Alamogordo, l’anthropocène et les technofossiles
Les fossiles d'une nouvelle ère géologique continuent de s'accumuler, comme des couches de sédiments qui au fil du temps se solidifient en strates. Cette nouvelle ère, c’est l'anthropocène.
Le géologue Jan Zalasiewicz de l'Université de Leicester est le leader d’un groupe chargé de faire une étude sur l’impact de la présence humaine sur notre planète. Ce groupe de vingt-quatre chercheurs vient de publier une compilation de ses travaux dans le n° du 8 Janvier de « Science ». "Un véritable phénomène géologique se déroule, il est toujours en cours. À bien des égards, il s’accélère même actuellement."
L'époque géologique actuelle qui remonte 13 000 ans, quand la dernière glaciation a cessé et que la fonte des glaces a élevé le niveau de la mer d’environ 120 mètres, est appelée Holocène, c-à-d "très récent". Au cours de cette transition, le niveau de dioxyde de carbone dans l'atmosphère a augmenté d'environ un millionième par siècle. Aujourd’hui, le niveau de CO2 augmente de deux millionièmes par an, et plutôt que de retourner lentement à un nouvel âge de glace, le monde est devenu plus chaud que jamais, ce qui continue à faire fondre la glace. L'augmentation rapide de l'excès de CO2 provient de la combustion accélérée d’éléments fossiles et de l'exploitation des sols par une espèce qui est apparue il ya environ 200.000 ans : Homo sapiens.
Le développement rapide de la technologie, de la démographie et de la consommation des ressources a augmenté l’impact de l'humanité, en particulier après 1950, période considérée comme point de départ d’une "grande accélération." Les hommes ont créé de nouveaux matériaux non dégradables, allant des alliages de cuivre aux matières plastiques qui formeront à long terme, des « technofossiles."
La quantité de béton produite serait suffisante pour couvrir chaque mètre carré de la surface du globe d’un kilo de ce matériau de construction. La quantité de matières plastiques produites chaque année pèse aussi lourd que les sept milliards d'humains qui peuplent la planète. En 70 ans la chimie moderne a libéré autant d’azote que pendant les 2,5 milliards d'années précédents. On retrouve maintenant dans les sédiments des lacs tropicaux et au milieu de l'océan Pacifique des microparticules de suie issues du charbon, du pétrole et du gaz naturel.
En conséquence, les auteurs de l'étude affirment que la Terre est entrée dans une nouvelle époque qui est "fonctionnellement distincte de l'Holocène,". L'humanité a même reconfiguré le cours de l'évolution future en déplaçant des plantes et des animaux partout dans le monde ou en éliminant certaines espèces, y compris les marqueurs biologiques utilisés pour définir des intervalles de temps qui divisent les 540 derniers millions d'années.
En fait, le professeur Zalasiewicz propose une date très précis comme début de l'anthropocène : le 16 Juillet 1945, date du premier essai de bombe atomique à Alamogordo, Nouveau-Mexique, début de la propagation d'éléments radioactifs rares comme le plutonium dans le monde entier, essaimant ainsi des radionucléides manufacturés qui seront détectables pendant au moins 100 000 ans.
"Beaucoup de gens trouvent qu'il est difficile d’admettre qu'une époque de si courte durée puisse être reconnue de manière formelle dans les successions géologiques » a déclaré le stratigraphe Colin Waters du British Geological Survey, principal auteur de la nouvelle analyse. L'anthropocène est peut-être un nouveau nom, mais ce n’est pas une idée nouvelle ; l'Holocène supérieur a aussi été appelé Poubellian. Tout le monde n’est pas convaincu que la distinction d’une nouvelle ère soit une bonne idée. Certains ont tendance à surestimer l'influence humaine, d'autres pensent que de grands changements comme les extinctions de masse ou le changement climatique doivent encore arriver, d'autres encore se demandent si les géologues sont plus compétents que les archéologues pour décider que l'anthropocène supplantera ou non l'Holocène, étant donné que les impacts humains remontent à des milliers d'années.
« Comment les documents historiques et géologiques pourraient-ils fusionner ? À partir d’un moment de la chronologie, que ce soit le début de l'anthropocène, la fin de l'holocène ou une autre date arbitraire, l’enregistrement dans la roche et dans l'histoire humaine correspondent. Pour enregistrer les événements géologiques à l'avenir, il semblerait judicieux de passer à l'échelle de temps humaine liée à un certain point de croisement (qui peut être trouvé dans les roches récentes) de "changement radical du système de la Terre entière," a poursuivi Colin Waters. L'anthropocène peut exister, mais est-il pertinent d’en faire une catégorie en termes de géologie ?
« L'anthropocène est un concept récent et nous travaillons dessus comme des artisans, le soir, dans nos moments libres," a ajouté le professeur Zalasiewicz. « Nous mettons en place des idées dans l'espoir de recueillir les réactions de personnes qui peuvent nous donner quelques informations sensibles à partir desquelles nous pourrons éventuellement développer notre thèse."
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