Affaire Richard Millet : Voltaire, réveille-toi, ils sont devenus fous !
« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… » Aznavour, La Bohème
1) De la liberté d’expression à la police de la pensée : naissance d’une censure de tous les instants au nom de la tolérance
Il n’y a pas si longtemps, et quoi que l’on pense en vérité du personnage, la fameuse phrase attribuée à Voltaire (bien que vraisemblablement apocryphe, et sans doute issue de la plume de sa biographe Evelyne Beatrice Hall) « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire » était une référence indépassable dans le cercle intellectuel et médiatique français. Quoi de plus normal en pays de France, terre des dites « lumières », mère de la révolution en Europe et où fut rédigée la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ?
Déclaration des Droits de l’Homme qui érigeait notamment la liberté d’opinion en principe absolu dans son article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »
Cette Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen fut enfin accolée à la Constitution Française, et de fait l’article 10 -comme tous les autres- censé être impérativement appliqué et respecté pour chaque citoyen, avec force de loi. Ce seul rappel devrait dans une société fidèle à ses valeurs suffire à clore définitivement l’invraisemblable « affaire Millet », qui (après plusieurs autres sur lesquelles nous reviendrons) n’aurait donc jamais dû simplement exister… On connaît la suite !
Il fut pourtant un temps où il ne serait venu à l’idée de personne d’excommunier quelqu’un pour ses seules opinions, et même parfois pour ses actions « divergentes » pourtant carrément revendiquées.
Ainsi, dans les années 70-80, on pouvait par exemple voir et écouter sur une chaîne de télévision publique tout le petit monde intellectuel, artistique ou politique parisien, français et même international, lors de la grand messe littéraire et culturelle du vendredi soir, l’émission Apostrophes de Bernard Pivot. En totale liberté, ils pouvaient y évoquer longuement et sans la moindre censure pour les uns leurs idées les plus iconoclastes, pour les autres même leurs élans sexuels les plus équivoques, voire les plus scandaleux. Mais jamais l’émission de Pivot ne se permettait de se transformer en tribunal : les discussions pouvaient être animées, et même enflammées, tout cela se passait sous l’œil goguenard et souvent ravi du maître des lieux, malgré les propos parfois terriblement choquants exprimés par certains invités. Il n’est que de revoir l’extrait ci-dessous avec un Daniel Cohn-Bendit évoquant ses tripotages assez glauques avec des enfants devant un Paul Guth n’osant mot et un Pivot ou une Sapho presque hilares pour s’en rendre compte.
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=e5J0...[/youtube]
A noter au passage le « et pourquoi ne pas leur donner d’idées, d’ailleurs ? » de Sapho… Il faut presque le réécouter plusieurs fois pour commencer à y croire !
On sait d’ailleurs et grâce à ses propres écrits que le dit Cohn-Bendit alla en réalité assez nettement plus loin dans ses « jeux enfantins » (1). Mais tel n’est pas le sujet de cet article.
Un Gabriel Matzneff et sa sexualité affichée et revendiquée avec des adolescentes tout le long de ses livres, autre exemple, était lui aussi reçu sans le moindre problème. Et personne là encore ne criait au scandale ou ne demandait son renvoi à son éditeur.
La liberté de parole allait donc parfois très loin, même sans doute trop loin… Mais c’était vraiment la liberté. Car la liberté de pensée et de parole ne se restreint pas : elle est ou elle n’est pas. Sitôt qu’on y touche, on la tue.
Le lendemain ou les jours qui suivaient, on ne trouvait dans tous les cas aucune trace des réactions outragées, des déclenchements de chasse à l’homme, des pétitions de bien-pensants demandant la tête de l’impétrant qui caractérisent notre époque. Autres temps, autres meurs…
Après l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République en mai 1981, et pendant quelque temps, un semblant de souffle de liberté bien que nettement plus politiquement sélectif soufflait aussi parfois durant certaines émissions du Droit de Réponse de Michel Polac.
Orwell, nous voilà !
Mais c’était déjà le commencement de la fin. Et ce n’est sans doute pas un hasard si la mutation liberticide qui s’enclencha alors suivit presque immédiatement l’arrivée de la gauche au pouvoir : car si la droite a de tout temps ou presque été d’un cynisme social assez écœurant, la gauche a de son côté toujours été d’un sectarisme idéologique en béton armé. « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! » … La saillie oxymorique de Sain-Just, presque aussi consternante de crétinisme que le « il est interdit d’interdire » de mai 68, fut remise à l’ordre du jour. Sans qu’il soit d’ailleurs en rien nécessaire d’être un « ennemi de la liberté » pour bénéficier de l’attention de nos nouveaux censeurs, bien-entendu.
Pilotée d’une main de maître par un Julien Dray père Joseph en diable et sa clique d’ayatollahs en devenir, l’émergence sur la scène publique du sous-marin socialiste (et plus encore Mitterrandien) SOS Racisme, phagocytant à l’époque une marche des beurs –sans doute sincère et apolitique elle- détourna immédiatement de son vrai but le juste combat contre le racisme réel pour commencer à donner la chasse aux opinions jugées -mais par qui ?- trop divergentes.
Ce fut donc bien à cette époque que naquit « la police de la pensée » qui s’est depuis développée de façon presque exponentielle pour atteindre aujourd’hui des proportions effrayantes, nous étouffant désormais à coup de lois liberticides sous la chape de plomb du politiquement correct.
L’arrivée imminente de l’ex marionnette de Julien Dray, le « cataplasmique » Harlem Désir, au poste de Premier Secrétaire du Parti Socialiste est d’ailleurs le symbole éclatant ou plutôt consternant du chemin -on devrait écrire de la régression abyssale- accompli en à peine quelques décennies !
Tout a donc bien commencé en … 1984 ! Orwell, visionnaire de génie, rattrapé par la réalité française… Et ce n’était qu’un début !
2012 : la pensée unique bat le libre arbitre par KO
Ainsi donc, ils auront finalement eu sa peau… Renaud Camus n’est plus le seul pestiféré du joli petit monde des lettres françaises. Après deux semaines de campagne incessante d’une violence inouïe dans tous les journaux et sur toutes les ondes radios, nos petits censeurs de liberté d’expression, nos écrivailleurs à ciseaux auront finalement eu gain de cause : Richard Millet a dû jeter l’éponge : il ne participera plus au comité de lecture des éditions Gallimard.
Il serait assez cocasse si cela n’était en réalité simplement ignoble de constater que les sinistres cuistres qui ont mené la meute -et avec quelle agressivité, quelle haine !- prétendent l’avoir fait au nom, bien entendu, des idées de tolérance et de générosité, en courageux défenseurs des droits de l’homme… Les braves gens !
Sans doute mis en appétit par l’incontestable succès de leur précédente campagne pour l’éradication littéraire quelques semaines plus tôt d’un Renaud Camus ayant eu l’outrecuidance de dire qu’il voterait pour Marine Le Pen aux présidentielles, observons-les un peu ces courageux exécuteurs de basse police, qui se sont une fois de plus rués en masse pour brûler un homme seul en place publique : Oui, écoutons-les, et lisons-les cracher leur venin, ces Fouquier-Tinville de bastringue, ces Tahar Ben Jelloun, Jérôme Garcin, Annie Hernaux, Laure Adler, tous ces « écrivaillons tellement insignifiants que je me demande si il n’y en a pas déjà la moitié de morts » (Pierre Desproges, Le Tribunal des Flagrants Délires) et ce Jean-Marie Le Clézio, « l’inoubliable auteur de … L’inoubliable auteur ». (Pierre Desproges, idem) :
Tahar Ben Jelloun :
Sur France Inter d’abord :
[dailymotion]http://www.dailymotion.com/video/xt...[/dailymotion]
A noter -mais cela étonnera qui ?- la haine invraisemblable affichée dans cet interview par la détestable Pascale Clark : chacune de ses intervention suinte le mépris que lui inspire Millet, et elle demande sans cesse des conséquences pour le coupable, incite aux sanctions ! Elle veut du sang, en bon petit commissaire du peuple façon révolution culturelle qu’elle a toujours été. Mais évidemment on ne sévit pas sur le France Inter d’un Philippe Val et aux côtés d’une Caroline Fourest sans raison !
Et Jelloun ne s’arrête pas en si bon chemin, il en remet plusieurs couches :
« …provocation ridicule, inutile et dégueulasse »… « J’étais un peu habitué à son délire raciste, mais là il va beaucoup plus loin. La littérature ne doit pas se placer du côté des criminels et des salauds. ». Et en guise de conclusion presque déjà définitive : « Ça me gène beaucoup qu’il soit là, il faut qu’il s’en aille. Ce n’est pas possible qu’on coexiste dans une maison qui a des valeurs, des principes. On ne peut pas distinguer la technique et la morale. »
Jérôme Garcin, qui décroche peut-être dans le Nouvel Observateur, et bien qu’il y ait concours, la palme de l’ignoble :
A propos de Anders Breivik : « …ce Norvégien de 33 ans est un écrivain selon son coeur : il a de l’encre et du sang sur les mains » (sic)
Annie Hernaux dans Le Monde :
« un acte politiquement dangereux », « son idéologie, ses prises de position engagent la maison » et encore une fois songeant déjà à demander une tête : « La question d’une réaction collective est maintenant posée à tous les écrivains Gallimard ».
Laure Adler sur France Culture :
« Richard Millet fait des livres qui sont scandaleux sur le plan du respect des droits de l’Homme », puis elle aussi réclamant la sanction : « Antoine Gallimard va être obligé de prendre des décisions rapidement » et « lisons ce qu’il écrit et tirons-en des conséquences. Faire d’un tueur en série un héros de notre temps est très, très, très, très grave ».
Jean-Marie Le Clézio dans le Nouvel Observateur encore (quelle surprise !) :
« lugubre élucubration »…« Au nom de quelle liberté d’expression, à quelles fins, ou en vue de quel profit un esprit en pleine possession de ses moyens (du moins on le suppose) peut-il choisir d’écrire un texte aussi répugnant ? »
Peu leur importe à tous ces censeurs à la petite semaine que jamais Richard Millet ne fait de Breivik un héros admirable dans son fameux éloge. Peu leur chaut qu’il réprouve très clairement cette tuerie (2). Car l’heure est au règlement de compte, à l’hallali. Il est vrai que le bonhomme a pour nos bonnes âmes et depuis bien longtemps un casier déjà trop chargé. Il a toujours pensé -et écrit- en dehors des clous. De leurs clous. Sans compter ses succès d’édition et son talent de plume. On a la jalousie mesquine et tenace dans le petit monde germanopratin de l’édition française. L’occasion est donc trop belle de lui régler définitivement son compte, même si il faut pour cela faire semblant d’avoir lu un texte qu’ils n’ont sans doute pour la plupart d’entre eux pas même survolé en diagonale.
A quand les autodafés et le bûcher sur la place de Grève ?
Il ne s’agit donc plus de condamnation, de mise au pilori médiatique : il s’agit d’éradication, de mise à mort sociale : on demande -et c’est sidérant on obtient- la mort professionnelle du mal-pensant : Dieudonné, Renaud Camus, Robert Ménard, Eric Zemmour, à présent Richard Millet… Nos Torquemadas d’opérette ont toujours demandé et presque systématiquement obtenu pour l’un l’annulation de ses spectacles, pour l’autre son éjection de sa maison d’édition, pour le troisième son renvoi de Canal + et RTL… Aujourd’hui, la campagne immonde de calomnie crasse contre Richard Millet, basée sur une lecture biaisée pour ne pas dire foncièrement malhonnête de son dernier opus le pousse donc à la démission du comité de lecture de Gallimard, car quelqu’un qui « pense mal » ne saurait donc « lire bien », même si d’ évidence tout dans son palmarès d’éditeur prouve le contraire (2 prix Goncourt ces dernières années, qui pourrait en dire autant ?)
Il ne suffit plus de rejeter l’impétrant hors du champ de la raison : il faut s’attaquer à sa place dans la société des hommes, à sa situation sociale, carrément à ses sources de revenus et donc au final à son existence même.
Concernant un Eric Zemmour, s’il parvient encore et malgré tout à maintenir une certaine présence sur les médias (mais infiniment moindre qu’auparavant : viré de On est pas Couchés sur France 2, viré de débat sur France O, en partie viré de RTL – plus que deux chroniques au lieu de cinq, sauvé par des appels innombrables d’auditeurs en colère, presque viré du Figaro avant que les lecteurs là aussi montent au créneau), et après sa condamnation judiciaire invraisemblable, sa survie tient sans doute à ses incontestables succès d’audience, mais peut-être surtout au fait qu’il est très compliqué de l’accuser de fascisme et d’antisémitisme, l’arme absolue du meurtre médiatique. Et pour cause ! Pour pouvoir encore -un peu- penser de travers en France, il sera donc désormais impératif d’être juif ?
Belles âmes droits-de-l’hommistes et islamistes, même combat !
Arrêtons-nous un instant en effet à cette ubuesque et si significative coïncidence : au moment même où nos médiacrates de service hurlaient leur colère et demandaient et obtenaient la tête de Richard Millet, des barbus tout aussi hystériques, se dressaient avec la même outrance à travers le monde et jusqu’en plein cœur de Paris contre la diffusion (pourtant confidentielle) d’un film qu’ils n’avaient bien évidemment eux aussi jamais visionné !
Les hasards de l’actualité sont décidemment parfois terriblement cruels pour les tartuffes de la bien-pensance ! Mais a-t-on seulement une réelle idée de la régression intellectuelle et sociétale à laquelle nous assistons ?
ML – La Plume à Gratter
1) « Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : “Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi m’avez-vous choisi, moi, et pas d’autres gosses ?” Mais s’ils insistaient, je les caressais quand même. » Et ailleurs : « J’avais besoin d’être inconditionnellement accepté par eux. Je voulais que les gosses aient envie de moi, et je faisais tout pour qu’ils dépendent de moi. » (Daniel Cohn-Bendit, Le Grand Bazar, Éditions Belfond, 1975)
(2) Il dépeint Breivik comme « un produit exemplaire de la décadence occidentale » et dit explicitement « Je n’approuve pas les actes commis par Breivik le 22 juillet 2011 ».
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