A-t-on goûté à leur juste saveur les termes choisis dont a
usé, par la voix de son avocat, M. Chirac pour confirmer, le 26 août 2010, son
intention, révélée la veille par Le Canard enchaîné, de rembourser la Ville de Paris en échange de son
désistement de partie civile dans le procès qu’elle lui intente pour 21 emplois
supposés fictifs entre octobre 1992 et mai 1995 ? « Le
président Chirac (…), lit-on dans Le
Monde du 28 août qui cite l’avocat, maintient
que les emplois litigieux étaient légitimes et utiles à la Ville de Paris et
aux Parisiens. Dans le souci d’apaiser une source de polémique (…), ila souhaité que la Ville de Paris soit remboursée purement et
simplement du montant litigieux qu’elle a manifesté l’intention de recouvrer
judiciairement. »
Ainsi au terme d’une procédure d’instruction qui doit le renvoyer bientôt devant le tribunal correctionnel pour « détournement de fonds publics » et « abus de confiance » supposés, les griefs sont-ils minimisés par euphémisme en simple « source de polémique ».
1- On sait déjà que le mot « polémique » est le terme favori de médias ignorants ou pervers pour systématiquement dénaturer tout débat contradictoire où sont confrontées des représentations de la réalité différentes : par ses racines guerrières grecques – « polémos » signifie « la guerre » - le mot « polémique » disqualifie tout débat démocratique en affrontement déloyal qui fait feu de tout bois pour détruire l’ennemi.
Avec M. Chirac et son conseil, le mot « polémique » prend un sens nouveau : il permet de dénaturer une procédure judiciaire obéissant aux règles démocratiques au cours de laquelle forcément accusation et défense débattent et s’affrontent. Ainsi l’accusation qui le poursuit devant un tribunal, relève-t-elle, selon M. Chirac, de l’outrance et de la violence propres à la polémique.
M. Chirac le confirme en soutenant, malgré les indices sérieux et concordants qui ont dû pourtant être réunis pour le renvoyer devant le tribunal, que « ces emplois litigieux étaient légitime et utiles à la Ville de Paris ». Mais il n’avance pas le moindre indice de présomption ou de preuve : on doit le croire sur parole.
2- En second lieu, l’accusé Chirac offre une contribution à son hagiographie : il s’attribue d’office un rôle flatteur de médiateur puisqu’il prend une initiative pour « apaiser une source de polémique » : de fauteur de troubles qu’il est soupçonné d’être par une conduite supposée pénalement répréhensible, il se présente en réconciliateur du genre humain par une proposition généreuse de remboursement en dédommagement du préjudice dont la Ville de Paris se dit avoir été victime.
3- Mais la voie passive choisie sans complément d’agent – « que la Ville de Paris soit remboursée purement et simplement » - est une ambiguïté volontaire qui permet d’esquiver le nom de celui qui doit procéder à ce remboursement. La logique voudrait que ce fût M. Chirac et lui seul. Mais un accord paraît avoir été conclu pour que l’UMP, successeur du RPR, apporte une contribution majeure. Selon les chiffres avancés, M. Chirac prendrait à sa charge 550.000 euros, et l’UMP, 1,65 millions euros. Cela représente, d’un côté, plus de 50 années de SMIC et, de l’autre, plus d’un siècle et demi !
Selon le Canard enchaîné du 1er septembre 2010, parmi les heureux titulaires de ses emplois supposés fictifs, on relève « des épouses d’anciens ministres RPR, un frère de Jean-Louis Debré », de quoi, écrit l’hebdomadaire, « s’acheter – aux frais des Parisiens – le soutien des barons du parti. » Le système Chirac paraît bien calqué sur celui du clientélisme romain, avec les « clients » dévoués à leur « patron » en échange de la sportule.
Comment, cependant, ne pas être admiratif devant ces leurres qui transforment un accusé en victime charitable envers son accusateur ? Telle est « l’information donnée » que M. Chirac livre de lui-même en la soumettant évidemment au filtre de son autocensure, conformément au principe qui régit la relation d’information : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire.
Un contexte de discrédit
Mais quelle fiabilité peut avoir cette « information donnée » ? Le contexte de cette affaire conduit à ne lui en accorder aucune, même s’il appartient au tribunal d’en décider.
1- Tout d’abord, le moment choisi pour proposer cette initiative la discrédite : cela fait plus d’une dizaine d’années que dure le litige sur ces emplois supposés fictifs. Or, M. Chirac ne propose ce remboursement qu’à la veille d’une comparution devant le tribunal qui apparaît désormais comme inéluctable. Que n’en a-t-il eu l’idée plus tôt ? Mais sans doute pensait-il échapper à la justice.
2- Et il n’avait pas tort ! Que révèle le sort réservé aux nombreuses procédures dont il a été assiégé depuis une dizaine d’années ? Elles ont toutes échoué !
- Ou ce sont ses proches ou des collaborateurs de second rang qui ont été inquiétés et/ou condamnés ;
- ou une efficace défense traquant les vices de procédure a ruiné le travail des juges ;
- ou les juges eux-mêmes ont été intimidés comme le juge Halphen après « Sept ans de solitude » (1) et ont fini par lâcher prise ;
- ou l’appareil judiciaire a été confié à des magistrats de confiance pour user de toutes les roueries qui font traîner une procédure et gagner du temps, voire éventuellement jouer la prescription des faits ;
- ou les plus hautes cours, Conseil constitutionnel et Cour de cassation, sont venues au secours de M. Chirac pour aménager d’abord un privilège de juridiction puis une immunité pénale pendant tout le temps du mandat de président de la République (2).
3- Il reste, que si habile qu’elle soit, la déclaration de M. Chirac recèle une contradiction. Un innocent n’a aucune raison de dédommager son accusateur du préjudice dont il est injustement accusé. Si M. Chirac est innocent comme il le prétend, pourquoi propose-t-il le remboursement des sommes engagées par ses emplois supposés fictifs ? N’est-ce pas un aveu de sa culpabilité ?
Sans doute est-on tenté, quand il s’est écoulé tant de temps entre les actes et leur examen judiciaire, de regarder vers l’avenir plutôt que de se retourner vers le passé révolu. Certains, comme le Premier Ministre, jouent du leurre d’appel humanitaire et font valoir l’âge avancé de l’accusé qui mériterait indulgence. D’autres usent du leurre de la pression du groupe en alléguant une supposée popularité, de celle que fabriquent ces classements grotesques qui mettent des Noah, Zidane et autres polichinelles en tête des personnalités aimées « des Français ». Mais l’avenir, on feint de l’oublier, dépend du passé : ne pas tirer des leçons de pratiques de corruption à grande échelle qui ont profondément altéré la vie politique française, condamne à les renouveler à l’avenir. Si un président de la République doit être légitimement protégé contre la malveillance par une immunité, celle-ci ne doit pas signifier pour autant la promesse de l’impunité au sortir de sa charge. Comment pourrait-il être garant d’un État de droit dont il échapperait lui-même aux lois ? En ce sens, "l’affaire Chirac" est une épreuve pour la démocratie française. Comme « l’affaire des Irlandais de Vincennes » et « celle des Écoutes téléphoniques de l’Élysée » sous Mitterrand, puis "celle d’Outreau", elle a contribué à discréditer en particulier l’institution judiciaire française. Par la déclaration arrogante de son avocat, M. Chirac vient d’ajouter à l’immunité et à l’impunité dont il a bénéficié jusqu’ici, l’indignité. Paul Villach
(1) Eric Halphen, « Sept ans de solitude », éditions Gallimard, 2002 : le juge raconte les manœuvres et les intimidations dont il a été la cible pour lui faire lâcher prise dans les affaires des HLM de Paris et des Hauts-de-Seine : il avait osé en 2001convoquer comme simple témoin M. Chirac alors président de la République. Dessaisi du dossier en septembre 2001, il prend un congé de disponibilité, écoeuré par ces « sept ans de solitude »… Réintégré en 2007, il n’est plus chargé d’instruire des affaires financières !
(2) - Selon le Conseil constitutionnel (décision n°98-408 du 22 janvier 1999) le président de la République peut être jugé pénalement mais uniquement devant la Haute Cour de Justice, ce qu’on nomme un privilège de juridiction.
- Selon la Cour de Cassation (arrêt n°481 du 10 octobre 2001), le président reste pénalement responsable de faits punissables commis soit avant son mandat soit pendant, en dehors de l’exercice de ses fonctions, mais uniquement au terme de son mandat : la prescription des infractions est alors suspendue le temps de son mandat : c’est ce qui vaut à M. Chirac d’être poursuivi aujourd’hui pour « détournement de fonds publics » et « abus de confiance » supposés commis, il y a plus de quinze ans, entre octobre 1992 et mai 1995.
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Votre analyse est à la fois implacable et impeccable.
Une question se pose : pourquoi Bertrand Delanoë, le lointain successeur de Chirac à la mairie de Paris, s’est-il mis d’accord aussi facilement sur cet arrangement douteux ?
C’est parce qu’il s’apprête lui-même à détourner la somme de 28 millions d’euros d’argent public pour la construction d’une nouvelle mosquée, appelée pompeusement « institut des cultures de l’islam », argent qui va donc être ponctionné dans les poches des contribuables parisiens au mépris et en violation totale de la loi de 1905, et qui est un détournement d’argent public 10 fois plus considérable que ne le furent en leur temps les emplois fictifs de la ville de Paris ( compte non tenu de l’inflation )
En donnant aussi facilement son absolution, Delanoë espère t-il qu’on lui accordera, dans le futur, pour cet abus caractérisé la même mansuétude que celle que lui même vient d’accorder à son lointain prédécesseur ???
Pauvre cinquième République, elle est descendue bien bas ....
Merci pour cet article. Être privé d’une conclusion judiciaire sur les emplois fictifs perpétue le manque de confiance dans le système politique et dénoncer ces pratiques participe à leur éradication. Il ne faut pas lâcher prise.
D’accord avec l’auteur. Mais Chirac n’était qu’un petit escroc de la République, un modeste artisan de la combine et du tripotage, presque un amateur. Il était loin d’égaler Sarkozy, le voyou en chef de la multinationale des crapules.
ce monsieur a (superbement) vécu toute sa vie aux frais des contribuables grâce à tous ces gens à mentalité d’esclave qui l’on élu et réélu.
et qui en redemandent puisque son parti (le RPR), renforcé par des groupuscules divers et variés est toujours au pouvoir aujourd’hui.
et 32% des « français » (soit près de 20 millions !!( approuveraient parait-il encore une politique désastreuse.
Ce monsieur est innocent. lui et ses nombreux « amis » le proclament. mais cet innocent propose de payer 550.000 euros de sa poche pour une faute qu’il n’a pas commise.
voilà un homme de bien généreux à l’extrème qu’il faudra entrer au Panthéon.
Il faut voir les conférences de l’association « Survie » pour comprendre à quel point l’Etat est pourri. (francafrique, réseaux francs-maçons, mafia crose etc...)