Afghanistan : la France ne doit pas fermer les yeux
Pour reprendre la distinction sémantique opérée par le chercheur Alexis Nouss, dans « Droit d’exil. Pour une politisation de la question migratoire » (Éditions MIX), il existe une distinction entre « migrants » et « réfugiés ». Alors que les premiers s’installent, les seconds fuient.
« Cribler les personnes »
Récemment, en France, on a pu juger que certains candidats putatifs à la présidentielle 2022, notamment chez Les Républicains (LR), étaient en désaccord avec la tradition d'accueil française et se positionnaient contre l’« accueil inconditionnel » des Afghans. Et ce, malgré le retour des talibans au pouvoir, qui viennent de faire tomber le dernier bastion rebelle dans le Panchir et d’annoncer leur nouveau gouvernement.
Pour la présidente de la région Ile-de-France Valérie Pécresse, il faut « arrêter l’immigration incontrôlée » et généraliser « l’asile à la frontière ». Ou bien, ajoute-t-elle, « cribler les personnes qui demandent l’asile ». La droite, à l’approche du scrutin-roi, veut muscler la politique d’accueil du pays face à ce qu’elle considère être une potentielle crise migratoire. Il faut dire que la philosophie tricolore, en matière d’ouverture des frontières, est assez fluctuante, depuis quelques années, pour ne pas dire illisible, alors que la crise afghane risque de complexifier encore un peu plus la chose.
Tandis que, depuis 2018, explique à « Mediapart » Thibaut Fleury Graff, professeur de droit international à Paris-Saclay, « il suffisait plus ou moins de prouver sa nationalité afghane pour obtenir la protection subsidiaire », cette politique d’accueil pourrait être remise en question. Avec l’arrivée au pouvoir des talibans, il est permis de penser que les combats, et donc le danger, prendront fin. Les deux attentats terroristes perpétrés à l’aéroport de Kaboul par l’État islamique auront à peine changé la donne.
« Ça se passe très bien »
La France aurait-elle encore en tête quelques ratés récents, en matière d’asile politique ? Celui de cet Irakien, Ahmed H., qui avait obtenu le statut de réfugié en juin 2017, mis en examen un an plus tard car soupçonné, non seulement, d’avoir appartenu à Daech (acronyme arabe de l’EI), mais d’en être un ancien cadre ? A l’époque de son arrestation, ruée dans les brancards chez les Républicains : voilà où nous mène votre angélisme politique, scandait-on rue de Vaugirard, au siège des LR.
A moins que ce ne soit le souvenir, dans un tout autre registre, de Moukhtar Abliazov, ancien milliardaire kazakh, dans un premier temps débouté du droit d’asile, puis finalement accepté au sein des frontières tricolores… avant d’être mis en examen en octobre 2020, quelques jours après l’obtention de son précieux sésame, pour « abus de confiance aggravé » et « blanchiment aggravé ». Circonstance aggravante, pour les autorités publiques : celui qui se présente depuis plus de 10 ans comme persécuté par son pays d’origine, serait, d’après certains analystes, un escroc de haut-vol patenté - il est poursuivi dans plusieurs pays (Royaume-Uni, États-Unis, Ukraine etc.) et aurait fait perdre à une banque kazakhe quelque 6 milliards d’euros.
Peut-être Valérie Pécresse avait-elle en tête ce type de cas, lors de ses récentes sorties médiatiques (dans le JDD notamment), fustigeant la politique d’asile de la France, agitant le spectre de l’erreur judiciaire, ou de la radicalisation comme un tract électoral à peine voilé. Une politique que s’est empressée de défendre Marlène Schiappa, la ministre déléguée à la Citoyenneté, rappelant à la présidente d’Ile-de-France qu’un triple ciblage des Afghans avait été opéré par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), avant qu’ils ne pénètrent dans le pays.
Quant à leur intégration, que Madame Pécresse se rassure, n’a pas dit Marlène Schiappa - qui a dû le penser très fort - : « Ça se passe très bien » dans la vingtaine de communes ayant accueilli des Afghans. Pour rappel, la moitié des demandes d’asile en provenance d’Afghanistan, aujourd’hui, sont effectuées par des femmes, qui fuient la charia. Il serait donc bien curieux de la part du pays des droits humains de fermer les yeux, et les frontières.
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