Afghanistan : j’avais raison !
L'histoire est revenue comme un boomerang. J'avais ici longuement expliqué les activités de Davis Petraeus, le "général Téflon" sur l'uniforme duquel commençait à "accrocher" une fois n'est pas coutume, quelques sales histoires. Notamment celles le liant à un tortionnaire notoire ayant sévi jadis en Amérique du Sud, au Salvador, notamment, nommé James Steele, rappelé en urgence en Irak pour règler à sa façon (musclée) le problème de Faloudja. Ces articles ont été refusés en modération, alors qu'ils représentaient des semaines de recherche. Aujourd'hui, l'actualité me donne une nouvelle fois raison, en mettant en relief la découverte de corps mutilés près de centres de tortures afghan, après le départ des troupes US d'une de leurs bases, et la mise en avant d'un interpréte, Zakaria Kandahari, aujourd'hui considéré par Kaboul comme ayant participé lui-même aux tortures et aux assassinats. Sur le modèle des méthodes éprouvées de James Steele, celui dont j'ai décrit en détail la carrière dans les articles refusés !
C'est encore une fois une photo, celle prise par Theresa Ambrose, qui m'a mis la puce à l'oreille : figurant ici d'un afghan, appelé Shahedullah, agé de 24 ans, tenant devant lui fort dignement la photo de son frère Mohammad Qasim, dont le corps venait d'être retrouvé près de la base militaire de Nerkh (ici à gauche), dans la province de Wardak. Une photo accusatrice, tant le regard du jeune frère semblait demander justice. Le corps de son frère, mutilé, avait été découvert avec 10 autres victimes à partir d'avril dernier, après que les américains aient quitté la base, le dernier corps étant déterré le 4 juin : tous avaient disparu entre novembre 2012 et février 2013.
L'histoire avait émergé progressivement : en avril dernier, l'excellent Wired, section Danger Room sous la plume de Spencer Ackerman avait sorti un élément important de l'enquête, les première accusations,en réalité. Selon le magazine, on pouvait trouver sur place une vidéo montrant un habitant de la province de Wardak en train d'être torturé par un individu, l'homme malmené disparaissant plus tard sans laisser de traces. En cause, un groupe de soldats, dont aucun ne semblait parler américain pourtant durant les interrogatoires, faisant partie de la "A-Team" des "Special Forces", et leur interprète, présenté comme le leader du groupe et non un simple intermédiaire. Selon l'article, la fameuse "A-Team" concernée était fort spécialisée, puisqu'elle se résumait selon le journaliste à douze personnes seulement, et ne se déplaçait qu'en quads selon des témoins : le groupe avait bien toutes les apparences d'une unité spécialisée, plus proche d'un escadron de la mort que d'autre chose. L'homme présenté comme le responsable, le fameux "Kandahari" était facilement reconnaissable, toujours selon le journaliste, arborant un tatouage représentant "une épée verte sur ses biceps". Etrangement le symbole de l'unité de l'US Army Command de FortBragg... (les Delta Forces montrant une épée blanche sur fond vert).
Toujours selon l'article, les autoctochnes rendaient responsable cette unité fantôme de toute une série de disparitions inexpliquées d'afghans, après les avoir interrogés, soupçonnés ou non d'être des talibans, et jamais retrouvés avant le mois d'avril, où les premiers corps ont été découverts. Pour appuyer le tout, le président Amid Karzaï avait alors demandé aux USA de cesser d'harasser les habitants , en s'appuyant sur un exemple précis comme le racontait en février dernier le Wall Street Journal : "La dernière affaire a été en partie déclenchée après qu'un étudiant universitaire ait été arrêté lors d'un raid de nuit sur sa maison il y a près de deux semaines et que son corps décapité a été retrouvé sous un pont dans le village de Ibrahimkhil, près de Nerkh dans le district de Wardak. Selon des habitants, se sont les Forces d'opérations spéciales US et les Afghans travaillant avec eux qui avaient tué l'étudiant, nommé Nasratullah. "La tête de l'étudiant et ses doigts avaient été coupés et son corps avait été retrouvé sous un pont. Cette insécurité et la violence durent pendant six mois et force les gens à se joindre à l'insurrection », a déclaré Asadullah Wahidi, un résident du district Sayed Abad dans la province de Wardak." Tête coupée et corps suspendu à un pont, voilà qui n'était pas sans rappeler le sort de Nicolas Berg en Irak... Seraient-ce les mêmes qui auraient repris du service en Afghanistan ? Voilà qui rappelait en effet un épisode typique de la propagande bushienne, le cas de Nicolas Berg ayant été manipulé de bout en bout par l'administration américaine, ce qu'avait révélé Wikileaks.
Un escadron de la mort circulant en quads était-il en train de semer la terreur dans le secteur ? Revoilà l'ombre de James Steele qui réapparaissait en filigrane ! Les nouveaux venus, finalement, s'étaient en effet fait repérer par leur équipement incongru : les fameux quads, des "Polaris ATV", firme dont les ventes aux militaires US ont explosé après 2004, selon ses vendeurs, ravis de l'aubaine. « Le ministère de la Défense s'est approché de Polaris en 2002 pour construire un VTT spécifique aux militaires, et qui est devenu le MV700 4x4", a expliqué Burke. « La base, le châssis, et la coque et le moteur sont ceux que vous trouvez sur le Polaris Sportsman 700 cm3. Nous avons ajouté des treuils avant et arrière, un double réservoir d'essence pour un rayon étendu, des pneus à bande de roulement plate, un avant robuste et un portage arrière, une barre d'attelage commune et des choses spécifiques, plus militaires comme l'éclairage infrarouge, l'éclairage black-out, une monture pour une arme, la capacité de transporter une civière OTAN, des sacs de selle, et en plus, et nous avons renforcé le châssis, les côtés et les panneaux de plancher (...) Burke dit qu'il ya environ 1 000 MV700 VTT actifs en Afghanistan qui sont utilisés pour le soutien logistique ainsi que les opérations tactiques. Cela inclut le combat." Les nouveaux véhicules étant testés par leurs futurs utilisateurs... en Allemagne, sur les terrains d'entraînement de l'Otan. Les engins ont été photographiés plus tard in situ, accompagnant des véhicules de la nouvelle police afghane. Légers et rapides, ces engins sont réputés pour ne pas déclencher les bombes enfouies ou Ieds. L'équipement type d'une unité spécialisée !
En mai, l'histoire se poursuivait après une autre série d'articles du New-York Times, mais en provenance des militaires US qui niaient toute implication dans ce qui ressemblait bien à des actes de tortures suivis d'éxécutions sommaires, dans la droite ligne de ce qui avait été fait jadis au Salvador ou au Nicaragua. Le gouvernement de Karzaï, ulcéré, avait résolu d'envoyer sur place un enquêteur pour aller vérifier ce qui se passait. Avec à la clé de sérieuses interrogations portant sur la personnalité et les activités réelles de celui aperçu en avril sur la vidéo. "La question n'est pas de savoir si Zakaria a directement torturé et assassiné", a dit l'enquêteur. "Mais plutôt de savoir qui est Zakaria ? Qui l'a recruté, qui lui donne son salaire, ses armes ? Qui le garde sous leur protection ? Il a travaillé pour les Forces Spéciales. C'est un membre de leur équipe, il aurait été était en train de commettre de tels crimes et ils ne l'auraient pas su ? Ce n'est tout simplement pas crédible " afftrmait l'envoyé dans Empty Wheel, qui relançait la balle vers l'armée américaines et ses escadrons très spéciaux. Visiblement, entre les USA et le gouvernement de Karzaï, qui, on le sait, désire depuis toujours un rapprochement avec les talibans, et qui était alors en plein pourparlers de paix, le courant ne passait plus, en raison des activités douteuses de l'unité découverte.
Or ce 7 juillet, le responsable afghan des services spéciaux afghans, le major général Manan Farahi (ici à gauche) annonçait à la surprise générale avoir capturé Zakaria Kandahari ! Le responsable afghan en profitait pour rajouter une couche au dossier du principal concerné, en affirmant que : "tout le monde sait et vous devriez le savoir, que Zakaria Kandahari et ces gens avec lui étaient là, avec des Américains, qui travaillaient pour les Américains", a déclaré Farahi. « Qu'ils ont tué des gens par eux-mêmes ou ont été dirigés par les Américains pour tuer des gens, il faut une enquête approfondie. Maintenant que M. Kandahari est en garde à vue, la plupart de ces choses deviendront claires." Les américains se contentant de nier toute appartenance de Kandahari aux forces spéciales. Ce qui devenait plutôt fort embarrassant, à examiner ce que les services afghans ont trouvé en le capturant : "le communiqué indique que Kandahar était en possession de plusieurs armes à feu, de multiples fausses cartes d'identité, d'un ordinateur portable et d'un véhicule (on ne précise pas s'il s'agit d'un quad !) quand il a été placé en détention." De mauvaises nouvelles en persective pour les américains... pour sûr !
Car ce n'était pas la première fois que le fameux Kandahari avait été arrêté. Il l'avait déjà été... mais par les troupes américaines, en février de cette année, à la demande express de Karzaï. "Les responsables afghans ont enquêté sur les événements dans le district Nerkh, et quand ils ont conclu que les accusations sur l'équipe étaient vraies, le chef de l'armée afghane, le général Sher Mohammad Karimi, a personnellement demandé au commandant américain de l'époque, le général John R. Allen, de remettre M. Kandahari aux autorités afghanes. Selon un responsable afghan, le général Allen avait personnellement promis au général Karimi que l'armée américaine le ferait dans les 24 heures, mais la promesse n'a pas été tenue, ni une seconde promesse d'un jour plus tard pour lui remettre le lendemain matin. "Le lendemain matin, ils ont dit qu'il s'était échappé d'eux et ils ne savaient pas où il était », a dit l'officiel". Voilà qui était plutôt grossier, comme procédé, et sentait fort la manipulation.`"Echappé", la belle affaire ! Comme l'avait fait jadis un des leaders d'Al-Qaida, au milieu des 12 000 hommes de la base de Bagram ? L'homme avait été vite trouvé par l'armée US... et aussi vite relâché dans la nature, au prétexte d'une "évasion" fort bien venue !
Une manipulation qui s'expliquerait, tant le sujet serait embarrassant, note l'excellent article d'Empty Wheek, car la seconde arrestation n'est pas si récente que cela, révèle le magazine en ligne : "Zakaria Kandahar a été capturé dans une maison dans le sud lors d'un raid par des agents de la Direction Nationale de la Sécurité il ya près de six semaines et a été transféré à Kaboul pour des interrogatoires, ont indiqué des responsables. Les fonctionnaires n'ont pas dit pourquoi ils ont attendu pour annoncer l'arrestation de Kandahari. Pratiquement toutes les histoires que j'ai lu sur Kandahari semble inclure un déni par les Etats-Unis comme quoi il possède la citoyenneté américaine. L'Afghanistan continue de prétendre qu'il détient la citoyenneté américaine. L'article du Post porte une allégation selon laquelle il détient la double citoyenneté : le bureau du gouverneur de Kandahar l'a décrit comme possédant la nationalité afghano-américaine." Voilà qui serait en effet plus qu'embarassant si l'on découvrait que le responsable d'assassinats après tortures présentait aussi la nationalité américaine ! Avec les drones, on peut toujours s'en laver les mains, là, cela deviendrait beaucoup plus complexe pour le gouvernement d'Obama pour tenter d'expliquer le pourquoi du comment. Et d'avoir surtout à avouer que James Steele, à la retraite, avait trouvé sur place un nouveau remplaçant, après les terribles révélations de mars dernier du Guardian et de la BBC (*) !

24 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON