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Affaire BNP Paribas : quand le droit américain se substitue au droit international

De plus en plus impérialiste, la superpuissance américaine ne recule devant aucun moyen pour se tailler la part du lion. Outre les scandales d'écoute de ses alliés qui ont récemment éclaboussé le pays, il apparaît avec de plus en plus d'évidence que les Etats-Unis se servent de leur système judiciaire à des fins politiques. L'affaire BNP Paribas est un exemple criant de la volonté américaine de se substituer aux institutions internationales et imposer son ordre. Le France, plutôt que de se laisser faire, devrait, à l'instar de la justice autrichienne dans l'affaire Firtash, prendre le taureau par les cornes et refuser une ingérence pernicieuse et sournoise par un pays qui s'arroge le droit de contrôler les politiques de ses alliés.

Contacté par téléphone par François Hollande mercredi, le président américain Barack Obama s'est voulu rassurant. Il a « réitéré sans ambiguïté son engagement ferme, intervenu en novembre 2013 après l'affaire Snowden, et déjà rappelé lors de la visite d'État de [François Hollande en] février 2014, d'en terminer avec les pratiques qui ont pu avoir lieu dans le passé et qui étaient inacceptables entre alliés », a souligné l'Élysée dans un communiqué.

De quoi croire que la romance franco-américaine connait bel et bien le renouveau qu'on pouvait lire un peu partout il y a encore peu de temps. Et pourtant, les simples faits d'espionnage reprochés aux services secrets américains sont totalement contradictoires avec les effusions sentimentales répétées par un département d'état embarrassé à propos de l'hexagone. Si l'attitude pour le moins cavalière des Etats-Unis à l'égard de la France peut faire douter quand à cette amitié "historique", remontant en réalité à Lafayette et l'indépendance américaine, c'est encore l'utilisation abusive de la "justice" comme cheval de Troie pour mener leur politique au-delà de leurs frontières qui en dit le plus long sur la vérité de ce rapport transatlantique.

Les Etats-Unis prétendent sanctionner BNP Paribas - et peut-être d’autres banques françaises d’ici peu - sans aucun motif juridique recevable en droit international. Pour avoir autorisé des transactions en dollars, entre 2002 et 2009, avec des pays sous embargo américain (Soudan, Cuba, Iran), la banque française fait l'objet de poursuites devant la justice américaine. Il faut ici rappeler que la France n'a jamais imposé de tels embargos, et qu'aucune des affaires visées n'a eu lieu sur le territoire américain. Pourtant, l'oncle Sam menace la BNP Paribas d’une mirobolante amende de 10 milliards de dollars et d’un retrait de sa licence outre-Atlantique. Elle aurait dans les faits enfreint l'International Emergency Economic Powers Act, cette loi fédérale américaine de 1977 qui autorise le président des Etats-Unis à restreindre les relations commerciales des entreprises américaines avec certains pays. Les Etats-Unis invoquent le double statut du dollar (monnaie nationale et monnaie de réserve) pour appliquer un principe d’extraterritorialité et appliquer des sanctions.

La sévérité affichée de la sanction datant d'il y a tout juste un an est destinée à envoyer un message de la part de la justice américaine : nul n'est désormais à l'abri de poursuites pénales, quand bien même cela le fragiliserait. Mais par cette procédure - reprocher à un pays l'utilisation de la monnaie américaine dans un échange avec un pays visé unilatéralement par un blocus imposé par les Etats-Unis, sans soutien de l'ONU ou toute autre organisation internationale - les juges américaine substituent le droit de leur pays, en affirmant leur prééminence sur les autres droits nationaux, au droit international. Plus concrètement, les différentes autorités publiques américaines (SEC, Department of Justice…) se sont donnés les moyens d’arraisonner les grandes entreprises étrangères qui opèrent dans les eaux internationales, et de contraindre les états à marcher au pas, au son de leurs sanctions et prises de parti.

On peut penser tout le mal du monde des banques françaises en général et de BNP Paribas en particulier - nous payons encore le prix de ses pratiques sauvages et irréfléchies - mais cette affaire est proprement scandaleuse. Ce qui l'est encore plus est le silence de la diplomatie française. Laurent Fabius a tout juste déclaré sur France 2 : "S’il y a eu faute, il est normal qu’il y ait une sanction mais la sanction doit être proportionnée et raisonnable." Seulement, on l'a vu, il n'y a pas eu de faute au regard du droit international. Aussi, une récente décision de la justice autrichienne devrait servir d'exemple à un état français totalement démissionnaire sur un dossier grave. En effet, la Haute cour de justice autrichienne a refusé d'accorder à Washington l'extradition de l'homme d'affaires ukrainien Dmytro Firtash le mois dernier. Dans un geste d'indépendance résolu, le juge Christoph Bauer, saisi de l'affaire, a débouté la demande invoquant une affaire dirigée par un motif politique.

Dans les faits, Firtash était mis en examen dans une affaire de pots de vin payés à des responsables indiens afin de faciliter un projet de commerce de titane qui n'a finalement jamais eu lieu. La justice américaine, à l'origine des poursuites, fondait les accusations sur deux témoins dont le FBI refusait de divulguer l'identité - le jugement remet même en question leur existence. Firtash avait dans les faits servi à faire pression sur l'ancien président déchu Viktor Ianoukovitch. L'affaire avait été lancée lors de la visite de la délégation américaine en Ukraine afin d'inciter ce dernier à la signature des accords commerciaux avec l'UE. Les poursuites à l'encontre de Firtash ont été abandonnées à l'annonce de la signature de ces accords, pour être renouvelées pas moins de quatre jours après la chute de Ianoukovitch, chassé par la révolte de Maïdan.

La décision de justice autrichienne, après avoir relaté ces faits, accuse directement les Etats-Unis d'avoir utilisé ces poursuites pour faire pression sur le gouvernement ukrainien - et par la suite sur les partisans de Firtash, homme d’affaires influent tant économiquement que politiquement, qui auraient pu vouloir faire bande à part lorsque le gouvernement de Porochenko s'est formé. Ce type de chantage se systématise dans la pratique géostratégique américaine, alors que la superpuissance tente de mettre au pas des entreprises ou nations souveraines, et de défendre leurs intérêts dans une guerre fantasmée du bien contre le mal - on se souvient de la rhétorique mise en place par Georges W Bush en 2001. Applaudissons la décision du juge Bauer, et espérons qu'elle inspire le minimum de courage chez nos dirigeants, afin qu'ils refusent l'agenda despotique qui consiste à museler les pays qu'ils appèlent - et qui les considèrent en retour comme - des alliés.


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3 réactions à cet article    


  • Garibaldi2 30 juin 2015 17:34

    Les USA n’ont pas d’amis, ils n’ont que des ennemis ou des vassaux. Tout est dit dans cette simple maxime.


    • TREKKOTAZ TREKKOTAZ 1er juillet 2015 02:00

      Qui finance BNP ? Entrepreneurs, salariés, classe moyenne, ouvrière...C’ est une véritable arnaque.Les américains volent donc 10 milliards d’ euros dans la poche des travailleurs français pour soutenir leurs guerres sanglantes.


      • Laurent 47 1er juillet 2015 12:21

        Tant que nos chefs d’états européens, incapables et bourrés au Coca-Cola, n’auront pas compris que notre véritable ennemi commercial se trouve à Washington, et non à Moscou, rien ne pourra fonctionner correctement dans la zone euro !

        Seul un crétin ne s’est pas encore rendu compte que la Communauté Européenne à 28 pays est une superbe invention des Etats-Unis pour rendre l’Europe totalement soumise au diktat américain.
        Quand l’Europe était constituée uniquement de ses pays fondateurs, tout fonctionnait...trop bien, alors ses dirigeants ont été vivement incités à accepter ’ l’immigration « de pays qui n’avaient strictement rien de commun avec eux ! Ces nouveaux pays ne nous ont apporté que la misère sociale, le désordre financier, et une concurrence sauvage qui a ruiné notre économie !
        Alors Washington se frotte les mains, en constatant la ruine de nos économies, et la soumission des européens qui ont accepté sur ordre de considérer la Russie comme une ennemie sans qu’ils ne soient capables d’en donner la moindre raison !
        Contrairement à nous, qui refusons de livrer les deux Mistral à la Russie, la société Bell Helicopter fait construire ses hélicoptères civils à Ekatérinbourg, dans l’Oural.
        Nous sommes en train de nous fâcher avec notre principal partenaire commercial, alors que les Etats-Unis ne nous apportent que des emmerdements, et peut-être la guerre !
        On peut critiquer la Grèce, mais il semble qu’ils aient vu arriver l’arnaque bien avant nous !
        La Grèce peut quitter la Communauté Européenne et l’OTAN, il n’en reste pas moins qu’elle est en Europe, comme la Russie, et également de religion orthodoxe...comme la Russie !
        Rien n’interdit à Tsipras d’accepter l’offre d’aide financière proposée par Poutine, et d’envoyer les » européens " se faire voir...chez les grecs !

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Lucieb


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