Aimés, soutenus, utilisés ?
Même si je n'apprécie pas toujours l'humour de Charlie hebdo et n'en suis qu'un lecteur occasionnel, j'ai décidé d'aller à la manifestation d'hommage à toutes les victimes du terrorisme et en soutien à la liberté d''expression et, surtout, au droit au blasphème.
A ma grande surprise, parmi les invités à cet hommage, on trouve des personnalités avec lesquelles je n'ai jamais manifesté, contre lesquelles j'ai pu manifester, dont je ne partage aucune idée. On a beaucoup discuté de la présence de Marine Le Pen et du FN à une telle manifestation. Certaines présences sont au moins aussi discutables.
Je peux manifester avec des personnes dont je ne partage qu'un seul point de vue, celui de la manifestation. Mais aujourd'hui, je crois entendre des voix : « c'est dur d'être aimé par des cons ».
Aimés ? C'est beaucoup dire. Aimé post-mortem. Et encore.
Soutenus ? On peut en douter quand on voit la brochette d'hypocrites. Pour la liberté d'expression ? Pour le droit au blasphème ? Dans la longue liste des invités, certains ont fait tuer des journalistes et beaucoup auraient facilement embastillé ceux de Charlie dans leur pays. Ce qu'ils font d'ailleurs avec leurs journalistes.
En citer quelques uns ? Une injustice qui ferait des jaloux s'ils lisaient ce billet : le Premier ministre turc, le ministre russe des Affaires étrangères, le président gabonais, le ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis...
Surtout utilisés pour désigner le responsable de tous nos maux, le « terrorisme islamiste » et ainsi se dédouaner de toute responsabilité politique, sociale, économique, militaire dans la situation nationale et mondiale !
Parmi les participants à la courte marche des notable, certains sont en période électorale et le Premier israélien qui avait accepté de ne pas venir, a changé d'idée quand il a su que deux rivaux lors des prochaines élections seraient présents. Ce n'est pas le seul à avoir joué des coudes pour être en première ligne devant les projecteurs.
Au delà du rôle qu'il a parfaitement joué, de président de tous les citoyens, de garant de la sécurité de tous les résidents, François Hollande a su, semble-t-il, agir, trouver les mots et les gestes adaptés à la situation. Encore, le président de la République aurait-il pu se rendre dans une institution juive, laïque, plutôt que dans une synagogue.
On peut se demander cependant si les invitations n'ont pas été trop largement lancées. Le nombre est un peu disproportionné avec l'importance de l'événement. Mais la marche de Hollande à la tête de la troupe de chefs d’État et de gouvernement dans les rues de Paris a rappelé que le « capitaine de pédalo » a su tenir la barre dans ces moments difficiles. Ces invitations larges cacheraient-elles quelque machiavélisme pourentraîner publiquement des « amis » sur uneligne qui n'est pas exactement la leur ? Défense de la liberté d'expression, du blasphème, de la laïcité... C'est peut-être ce qui apoussé l'Arabie saoudite et le Qatar à décliner l'invitation.
Il est certain que cet « hommage spectaculaire » à Charlie et aux victimes assassinées n'est pas interprété par tous de la même façon. Les uns y voient un soutien à la lutte pour la liberté d'expression, pour la laïcité, pour le droit au blasphème. D'autres, devinent derrière l'affichage de ces valeurs, un soutien à l'interventionnisme occidental, une machine de guerre contre l'islam et les musulmans du monde entier, surtout avec l'invitation faite au secrétaire de l'OTAN. D'autres ont pu y voir l'efficacité de l'action tragique de « 3 Robin des bois » égarés mais déterminés (1).
Heureusement, le rassemblement de millions de personnes a commencé, avec une certaine spontanéité, dès le premier jour, sur de nombreuses places de France. Et le silence qui dominait et englobait les discussions sur la place de la République à Paris, le mercredi, témoignait de la présence nécessaire et consciente de chacun. Il se passait quelque chose.
La naissance et la diffusion par la capillarité des réseaux de « je suis Charlie », sans agence de communication, par des personnes qui connaissaient ou non « Charlie hebdo » ou même qui ne l'aimaient pas particulièrement montre bien que la réaction populaire était encore plus forte que l'événement. Et les politiques n'ont fait que suivre, habilement, avec la présence ostentatoire et, en même temps, bienvenue des gouvernants.
Car il est important d'entendre les mêmes paroles, apaisantes, venant de bouches très différentes, même quand on sait qu'elles sont de circonstance. Un peu contraintes par les millions de personnes descendues dans les rues.
Il ne faut pas oublier cependant les incidents qui prouvent l'existence de résistances, de confusions, amenant les uns et les autres à prendre du recul par rapport à un unanimisme soudain : non participation à l'hommage, simplement par peur, par refus de cautionner une certaine « récupération » ou par opposition, actes contres des lieux de culte musulman par confusion entre islam et islamisme ou par rejet de l'islam.
Mais il ne faut pas se mettre martel en tête. A condition de ne pas se laisser entraîner quand reprendront, après demain, les déclarations et les préoccupations politiciennes d'avant hier.
DES MESURES ! QUELLES MESURES ?
Devant l'habileté de François Hollande dans la gestions des événements, qui semble reconnue par tous. Devant l'importance de la mobilisation. Devant la force à la fois indignée et calme qui émanait des manifestations. Devant l'affirmation sereine et l'attachement aux valeurs démocratique, liberté, égalité, laïcité. Politiques et politiciens retiennent leur souffle. Et leurs déclarations. Pour combien de temps ?
Car tous pensent que des mesures sont à prendre. Et ce sera alors le moment d'en découdre. Certains commencent à demander un « patriot act » (législation mise en place aux États-Unis après le 11 septembre) « à la française » bien entendu. Dont aussi bien le Figaro que le Monde ont rappelé et les échecs et les excès. Tous imaginent de nouvelles mesures répressives alors que les dernières lois contre le terrorisme datent de quelques mois et ne sont pas toutes entrées en application...
Mais peut-on penser que les futurs Kouachi ou Coulibaly seront arrêtés par une multiplication des lois répressives dont l'échec, parce qu'il ne touche pas aux causes, pousseront à de nouvelles lois répressives qui....
Il faut déjà remarquer que dans l'inconscience comptable du moment, quand il n'était question que d'économies, le nombre de fonctionnaires de police a été réduit (12 000 postes supprimés). Aujourd'hui, il est fait appel à l'armée : est-ce un progrès ? Est-ce une économie ?
Les services de police et surtout de renseignements ont été réorganisés récemment. Mais le Premier ministre a du reconnaître, comme tout un chacun, des failles. Les terroristes, de Mohamed Merah aux frères Kouachi en passant par Mehdi Nemmouche, étaient connus des services de police, fichés, « surveillés » et... très actifs. Certes d'autres terroristes potentiels ont été neutralisés, des actions ont probablement été évitées et il n'existe pas de risque zéro. Mais, ces dernières années, les failles ont été payées au prix fort.
Sans compter le nombre de jeunes qui – 3 000 ? - sont partis de France pour aller au Proche-Orient. Comme la compagne de Coulibaly !
Tous ces jeunes sont, le plus souvent, nés ici, ont été scolarisés, socialisés ici. Il sont issus des quartiers populaires dont on parle depuis longtemps mais dont la situation ne change guère.
Souvent des délinquants, petits ou grands, dont certains se tournaient vers l'islam et sortaient de la délinquance à la satisfaction des autorités. Tandis que d'autres, insatisfaits, se tournaient vers l'islamisme. Qui leur permet de lutter contre les injustices ressenties, ici dans leur vie quotidienne et là-bas par leurs coreligionnaires. Un islamisme qui donne un sens à leur vie (et à leur mort) et permet à certains d'aller plus loin, dans un engagement, dans une action dangereuse qui les sortira d'un monde qui n'a rien à leur offrir (1). Souvent après des passages par la prison où ils ont pu, semble-t-il, se former et s'aguerrir. Prendre une autre stature.
Il est évident et heureux que tous les jeunes placés dans les mêmes conditions ne suivent pas la même route. Mais on a trop tendance à se satisfaire de cette situation tant qu'elle n'explose pas d'une façon ou d'une autre. Or ces conditions favorisent toutes les dérives. Et les circonstances actuelles, exceptionnelles, ne vont pas les changer par la magie du verbe ou d'une manifestation fut-elle exemplaire. Car le chômage est maintenant installé depuis des années et ne cesse de croître. Et les discriminations perdurent.
Des millions de personnes sont sorties dans les rues et sur les places publiques pour rappeler les fondamentaux du vivre ensemble en France. C'est important. Mais cela ne suffit pas si cela ne se traduit que par de mesures répressives, par des déclarations de guerre.
Si une partie importante de la société n'est pas capable de se soulever, d'appeler à un changement profond, de montrer que, pour elle, cette situation, du chacun pour soi, est insoutenable.
Les discours « bisonours » et les prisons n'y feront pas grand chose. Tout restera comme avant !
1 - Le « djihad mondialisé » est pratiquement la seule idéologie globale disponible sur le marché aujourd'hui, comme la révolution était l'idéologie standard des jeunes en rupture dans les années 1970. On ignore simplement la profonde continuité du terrorisme islamique avec cette culture jeune de la violence et du fantasme de toute-puissance, celle de l’effet Columbine aux États-Unis, celle qui explique le succès de films comme Scarface dans les banlieues, sans parler des jeux vidéo ou de Tueurs nés.Olivier Roy : « La communauté musulmane n'existe pas ». mediapart 13/01/15
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