Alerte rouge : Delevoye veut privatiser les retraites
La polémique sur les pensions de réversion n’est pas terminée.
Le sujet qui avait enflamé les esprits en juin dernier, refait surface à la faveur des nouvelles déclarations de Jean-Paul Delevoye.
Devant la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale, qui l'interrogeait le 14 novembre dernier sur l'avenir de ces pensions versées aux veuves et veufs, le haut-commissaire en charge de l'explosive réforme des retraites a confirmé que le sujet serait remis à plat. « Le débat est actuellement ouvert » avec « la volonté de maintenir la solidarité entre conjoints », a-t-il affirmé.
Jean-Paul Delevoye voit donc dans la réversion une solidarité entre conjoints alors même qu’il s’agit non pas d’un engagement entre conjoints mais, à tort ou à raison, d’un engagement entre la collectivité et les conjoints en échange de mariage.
On ne détaillera pas ici la genèse des pensions de réversion,
mais disons pour résumer qu’il s’agit en vérité d’un pansement contre un modèle Pétainiste de la famille qui fut longtemps normatif dans notre société : la femme à la maison, l’homme au travail, le mariage sinon rien, pas d’enfants hors mariage.
Bien évidemment ce modèle a volé en éclat. Le nombre de mariages ne cesse de diminuer, le nombre de PACS augmente vertigineusement depuis sa création ce qui, au passage, fait mentir Jean-Paul Delevoye quant à la volonté d’une solidarité entre conjoints. Le nombre de concubinages augmente, le nombre de célibataires augmente, aujourd’hui 6 enfants sur 10 naissent hors mariage, les femmes ont massivement intégré le marché du travail et ce mouvement continue.
Jean-Paul Delevoye affirme ainsi que l'une des pistes à l'étude
consisterait à « imaginer un système de splitting pour dit-il « garantir un maintien de revenu à l'âge de la retraite ».
Quid des fortunes personnelles ? Jean-Paul Delevoye semble penser que la fortune personnelle ne participe pas au niveau de vie du conjoint survivant.
Concrètement, il s'agirait de revoir le mécanisme de versement de la pension de réversion.
Aujourd'hui, cette dernière correspond à 54% (sous condition de revenus du survivant) de la pension de base du conjoint décédé, à laquelle s’ajoutent 60% (sous condition de non remariage) de la pension AGIRC-ARRCO du conjoint décédé.
Elle est égale à 50% dans les régimes de retraite du secteur public, sous condition de non remariage, non PACS, non concubinage. Lorsque le remariage se termine elle peut être rétablie à condition qu’elle n’ait pas déjà été attribuée à un autre conjoint du défunt.
Avec le « splitting », le calcul se ferait sur la base de l'ensemble des revenus du couple.
Le haut-commissaire donne l'exemple d'un foyer où l'homme perçoit une retraite de 2000 euros et la femme une retraite de 4000 euros, soit un total de 6000 euros. Au décès de l'un d'entre eux, l'objectif pourrait être de maintenir 50% de ce revenu total, soit 3000 euros. Dans ce cas de figure, au décès du mari, sa femme pourrait ne pas toucher de réversion puisqu'elle perçoit déjà 4000 euros et donc « déjà plus que ces 50% », explique Jean-Paul Delevoye. En revanche, en cas de décès de son épouse, le veuf pourrait toucher 1000 euros pour atteindre ces 50%. Et en cas de remariage avec un revenu « reconstitué », la personne perdrait « son droit à réversion ».
On croit rêver.
Jean-Paul Delevoye oublie une notion fondamentale. Dans un système obligatoire de retraite par répartition financé par tous les actifs et à 25% par l’impôt, si la retraite est un droit, la réversion est un privilège. Aussi Monsieur Delevoye raisonne-t-il comme si notre système de retraite était un système par capitalisation.
Analysons un peu plus cette piste qu’il dit n’être qu’exploratoire.
Malgré les apparences,
les hommes mariés en prendraient plein la figure. Pour autant cela ne profiterait pas aux veuves qui en ont le plus besoin.
Quand bien-même leur retraite serait faible, la plupart des hommes ne pourraient plus espérer de réversion, car même dans les familles modestes ils ont généralement une retraite supérieure à celle de leur épouse. Ils cumuleraient une double peine :
- Il est quasiment certain qu'ils n'auraient pas de réversion au décès de leur conjointe.
- Ils continueraient malgré tout à financer la réversion donnée veuves riches, puisqu’elle ne dépendrait plus d'une condition de revenu identique pour tout le monde.
En bref, si un ménage cumulait 8000 Euros de retraite, la veuve aurait soit sa propre pension, soit 4000 Euros. Si un ménage cumulait 1800 Euros de retraite, la veuve aura soit sa propre pension, soit 900 Euros. Si les deux veuves en question avaient accompli des carrières identiques, in fine la pension de l’une pourrait être 4 fois supérieure à celle de l’autre.
Etonnant n’est-ce pas à l’heure où Jean-Paul Delevoye perçoit les régimes spéciaux comme le diable en personne ?
Car un tel système reviendrait à introduire des conditions de revenus différentes selon les catégories sociales. Si vous êtes riche ou si la pension de votre conjoint était supérieure à la votre, la condition de revenu pour percevoir la réversion serait d'un montant plus élevé que si vous êtes pauvre ou modeste, alors qu’aujourd’hui la condition de revenus est la même pour tous dans le régime de base.
Quand au veuf, dans l'immense majorité des cas il n'aurait strictement rien même avec une petite retraite.
Ce système reviendrait à privatiser les retraites entre 2 personnes, comble de l'incohérence dans un système par répartition financé par tous.
Un système de retraite doit-il tenir compte du couple ?
Une condition de revenu fonction des revenus du ménage conduit à donner plus à des veuves riches déjà potentiellement à la tête d’un patrimoine plus important, et moins aux veuves pauvres qui elles, en auraient plus besoin.
Est-ce le rôle d’un système obligatoire de retraite par répartition que de chercher à maintenir et même à amplifier les inégalités sociales en cherchant à maintenir le niveau de toutes les des veuves sans tenir compte de leur niveau de richesse ?
De nos jours les femmes travaillent, il y a des avantages familiaux de retraite. Ceux qui veulent que leur veuve ait plus que les autres peuvent utiliser des instruments défiscalisés comme l’assurance vie ou les donations entre époux voire les clauses de préciput sur certains biens. C'est déjà pas mal !
On voit bien que quelle que soit la façon dont on aborde la question de la réversion on tombe dans une impasse parce que quelle que soit la solution retenue on en arrive à remonter la retraite de quelqu'un au seul motif d'avoir vécu en couple et sans qu'il y ait de lien avec son travail. Le principe de la réversion conduit à des injustices entre les femmes elles-mêmes.
Par conséquent un système de retraite ne devrait pas tenir compte du couple, marié ou pas c’est à chacun de travailler pour sa propre retraite comme le font les célibataires, et les sommes allouées à la réversion devraient être distribuées par la collectivité à celles et ceux qui en ont le plus besoin. Et si la réversion devait perdurer il faudrait que son montant soit plafonné et indépendant de la retraite du défunt.
Mais en réalité, il faut le savoir, le splitting qui veut dire "partager en deux", ce n'est pas cela. Jean-Paul Delevoye le savait en prononçant ce mot et son exemple n'est pas le bon. Car ici le décès de l’un ne conduit pas à baisser la pension de l’autre. Au pire elle ne la change pas, ce qui dans un premier temps calme les esprits encore câblés sur le système actuel.
Une communication organisée en deux temps
On voit bien que 50% du total des pensions ne seraient pas suffisants pour les veuves pauvres puisqu’aujourd’hui la pension de réversion s’ajoute toujours à la pension du conjoint survivant. La condition de revenus, explicite ou implicite (condition de non remariage) étant là pour limiter les abus.
Il est clair qu’après un semblant de discussions avec les uns et les autres, ce seuil sera porté à 60 %. Tout est déjà prévu et les consultations y compris la consultation citoyenne sont complètement bidon concernant ce sujet.
Mais cela induira un surcoût, prétexte dont M. Delevoye se saisira pour cette fois-ci diminuer aussi la pension du survivant à 60 % du total même si sa propre pension est supérieure à 60% du total.
En résumé, votre retraite ne dépendra plus de vos diplômes, vos qualifications professionnelles, votre carrière, vos qualités, vos efforts, mais elle dépendra des qualifications professionnelles, de la carrière de votre conjoint, de ses diplômes, de son envie de travailler ou pas.
Vous aurez donc intérêt à bien choisir votre conjoint si vous voulez conserver votre retraite. Tant pis pour vous si vous êtes déjà marié, votre retraite sera décorrélée de votre travail.
Jean-Paul Delevoye serait-il en train de fabriquer un « régime spécial de la conjugalité » lui qui voudrait mettre fin aux régimes spéciaux qui eux au moins ont quelque chose à voir avec le travail ? C’est la question que l’on peut se poser, même si sa communication est des plus habiles.
Nous sommes donc « En Marche » vers la privatisation des retraites entre 2 personnes avec toutes les injustices et les iniquités que cela engendrera dans un système par répartition.
Mais que dit la loi aujourd’hui ?
Diminuer les droits à la retraite de quelqu’un au motif de mariage n’irait pas sans poser un véritable problème dans la législation actuelle, car l'article 1404 du code civil nous dit que les droits à la retraite sont des biens propres et non des biens communs. Confirmation en a été donnée à plusieurs reprises par la Cour de Cassation.
Il faudrait modifier le code civil et se poserait donc une question de rétroactivité. Des couples se seraient mariés à un moment où les droits à la retraite étaient des biens propres, puis plusieurs décennies après, on leur dirait qu’en fait, non ce n’étaient pas des biens propres mais des biens communs.
Imaginez les rancœurs de ceux à qui l’on a dit, « mariez-vous » car il y a la réversion cependant que vos droits à la retraite resteront des biens propres, et à qui l’ont dirait 10, 20, 30 ans plus tard « vos droits à la retraite ne sont plus des biens propres, on vous a bien eus hein ! ». Quelle confiance accorder aux institutions et au système de retraite ?
La question du divorce
Si la réversion est une aberration par nature car elle est déconnecte du travail de son bénéficiaire, la question du divorce sera abordée à un moment ou à un autre. Et je suis intimement convaincu que Jean-Paul Delevoye ou son entourage cherchent à construire une logique de réversion telle qu’en cas de divorce la réponse sera de partager les droits à la retraite acquis pendant le mariage sans attendre le décès du conjoint.
Un des deux conjoints perdrait alors définitivement une partie de ses droits à la retraite en cas de divorce, quelle que soit la cause du divorce et quelle que soit la cause des différences de droits à la retraite. Et c’est exactement ce à quoi Delevoye voulait en venir en prononçant le mot « splitting ».
Finalement, dans tous les cas de figure, le mariage ferait qu’il n’y aurait plus de lien entre le travail et la retraite de chacun.
De la même manière, la quasi totalité des hommes perdraient une partie de leur retraite en cas de divorce, même si les différences de retraites ne provenaient que de différences de qualifications professionnelles. On peut estimer que 30 et 40% des hommes encore en vie seraient aujourd’hui précondamnés à perdre une partie de leur retraite, il faut le savoir.
Pour autant, les femmes ne seraient pas toujours gagnantes. Pourquoi ?
Parce qu’elles perdront la réversion et parce qu’il faudra repenser la législation du divorce, en particulier celle de la prestation compensatoire.
Introduire un partage des droits à la retraite reviendrait non seulement à un partage obligatoire de biens propres mais aussi à faire systématiquement payer la prestation compensatoire sous la forme d'une rente viagère qui commencerait au moment du départ en retraite.
C’est exactement le contraire de l'article 270 qui érige la règle du paiement en capital, la rente viagère ne devant être que l’exception.
De plus la retraite n’est pas un avenir prévisible, la preuve en ce moment. Or l’article 270 ne s’applique qu’à l’avenir prévisible.
Comme, il s’agira de partager des biens propres, il faudra partager tous les biens propres dont les héritages et s’interroger sur le partage de la vocation successorale qui n’est pas non plus un avenir prévisible.
J’en reste là mais les questions à régler seraient bien plus complexes qu’on pourrait le croire.
Mais une chose est certaine. Compte tenu de l’importance et du sens que chaque Français donne à sa retraite, le nombre de mariage accusera une baisse drastique car personne n’acceptera de perdre définitivement une partie de sa retraite au motif de mariage.
Pour conclure sachez que ces questions ont été posées dans le cadre de la consultation citoyenne sur internet et Monsieur Delevoye connaît le résultat.
En ce qui concerne le partage des droits au décès, le nombre d’avis défavorables dépasse de 23 % celui des avis favorables. En ce qui concerne le partage des droits en cas de divorce, le nombre d’avis défavorables est 3 fois plus élevé que le nombre d’avis favorables.
Il faut le savoir, la majorité des citoyens est opposée à toute idée de splitting.
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