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Accueil du site > Tribune Libre > Ah, la folie suite 3

Ah, la folie suite 3

(Histoires vécues d’un infirmier 3)
Le mystère qui entoure la « maison de fous » ou comme la plupart des gens l’appelait l’asile psychiatrique, garde toujours ses secrets, ses tabous ; sauf pour ceux et celles qui y ont travaillé, et qui ont contribué à soulager les malades.

Souvent quand on pratique un métier à risques quotidiens, il est vital de compenser le stress qui est engendré, par un certain décalage, le jeu avec l’autre, malades et infirmières, aides-soignantes et techniciennes de surface, et aussi des cadres infirmiers, voire même des psychiatres et des psychologues.
Après des situations pénibles et difficiles, il s’opère un relâchement, besoin de décompresser, de communiquer au sein de l’équipe soignante.
Grâce aux infirmières et infirmiers très expérimentés et donc ayant vécu souvent ce genre de difficultés qui nous rassuraient en utilisant une sorte d’humour qui pouvait choquer les nouveaux qui n’étaient que stagiaires en formation.
Dans un pavillon peuplé d’une trentaine de malades chroniques, pratiquement voués à être hospitalisé à vie, aucune récompense, aucun espoir de sortie des malades de l’établissement de soins. Il fallait que les soignants puissent supporter cet état de fait. Les maîtres mots étaient stimulation par provocation, grâce à cette méthode nous pouvions sortir de leur léthargie quelques patients, pendant quelques moments.

Amené à faire la rencontre de Jean-Yves M dans le cadre, encore une fois, d’une chambre formée, après une hospitalisation difficile, quelque chose d’indéfinissable s’est passé entre nous, imperceptible pour mes collègues présents. Jean-Yves avait été reconnu responsable du meurtre de sa nièce par le tribunal, sauf qu’il avait commis cet acte, il était capable de tuer.
Lors de cette rencontre, j’ai constaté qu’il était rejeté par tous les soignants, y compris par les psychiatres. Adoptant une attitude des plus neutre, j’ai passé beaucoup de temps à l’écouter, mais il ne faisait pas mention de ce que l’avait conduit à se retrouver à l’hôpital psychiatrique pour toujours.

Après que dix ans se soient passé, je retrouvais Jean-Yves dans le pavillon où j’étais affecté ; il était toujours en chambre sécurisée, nos retrouvailles furent très chaleureuses, et m’ont permis de consolider les liens que nous avions tissé auparavant. Mon objectif de soin, le sortir progressivement de cet enferment, et pour ce faire, il me fallait m’enfermer avec lui pendant quelques heures par jour. Ouvrant chaque jour à élargir ses conditions d’hospitalisations, nous sommes enfin arrivés à lui permettre de sortir de cette cellule, petit à petit, par des sorties accompagnées dans le pavillon pour regarder le football à la salle télé.
Il acceptait volontiers de regagner sa chambre fermée à l’heure que nous avions convenu ensemble. Tous les petits plaisirs que je pouvais satisfaire pour lui étaient réalisés, comme lui procurer des jus d’orange qu’il affectionnait et qui lui procurait beaucoup de plaisir, tout comme ma présence (toujours sans blouse blanche), ce qui nous rapprochait encore plus. Par la suite, il eut l’autorisation de prendre ses repas avec les autres patients dans le réfectoire, avec bien sûr la présence des soignants. Il restait toujours le dernier à quitter le réfection pour profiter de notre compagnie.
Encore un fois la bonne humeur était au rendez-vous, le plus drôle c’est qu’il passait la chansonnette tant en aidant mes collègues à débarrasser les tables, cela procurait beaucoup de plaisir à tous.
Par la suite, il occupa une chambre ouverte au vu de son comportement adapté à la vie dans le pavillon.

Ce que j’ai narré précédemment ne représente qu’une petite partie de l’iceberg qui habite mon esprit, la partie immergée du gros glaçons dans ma tête n’est pas facile à aborder et représente une vrai souffrance, mais un défi a affronter. Après 33 ans de bons et loyaux services auprès des malades que j’ai rencontré pendant ma carrière professionnelle ; le 5 octobre 2010, je fus confronté à un individu que je ne considère pas comme un malade mental, mais comme un pervers sexuel, violeur de jeunes garçons, psychopathe, en bref un véritable prédateur ça ne se soigne pas ! Pour ma part, ce type d’individus n’ont rien à faire dans un hôpital psychiatrique.
Quand j’entends parler de la part de la justice d’injonction de soins pour des individus dénués de tout humanité et que je considère comme incurables, leur place est en prison à vie. Il faut savoir qu’un tiers des personnes emprisonnées, femmes ou hommes sont des malades mentaux !
Certes des psychiatres, des psychologues et des infirmières œuvrent dans le milieu carcéral, sans oublier les surveillants pénitentiaires que j’ai souvent croisé, tout comme les policiers, et qui font plus que le travail qu’on leur demande de faire, avec beaucoup de courage et faisant souvent preuve d’humanité e t de psychologie lors des moments difficiles à supporter.
Le jour où j’ai failli perdre la vie suite à l’agression de ce « vicelard », j’ai bénéficié de l’aide de mes collègues que ont eut le courage de me protéger et de désarmer le prédateur (arme blanche faite avec un porte-manteau en fer). Je tiens à les citer : Sandie (aide-soignante), Muriel, Sylvie, Valentine et Catherine (Techniciennes de surface) ; ces femmes courageuses sont désormais présentes dans mon esprit pour toujours.

C’est très difficile de raconter ce que s’est passé, car je ne me rappelle pas bien de cet événement traumatisant, çà s’est passé si vite que je ne me suis aperçu que plus tard que j’étais blessé aux avant-bras que j’ai mis en opposition pour protéger ma tête et mon cou contre l’arme blanche que cette « pourriture » avait confectionné, c’était une agression préméditée !
Voilà, je ne peux pas en dire plus sur cette agression, j’ai une amnésie partielle de ce que s’est réellement passé, ce qui et une forme de protection pour ne pas revivre des situations trop douloureuses.
Maintenant je suis aidé par un psychiatre depuis un peu plus d’un an. En accident de travail, je ne sors de chez moi que pour me rendre à ces consultations tous les mois, à l’occasion desquelles mon ami, mon frère, Christian est toujours disponible pour m’accompagner en ville, sans sa présence il m’est impossible de me confronter au monde extérieur. Grâce à Christian, j’ai repris goût à la vie, même après avoir perdu 20 kg en 6 mois, je faisais 2 repas par semaine en moyenne !

Mon grand regret à la suite de cet épisode qui eut put m’être fatal, c’est de ne plus pouvoir franchir les grilles de l’hôpital malgré l’envie qui m’anime encore d’exercer mon métier.
Pendant presque 2 ans, tous les patients que j’ai connu m’ont témoigné leur affection à travers des petits mots transmis par mon épouse qui travaille toujours à l’hôpital ; ces messages écrits où oraaux de la part de ces patients me tiraient quelques larmes de plaisir, je pense qu’ils me manquent peut-être autant que je leur manque.
L’hôpital psy et devenu un lieu de mon soin, on accepte d’héberger les malades non par dans des chambres, avec un vrai lit, des toilettes, une salle de bain ; mais souvent par manque de place, ils sont accueillis dans des salles télé, sans aucun confort, parfois même dans des chambres d’isolement, où ils dorment sur un matelas posé à même le sol !
De plus, actuellement, il est fréquent d’accepter d’hospitaliser des prédateurs (pervers, violeurs, etc…), ce qui a pour conséquence de mettre en danger les patients authentiques malades mentaux que l’on laisse à l’écart, que l’on ne soigne plus.
Ce ne sont pas les patients psychiatriques, enfermés dans leur bulle que feront la démarche vers les soignantes ; surtout vers des blouses blanches avec des stylos dans la poche, retranchés dans leur bureau devant l’ordinateur ou bien dans le local du personnel, à boire du café et se gaver de sucreries tout en parlant de régimes, horoscope et autres niaiseries.

Au début des années 1980, il arrivait que des internes psychiatres de garde la nuit et le jour, refusaient l’admission d’un pseudo malade et à juste titre ! Désormais, c’est l’administration qui décide, le pouvoir médical est obsolète, et nous, soignants n’avons plus la possibilité de prendre des initiatives ou des risques calculés afin d’exercer notre métier.
Les patients sont vus et surtout entendus par leur psychiatres pendant des entretiens médicaux en notre présence, parce que nous, infirmiers,avons des choses à dire pour aider le psychiatre à comprendre l’évolution du patient, car nos vivons avec eux de même que les aides-soignantes, les techniciennes de surface et aussi les secrétaires médicales qui sont souvent en contact avec les malades.

Nous sommes des fonctionnaires de l’état, certes, mais nos travaillons en équipe et aussi en quart :
Le matin de 7h à 14h40
L’après-midi de 13h40 à 21h30
Et la nuit de 21h15 à 7h30
Et c’est tous les jours de la semaine, Samedi, Dimanche et jours fériés, même lors des jours de grève, parce que la préfecture nous réquisitionne pour assurer la continuité des soins ; nous sommes aussi sollicité pour les remplacement de collègues en arrêt de travail.
Beaucoup de mes collègues sont morts avant la retraite, ou peu de temps après, d’autres ont mis fin à leurs jours peu après avoir subi une agression de travail, et ça ne va pas s’améliorer ; rappelons nous du drame de l’hôpital psy de Pau, la décapitation d’une aide-soignante et d’une infirmière pendant une nuit, pas de commentaire.
Être fonctionnaire, c’est un boulot de fainéant ? Un jour ou plutôt lors d’une nuit, ma collègue reçoit un appel pour que j’aille en renfort dans un autre pavillon ; l’infirmière qui appelait lui a demandé texto s’il y avait un homme disponible pour gérer une agitation importante, et elle répondit : « Oui, j’ai un homme, mais il est à la maison et garde nos enfants ! » Bien sûr j’ai fait ce que l’on attendait de moi, mais ça en dit long sur la pression qui régnait sur le personnel infirmier… Pas de prime de risque, même pas de merci venant des collègues qui m’ont sollicité ; et cela a duré pendant toute ma carrière de fainéant de fonctionnaire hospitalier, avec un salaire de minable comme seule réponse.

A l’époque asilaire, l’hôpital était divisé en deux parties séparées par une clôture, les malades homes d’un côté et les malades femmes de l’autre côté, pas de mixité. La logique voulait que les infirmiers soient affectés côté hommes et les infirmières côté femmes.
Suite au regroupement qui entraînât la mixité dans les services, la dichotomie perdurât, car il y avait toujours plus d’infirmiers dans les services anciennement « côté malades hommes », et plus d’infirmières « côté malades femmes ». Le service où j’étais affecté à toujours été reconnu pour la disponibilité et l’efficacité du personnel soignant, qu’il s’agisse des infirmières ou des infirmiers.
Actuellement le nombre d’infirmiers a beaucoup diminué dans tous les services, de l’ordre de 90% ; bonjour le boulot pour ceux qui restent ! Le rôle ingrat que l’administration nous impose n’est pas supportable et c’est pourquoi il existe un déficit important d’infirmiers dans les hôpitaux psy qui ne risque pas de se combler dans le future, ce qui va entraîner de gros dégâts.

A ce propos, voici un anecdote qui traduit ce que je viens d’évoquer. Pendant une nuit, j’animais une activité échec avec un patient qui n’arrivait pas à s’endormir, encore un appel en renfort pour maîtriser une patiente agitée. Or il y a plus d’infirmières que d’infirmiers dans l’hôpital, je suggère à cette personne de chercher personnel féminin dans d’autres services ; d’ailleurs je ne pouvait pas quitter mon poste de travail, ayant une situation délicate à gérer dans le pavillon. Demandant qu’elle état la pathologie de la patiente, il me fut répondu que cela ne me regardait pas !? Dés le lendemain matin, je fus convoqué au bureau de ma cadre supérieure qui avait été informée de l’incident par la directrice du personnel, elle-même alerté par le cadre supérieur du service demandeur du renfort. Catherine (Cadre Sup) m’a défendu devant la directrice du personnel, expliquant qu’il était hors de question de me poser des problèmes, et je l’en remercie chaleureusement.
En 1979, 3 mois après mon arrivée dans l’hôpital psy en tant que stagiaire, dont en formation, je fus appelé en urgence dans le pavillon d’admission du service pour mettre une patient en isolement. Cette malade avait réussi à sortir de la chambre d’isolement où elle se trouvait en passant par la lucarne de la porte qui était en verre armé de 1.5 m de haut et 40 cm de large. Elle se promenait dans le couloir armée d’un morceau de verre de 1.5/40 menaçant les patients et le personnel. A mon arrivée 8 infirmières étaient présentes, j’étais le seul « infirmier » (stagiaire, non diplômé et inexpérimenté) Il a fallu que je désarme la patiente, tout seul, ce qui fut fait mon sans mal, puis nous l’avons placée dans l’autre chambre isolement avec prescription d’une injection de produits calmants pour l’apaiser. Il a fallut donc la contraindre physiquement pour faire l’injection, maintenant les bras perdant que mes collègues s’occupaient du reste du corps, ensuite je suis retourné dans mon pavillon, cela se passait un dimanche après-midi.
Dés le lendemain matin, la psychiatre qui avait en charge la patiente de la veille me convoque dans son bureau afin que je m’explique sur les faits d’hier après-midi !? Lors de notre entretien, elle me signifie sans ménagement que cette patiente m’accusait de l’avoir violée lors de l’intervention !! 8 infirmières étaient présentes avec moi, mais la parole perfide de cette hystérique valait plus que celle de mes collègues et de la mienne. C’est comme si l’on m’avait poignardé en plein cœur ; de retour dans mon pavillon, je suis tombé en larmes dans les bras de mon cadre infirmier, puis le doute s’installait en moi, pourquoi continuer à travailler dans ce panier de crabes ?
Certes mes collègues m’ont encouragé à continuer, cependant, en remontant dans le temps, jais fini par comprendre ce qui m’avait attiré dans ce travail, malgré tous ces obstacles.
Peu après ma naissance, on m’hospitalise pour être opéré d’une hernie inguinale ; à l’âge de 4 ans, une épidémie de poliomyélite fuit déclarée dans un périmètre autour de la ville de Bolbec où j’étais scolarisé ; encore hospitalisé à l’hôpital du Havre, ce fut un moindre mal en comparaison au sort des autres personnes qui furent comme contaminées par ce virus, ils ont tous décédé. Pour ma part, après 1 an et demi de soins à l’hôpital lorsque j’étais paralysé des membres inférieures, il m’a fallu encore deux années de rééducation pour recouvrer l’usage de mes jambes.

Ce dont je me souviens de cette hospitalisation c’est de bienveillance maternelle des infirmières à mon égard. Ces femmes ont joué un rôle important dans ma guérison, et ont été décisives pour me permettre de garder un moral positif qui m’anime encore ; encore merci à toutes ces femmes exemplaires qui ont certainement contribué à mon choix professionnel, être infirmier et vouloir aider l’autre qui souffre.
Surprise avec le patient écossais ; arrivé comme un cheveu dans notre soupe ; après un voyage pathologique qui l’a conduit dans notre service. Ce jeune homme était à la recherche de sa mère, française, originaire de la Normandie.
Il était persuadé de cela, et il a développé une sorte de délire psychotique ; ne sachant pas parler notre langue, la communication s’est avérée compliquée car mes collègues ignoraient l’anglais !
Tout naturellement il se tourna vers moi, qui maîtrisais l’anglais ; nous eûmes de nombreuses conversations (souvent à sa demande) à la suite desquelles je traduisait ses dires à mes collègues soignantes.
Après quelques semaines, il était capables d’être autocritique et remettre en question son comportement qui l’avait entraîné dans un périple délirant. Un jour, il acceptât de retourner chez lui en Ecosse ; la veille de son départ, il avait l’air serein, rassuré, et il m’a dit : « You will miss me Philippe », puis il m’a chaleureusement étreint dans ses bras, la traduction c’est « tu me manques Philippe ».
Que d’émotion, mais quelle satisfaction personnelle et professionnelle ! Comme quoi c’est très utile de parler d’autres langues. Parfois nous parlions en cette, lui en Erse et moi en Breton ; cet échange linguistique original le rassurait parce qu’il savait qu’il pouvait compter sur quelqu’un qui lui ressemblait.

L’histoire de Didier H fut riche en expérience pour moi, alors en 2ème année de formation et travaillant dans une petite structure extra-hospitalière appelé « Club thérapeutique ». Mes collègues infirmières, aide soignantes, internes en psychiatrie, psychologues, formation une équipe homogène et solidaire, à une époque de révolution dans le monde de la psychiatrie, une façon de remise en cause systématique de notre pratique.
Ce fut une opportunité fantastique pour apprendre tant dans la théorie que dans la pratique, c’était comme un laboratoire, toutes nos expériences de soignants étaient remises en question, débattues en équipe, nous permettant d’évoluer positivement ensemble.
Didier H présentait de graves troubles de nature psychotique, il était renfermé, très difficile d’abord ; la communication pratiquement nulle au début se transformât en complicité tacite, grâce à la dérision, l’humour pour tenter de le sortir de sa protection qu’il avait dût mettre du temps à construire.
Au final, Didier H nous faisait confiance, à ma collègue Marie-jeanne et à moi ; au fur et à mesure nous arrivions à nous parler plus facilement. En réalité nous avions cassé, brisé les défenses qui le protégeait des agressions extérieures.
Le problème auquel nous n’avions pas pensé, c’est que nous n’avions rien à lui proposer pour remplacer cette protection qui était la sienne.

Résultat, il devint hyper lucide et donc hyper angoissé ; dans ce contexte, il a tenté d’en finir avec cette vie devenue insupportable, et il a avalé de la soude liquide, la vomissant sur la couverture de son lit qui a été trouée par l’action de la soude qui est donc passée deux fois par son œsophage ! Ensuite il s’est défenestré du troisième étage de son logement, toujours vivant, transféré en urgence au CHU, il a été opéré et son œsophage a été remplacé par un tuyau en plastique, il est resté plusieurs mois en soins intensifs.
Nous étions présents, Marie-jeanne et moi, à son chevet peut de temps après son réveil ; il ne pouvait pas encore s’exprimer oralement, mais manifestait sa présence consciente par des expressions, des mimiques, mais surtout à travers son regard très expressif, quant à nous deux nous lui communiquions notre émotion, notre bienveillance à son égard.
Tous les jours, après notre travail, Marie-Jeanne et moi allions le voir au CHU, pendant deux mois environ. C’était important pour Didier H, tout comme pour nous qui culpabilisions. Nous étions très heureux lorsqu’il est sorti du CHU, prenant le relais dans sa prise en charge psychologique, dans une structure intra-hospitalière spécialisée dans les soins aux jeunes psychotiques, où nous l’avons accueilli et où il s’est passé des choses importante pour lui.
A cette époque (1980), il était possible de créer une autre forme de travail avec un nombre limité de jeune psychotiques et autistes (environ 6). Ces patients étaient pris en charge 24h/24h ; l’équipe infirmière devait donc s’organiser en trois quarts : matin, après-midi et nuit, ce qui est impensable depuis les années 2000 !

Le but n’était pas de guérir mais de soigner, d’abord les soulager de leur souffrance, ce qui fonctionnait très bien et nous poussait à continuer dans ce sens. Didier H se sentait bien dans cet environnement stable, il gagnait en autonomie, ce qui est la promesse d’une sortie possible de l’hôpital dans de bonnes conditions, avec un suivi extra-hospitalier, et cela le motivait pour s’ouvrir aux autres, malgré ce qu’il venait de « vivre » auparavant.
Suite à son opération de plastie œsophagienne, Didier H se nourrissait grâce à une sonde de « garage » et une grosse seringue car il ne pouvait ingérer que du liquide.
Au sein de l’équipe infirmière, il arrivait parfois, surtout le dimanche que nous apportions de quoi se faire une bonne bouffe entre collègue. Un dimanche matin nous étions deux infirmiers entre qui le courant passait bien, chacun avait apporté ce qu’il fallait comme denrées à cuisiner, dont une très bonne bouteille de vin que j’avais mis à décanter dans la cuisine réservée au personnel soignant.
La porte de notre cuisine est restée ouverte pendant quelques minutes, cherchant Didier H dans les différentes pièces du pavillon, je suis tombé sur lui en revenant à la cuisine, il avait bu grâce à sa seringue nourricière, environ 1/3 de la bouteille de vin intra-tuyau, donc sans le déguster avec ses papilles gustatives, son palais. Il m’a regardé avec ce sourire qui traduisait un plaisir réel chez lui ; m’interdisant de briser cet instant de vrai bonheur ; tous deux souriants, nous avons regagné le groupe sans parler de cet incident (complicité tacite).
Par la suite, muté dans un autre service, je n’ai plus eut de nouvelles de Didier H, j’espère qu’il a retrouvé la quiétude de l’esprit auprès de sa mère et qu’il m’a plus besoin d’avoir recours aux bons soins de l’asile psy dans le sens mobile du terme.
Cette expérience m’a appris beaucoup plus de choses que j’en aurai pendant les cours qui nous étaient prodigués à l’école de formation des infirmiers psy.

Passer de Charybde en Scylla, comme Ulysse dans l’odyssée de Homère n’est pas chose aisée, mais plutôt risquée. Cela m’est arrivé un midi, alors que je donnais son repas à Mustapha, accompagné de deux aides-soignants appelés en renfort, car Mustapha était en chambre d’isolement depuis une semaine et était impatient d’en sortir.
Pourtant le courant passait bien entre nous, grâce à la plaisanterie qui rendait nos relations très facile. Psychotique délirant, sur un mode paranoïaque, il fallait bien peser les mots que nous utilisions afin d’éviter toute réaction violente de sa part, ce qui pouvait nous surprendre sans qu’on s’y attende.
Pendant qu’il prenait son repas, un appel téléphonique de ma collègue Gaëtane, qui travaillait à l’étage en dessous, me demande devenir de toute urgence à la rescousse, car un patient ne voulait pas sortir du réfectoire et avait l’air menaçant et proférant des menaces à l’encontre de personnel soignant.
Il était impensable que je laisse Mustapha avec deux aides-soignantes qu’il ne connaissait pas, je proposais à un des deux aides-soignantes de me remplacer pour cette intervention au rez-de-chaussé. Quelques minutes plus tard, Gaëtane arrive dans la chambre d’isolement pour me supplier d’aller voir en bas et tenter de régler le problème avec Bruno, le patient opposant.
Nous expliquons à Mustapha que je ne m’absente pendant 5 minutes et Gaëtane prendra ma place, il accepta aussitôt, sachant qu’elle était capable d’assurer, il y avait de la confiance entre eux.
Quelle surprise lorsque j’arrivais au réfectoire du rez de chaussé ; dans un coin du réfectoire se tenait Bruno, un patient épileptique, capable d’être très agressif lors d’une simple contrariété. Mais nous nous connaissions très bien, ce m’était pas la 1ère fois que nous avions rencontré ce type de situation très délicate.
Dans l’autre coin du réfectoire (côté cuisine), protégées par le chariot de vaisselle qui sert à débarrasser les tables après le repas, semblant terrorisés, une dizaine de soignants et Catherine, ma cadre infirmière paraissaient totalement impuissants devant cette situation, alors que faire ??
Tout de suite, je ressentis cette angoisse collective, l’attitude qu’il me fallait adopter devait être à l’inverse. Évacuant ma propre angoisse et avec le sourire, me dirigeant vers Bruno, osant la chaleur humaine, je lui pose la main sur l’épaule et lui murmure à l’oreille des mots rassurants, tels que « Tu m’as pas l’air très bien Bruno, je ne voudrais pas que tu fasse une nouvelle crise d’épilepsie, ce ne serait pas bon pour toi, ce serait raisonnable que tu te reposes un peu dans ta chambre, je viendrais te voir dans 5 minutes, allez, viens avec moi ».
Sans le prendre par le bras, il me suivit tranquillement vers sa chambre, une fois sécurisé, son angoisse a diminué et il s’est couché ; tout étant réglé, je remonte à l’étage retrouver Mustapha, nous avons fumé une ou deux cigarettes à la fenêtre de la chambre d’isolement, sachant que personne ne viendrait vu ses conditions d’isolement s’améliorer et après quelques jours, il sortit définitivement de l’isolement, c’est bien sûr le médecin psychiatre qui a donné son accord.

Un patient, quelle que soit sa pathologie, arrive en chambre d’isolement dans des conditions très anxiogènes ; parfois après avoir été maîtrise par plusieurs soignants. L’isolement ne signifie pas l’abandon, au contraire, c’est une solution pour le protéger contre lui-même, et c’est pourquoi il a encore plus besoin d’avoir une présence soignante, ce qui implique des visites fréquentes synonymes de bienveillance à son encontre, par lui faire entrevoir une sortie possible en fonction de l’amélioration de son comportement.
Selon mon expérience, force m’est de constater que jamais je n’ai rencontré un malade mental qui soit bête et ce durant 35 ans, en travaillant de jour comme de nuit, à raison d’au moins trois interventions difficiles dans tous les pavillons de l’hôpital psy chaque semaine !
Bien entendu, cette profession a été choisie par ceux qui l’exercent ; souvent nous y prenons du plaisir, et on apprend tous les jours quelques choses de ces relations très humaines avec ceux que l’on soigne et aussi avec nos collègues.
Il me semble avoir oublié de citer Socrate et son syllogisme célébré que j’ai évoqué en parlant de Mr Ahmed. M, à savoir :
« Les chevaux bon marché sont rares.
Les choses rares sont chères.
Donc les chevaux bon marchés sont chers ».
Sauf que l’on ne peut pas comparer une choses à un animal, un cheval n’est pas une chose…
Un jour lorsque j’avais environ 12 ans, ma mère institutrice, m’a demandé si je savais différencier le timide, le lâche et le courageux parmi les personnes de mon entourage, en cas de danger immédiat ?!
Comment ces trois personnalités vont-ils réagir face à un danger vital ?
Le danger provoque la peur de mourir, cette peur envahit l’esprit, que faire ?
Après mûre réflexion, voici qu’elle fut ma réponse :
Le Timide a peur avant le danger, le Lâche a peur pendant le danger, le Courageux a peur après le danger parce qu’il revit l’épreuve qu’il vient de subir…

Philippe Stéphan


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11 réactions à cet article    


  • Philippe Stephan Christian Deschamps 21 août 2015 14:41

    n’importe quoi la parution des articles
    je veux parler au chef... smiley 


    • Le p’tit Charles 22 août 2015 07:41

      Chaque asile psychiatrique à sa particularité...pas deux qui se ressemble..Ce sont de grands « Paquebots » à, la charge de la direction et des personnels soignants... !


      • Philippe Stephan Christian Deschamps 22 août 2015 09:16

        @Le p’tit Charles
        J’aime bien la comparaison avec un paquebot ceci est fort judicieux .
        c’était encore plus vrai dans les années 50 ou les médecins chef étaient les commandants de bord et le personnel les exécutants ;vraiment trop hiérarchique à mon gout,les choses on un peut changés et tout dépend des hôpitaux,il y avais aussi de grosse différence de management suivant les médecins chef.Après mai 1968 pas mal de chose on bougé aussi.


      • Le p’tit Charles 22 août 2015 09:38

        @Christian Deschamps...hélas..les « Mandarins » sont toujours là et font la pluie et le beau temps...surtout beaucoup de gaspillage.. ?


      • Philippe Stephan Christian Deschamps 22 août 2015 10:57

        surtout beaucoup de gaspillage..
        .
        pas tant que cela,il y avait aussi les vols comme partout,drap,couverture,petites fournitures médical
        bandes sparadrap etc...et évidement des médicaments,
        les infirmières prenaient cela pour des bonbec, je déconne....l smiley
        les médicaments c’est plus surveillés maintenant et les commandes sont informatisées.


        • gaijin gaijin 22 août 2015 13:48

          @Christian Deschamps
          « les infirmières prenaient cela pour des bonbec, je déconne »
          tant que ça ?
          parceque s’il y a un problème majeur dans les hp c’est bien celui de la gestion de l’émotionnel des soignants .......qui ne sont ni formés ni préparés a ce qu’ils vont devoir affronter au quotidien et qui ferait reculer un sergent de la légion
          pas étonnant s’ils finissent en vrac ......


        • Philippe Stephan Christian Deschamps 22 août 2015 16:33

          @gaijin
          Oui il y a des soucis de ce coté là .
          des toxicomanies médicamenteuses,alcoolisme.tabagisme ;des suicides aussi.
          Une nana de ma promotion qui était témoin de Jéhovah,elle n’a pas du encaissé les théories de Freud sur la libido,je déconne un peu mais c’est sans doute l’ensemble qui a déclenché le processus.
          Un infirmier victime d’une agression hyper-violente (il est presque mort) il c’est suicidé chez lui.
          souvent les victimes de grosse agression physique sont très mal après,une amie de ma promo qui
          de dépression en dépression s’était défenestrée de 3 étages elle s"en est sortie avec une infirmité,héroïne et compagnie pendant longtemps et a fini avec des barbituriques il y a quelques années.pas mal de cancer du au tabac.pas mal de démission chez les mecs.Une autre amie
          c’est pris 11 coups de couteau a bout rond heureusement mais toujours les cicatrices elle s’en est remis étonnamment bien.
          .On ne s’ennuie pas . smiley


        • Philippe Stephan Christian Deschamps 22 août 2015 16:56

          @gaijin
          . une bonne
          Un infirmier que je connait très bien se pointe au boulot un matin
          en prenant le café une infirmière lui fait remarqué qu’il bavait pas mal
          il fini par dire effectivement qu« il se sentait fatigué depuis plusieurs semaines et dormait beaucoup
          Les baveux en psychiatrie on connait ,une petite discutions avec les pro et le diagnostique était
          posé,intoxication et surdosage de psychotropes.
          C’était sa compagne, infirmière elle aussi qui lui versait de l’ Haldol .(volé a l »hosto)
          (ce produit est incolore et inodore ) dans ses boissons pour être tranquille le soir .
          Il a eu du bol de pas se planter en voiture. c’est vachement puissant ce produit.
          Divorce immédiat
          Les femmes sont mignonnes...  smiley


        • gaijin gaijin 22 août 2015 17:28

          @Christian Deschamps
          en effet pas mal ....... smiley


        • sery 22 août 2015 16:54

          une petite , une minime , une insignifiante pensée pour les patients victimes d’autres patients aurait grandit vos articles...
          vieillis bien..
          pas comme d autres..


          • Philippe Stephan Christian Deschamps 22 août 2015 17:12

            @sery
            Oui il y aurai pas mal de chose à raconter sur ces faits,et sur les auto-mutilations aussi.
            .
            les patients dangereux sont isolés le plus souvent ou en pavillon de force.
            c’était plus chaud avant les psychotropes et les coups partaient un peu dans tout les sens,
            certain malades qui ont connus l’époque des rapport physique avec les infirmiers et les autres malades disent qu’ils préférait cette époque, qu« ils se sentait moins castrés.
            .
            a saint Anne il y a eu un sacrée coup dur dans les années 80-90.un malade en a tué dans des circonstance particulièrement atroce plusieurs autres et l’infirmier de nuit ce qui lui a permis de délirer
            toutes la nuit avec les restes humains,c’était pas jolie a voir pour l »équipe du matin...

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