différence de Médiapart, du Canard-enchaîné, de Rue89, du Nouvel Obs, de Libération, de Bakchich-info, etc. les mouvements et les journaux qui menèrent campagne contre Roger Salengro étaient de droite et d’extrême droite, c’est à dire xénophobes, antisémites, anti-socialistes et anti -communistes comme l’Action française, Je suis partout, Gringoire qui soutiendront la " Révolution nationale" de Pétain et/ou sauront collaborer avec le régime nazi.
Non, décidément Woerth et Salengro n’ont rien à voir ensemble. Sans parler de leurs épouses.
Au prix de quelle gymnastique intellectuelle devrait-on refuser d’envisager la culpabilité de Woerth - son délit d’ingérence, ou s’interdire de mentionner le cumul indécent de ses fonctions de trésorier de l’ UMP et de ministre à répétition, au motif que Roger Salengro, socialiste, innocent, fut la victime de l’extrême droite et d’une presse infecte il y a plus de 70 ans ?
Les bêtes en cour du régime de la droite ébranlée, tirent sur le journalisme, sur la liberté de la presse, sur le droit à la critique, à l’investigation et aux enquêtes. Alors, avec Mediapart et d’autres, pour que tout ceci ne soit pas étouffé, mélons-nous de nos affaires !
"Voilà, précisément, ce qui ne peut pas durer. Le peuple français ne livrera pas plus longtemps les siens à la fin infâme. Il ne supportera pas plus longtemps que pour satisfaire à leur passion, à leur vengeance ou même à leur plus vils intérêts, les chefs de bandes et leurs mercenaires attentent à son honneur ou même à sa sécurité.
Il reconstituera en dehors d’eux la communauté nationale.
Il consolidera contre eux les institutions républicaines.
Il rejettera fermement et durement, s’il le fau, leurs attentats contre la société plus libre et plus juste jusqu’à la mort.
Roger Salengro n’aurait pas voulu d’autre vengeance."Léon Blum
Au centre Léon Blum, et à sa droite Roger Salengro.
> Discours de Léon Blum aux funérailles de Roger Salengro - 22 novembre 1936 sur le site de l’INA
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