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Accueil du site > Tribune Libre > Afrique : de leur « révolution » à la nôtre

Afrique : de leur « révolution » à la nôtre

L’évocation récente de « crimes contre l’Humanité » marquant la dernière élection présidentielle en Côte d’Ivoire n’aura pas fait grand bruit. Notre pays si prompt à s’ériger en défenseur des Droits de l’Homme garderait toujours des frontières mentales interdisant cette mission dans les ex colonies. La françafrique aurait ses raisons et ses limites. Gardons qu’il y a peu notre Président appelait le peuple de Côte d’Ivoire (et d’autres à travers lui) à couper plus encore le cordon avec la mère patrie française. Il semble que le cordon se doive d’être coupé dans ses deux extrémités. Rendre toute leur liberté à nos ex colonies. Le vœu peut sembler pieu ou naïf. Avant que de s’interroger sur quelques révolutions sous-jacentes, revenons brièvement sur les événements récents.

Laurent Gbagbo, président ivoirien sortant (ou sorti) était donc arrêté le 11 avril dernier après une attaque massive sur sa résidence d’Abidjan. Les forces de son rival et président plus ou moins « désigné » Alassane Ouattara reposaient grandement sur les soutiens aériens et blindés de troupes françaises (jointes aux Nations Unies, l’Onuci). Laurent Gbagbo régnait depuis l’An 2000. Le ministère français de la défense admît rapidement que l'Onuci et notre force de la Licorne ont agi "en soutien de l'opération" d'arrestation. Le discernement entre droit d’ingérence et respect de la souveraineté nationale (si chère au Général De Gaulle) exige beaucoup de doigté, ou de mauvaise foi.

Avec environ 50 000 barils de production de pétrole par jour en moyenne, la Côte d’Ivoire ne peut être considérée comme un producteur aussi stratégique en Afrique que la Guinée Équatoriale (300 000 barils par jour), l'Angola (1,5 million par jour) ou le Nigéria (2,3 millions de barils par jour). En revanche, avec 40% de la production mondiale de Cacao, la Cote d’Ivoire demeure cependant le premier producteur de cette matière, juste devant le Ghana. La production nationale atteignait 1,335 million de tonnes en 2003-2004, avec une part de 1,060 millions de tonnes destinées aux exportations, notamment vers la France, à des prix avantageux. Par ailleurs, les filiales de grandes banques françaises comme BNP Paribas, le Crédit Agricole (dite sur place Société ivoirienne de banque) et la Société Générale (dite SGBCI), d'autres établissements (BIAO, BICICI) pareillement liés à nos établissements, toutes ces sociétés bancaires assurent donc une large couverture du territoire de Cote d’Ivoire. Le fait recouvre les autres pays évoqués dans la production majoritaire du cacao, et plus encore. Par exemple, l’Etat Ivoirien administre 27 filiales de « nos » Banques mutées sur place en « sociétés d’état ». Ces établissements règnent sur leur secteur, et nous avec.

Même si la misère de masse reste proportionnellement supérieure à celle de la France de Métropole (nos 10 millions survivant au seuil de pauvreté), le même évitement marque les études à ce niveau. Les images parlent d ‘elles même. Pour le moins, nos télévisions les montrent parfois, que notre « soutien » puisse sembler justifié. A moins que nous ne maintenions ces pays dans leur sous développement. Prétendre à une noble mission pour y demeurer à travers « nos » présidents plus ou moins délégués ? Gardons que l’indice de pauvreté en Côte d’Ivoire (Cf « personnes situées en dessous du seuil de développement humain admis ») s’élevait officiellement à 42,3 % de la population selon la dernière enquête autorisée (en 2004). Admissible ?La Côte d’Ivoire est classée au 92e rang sur 108 pays en développement. Le constat n’est pas brillant. Cela se serait dégradé depuis 2004. Monsieur Ouattara saura faire de son pays (un peu le notre) un paradis sur Terre. Son élection empreinte d’autant de manipulation des chiffres et des esprits que celle de son prédécesseur, est de bien mauvais augure. Notre pays n’est dupe de rien, notre peuple n’y trouve rien à redire. Si peu. Crimes contre l’Humanité compris. La Françafrique serait-elle en pleine forme ? Moins qu’avant ?

Quoiqu’il en soit elle reposerait toujours principalement sur les héritiers du réseau Foccart, nom de l’instigateur de ce système, responsable de la cellule Afrique de l’Élysée sous De Gaulle, et acteur de premier plan dans les relations franco-africaines jusqu’à la mort de ce fondateur, en 1997. Son impact se serait affaibli dans les années 80 au profit des cercles néo-gaullistes de Charles Pasqua et des réseaus mitterrandiens. Jacques Chirac hérita de ce circuit, comme du reste. Son successeur aussi. Le vainqueur de l’élection de 2012 devrait apporter peu de changement. Les peuples de ces ex colonies pourraient un jour accéder à la maturité, et nous en informer…

Dans les pays d’Afrique francophone devenus en théorie indépendants au début des années 1960, Jacques Foccart aurait ainsi mis en fonction des dirigeants "amis". Des regroupements plus démocratiques refusant la sphère d’influence de l'État français auraient été vivement « dissuadés » par des pressions économiques, diplomatiques, et militaires. Alimenter des situations guerrières n’aurait pas été choses exclues. Trouver des preuves restera impossible. Supputations ? Il n’en demeure pas moins que ce système « patriarcal » d’état limiterait le développement réel de ces pays. Des dictateurs motivés par l'État français auraient structuré une économie de rentier et de redevables permanents, reposant sur des prélèvements sur bénéfices induits par les matières premières. Les dirigeants que nous aurions contribué à installer n’auraient ainsi aucun intérêt à encourager véritablement le développement. Une théorie souvent avancée. Est-elle fondée ? Le non dit étant le code tacite accepté par tous, difficile de se faire une opinion. Le clientélisme verrait les populations dépendre inévitablement de l’État. Le cercle « vicieux » est fermé. Certains affirment, sans preuve, et pour cause, qu’une partie de l’aide publique au développement alimenterait ces fameux réseaus françafricains. Ces derniers officieraient en financements extraterritoriaux de l’Afrique. Que de conditionnel.

La présence française demeurerait indissociable du système françafricain, de part des accords de défense et contrats de "coopération" (un terme souvent inscrit à l’entête d’un Ministère). La France garderait toute son influence au travers d’officiers français participant de troupes territoriales africaines. Le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Gabon et le Tchad fonderaient l’assise incontournable de notre présence permanente. Une autorité première serait reconnue aux réseaus qui nous occupent.

A travers l’opération Licorne les mauvaises langues parlent d’une démarche « d’occupation » militaire. Le propos est excessif ! Assurer partout la protection de nos citoyens est légitime, bien sûr. Charger de plus en plus les forces nationales africaines de cette mission constituerait l’attitude de respect mutuel attendue. Traiter enfin ces peuples à égalité. Réduire l’emprise de nos forces armées au profit de l’ONUCI. Tout cela inscrit le minimum souhaitable. Devenir des facteurs d’unité et de grande réconciliation interne pour ces peuples et territoires honorerait notre pays. Que l’influence des fameux réseaus soit effective ou fantasmée, la France gagnerait à redéfinir enfin sa démarche. Les liens si anciens avec ses pays sauraient maintenir un partenariat. N'attendons pas de désespérer ces peuples.

Il y a peu Aimé Césaire était honoré au Panthéon. En 1950, dans la revue Présence Africaine, sa protestation contre le colonialisme européen, notamment Français, marqua tous les esprits. Aimé Césaire fît un parallèle audacieux avec le nazisme auquel l’Europe aura su ne pas se soumettre. Il reliait la source du racisme à celle du colonialisme. L’histoire du postcoloniale de l’Afrique aura fait apparaître les meurtres infligés par des (nos ?) dirigeants à leur propre peuple, pour peu qu’il devînt légitimement plus revendicatif. Bien des accusations allant dans ce sens marquèrent Mobutu Sése Seko (ex-dirigeant du Zaïre), Jean Bedel Bokasa (ex-« empereur » fameux de la Centrafrique), Idi Amin Dada (ex-président de l’Ouganda), Macias Nguerra (ex-dirigeant de la Guinée équatoriale) et leurs successeurs. Rendre hommage à Aimé Césaire est une chose. Partager réellement ses indignations serait plus courageux, autant que d’agir en conséquence.

Le Rwanda, francophone lors de son indépendance, évolue depuis peu vers une culture d'échange à dominante plus anglophone. Un exemple annonciateur de nombreux autres ? Les exigences et attitudes de l'ancienne puissance française coloniale relevant d‘un autre temps, cette extension d’indépendance réelle n’est plus exclue. Nos ex colonies traitent de façon croissante avec la Chine, l'Inde et l'Iran. Qu’il s’agisse de rapports commerciaux ou industriels, de prêts financiers, quelque chose change dans les faits. Les mentalités, d’abord les nôtres en Métropole, stagnent à contrario. L’autoroute Abidjan-Yamoussoukro aura ainsi été financée avec des prêts de la Banque islamique de développement et la Banque arabe pour le développement en Afrique. Des informations bien visibles sur Internet. Reste que ces pays d’Afrique ne comptent toujours pas suffisamment, sur eux même. Nous y perdons tous.

Que toute une tranche d’Histoire de nos ex colonies fût totalement dominée, ou pas, par la fameuse Françafrique, le pire échec de l’Afrique est vraiment dans cette tendance à la soumission perpétuelle à d’autres pays. Il n’est pas exclu que les peuples se révoltent bientôt contre ce manque de maturité historique de leurs dirigeants, et en partie, des nôtres. Certes, l’intervention du Président Sarkozy lors de la cérémonie d’intronisation de Ouattara marqua quelques progrès dans l’invitation adressée au peuple Ivoirien. Celle de vivre plus pleinement son indépendance. Le ton était encore assez paternaliste. L’auditoire acclama pour être lui-même habitué à une telle relation d’autorité.

Après les révolutions oranges d’ex pays de l’URSS, la couleur du Jasmin au Maghreb et Moyen Orient, la couleur Afrique pourrait bien être celle des prochaines révolutions. Notre pays aura à en vivre une intérieurement, dans le rapport au passé autant qu’à lui-même. Ce sera un enjeu plus global de 2012, bien au delà des territoires évoqués.

Guillaume Boucard.


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3 réactions à cet article    


  • amilcar amilcar 3 juillet 2011 10:37

    j’ai bien aimé le voeu pieu, et aussi le plus ou moins désigné, trop de mauvaise foi tue


    • ak47 3 juillet 2011 11:37

      50000 barils a 100 dollard, pas de quoi leur volé, ces ça ?


      • Leo Le Sage 3 juillet 2011 17:31

        @auteur
        Bonjour,

        L’Afrique ne se développera pas car beaucoup de pays n’y ont tout simplement pas intérêt.
        C’est donc un voeu pieu comme vous le dites vous même.
        On oublie souvent que l’afrique n’a pas besoin de l’occident sauf pour le savoir technique et accessoirement le financement.
        Les chinois l’ont très bien compris...

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