Alésia : les Gaulois de l’armée de secours ne se sont pas enfuis à cause d’une éclipse de lune
Dans son dernier ouvrage paru « Les derniers jours du siège d’Alésia » M. Alain Deyber nous explique dans une deuxième partie que les Gaulois de l’armée de secours se seraient enfuis de leurs camps sans combattre à cause d’une éclipse de lune ; ils y auraient vu un signe néfaste. Wikipédia confirme cette fuite mais en faisant des réserves sur l'éclipse. Dans mon précédent article, je réfute formellement la thèse d'une fuite et j'affirme qu'il y a là une grave erreur de traduction. Fit ex castris gallorum fuga ne doit pas se traduire par : elle se fit la fuite des Gaulois hors de (leurs) camps, mais par elle se fit hors des camps (romains), la fuite des Gaulois. Ce qui signifie qu'ils les avaient investis et dévastés... https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/a-m-alain-deyber-au-sujet-de-votre-221057
Je suis très étonné qu'on ait fait et qu'on fasse encore aujourd'hui une telle erreur de traduction. Certes, la règle grammaticale latine veut que le nom au génitif Gallorum suive le nom qu'il complète fuga mais ce n'est pas une règle absolue. Tout dépend du sens qu'on veut donner à la phrase. Pour l'archéologue, les "castra" d'où les Gaulois se sont enfuis sont ceux de la colline de Mussy, pour César, ce sont les deux camps romains H et K. Les archéologues pensent que ces deux camps H et K étaient ceux de la première nuit et qu'ils avaient été démontés une fois les légions installées autour du mont Auxois et qu'ils n'existaient plus au moment de la bataille finale. C'est une erreur. Il faut comprendre que dans sa phrase latine, César a voulu mettre en évidence l'expression "Gallorum fuga", la fuite des Gaulois ; il ne pensait pas qu'on puisse l'interpréter autrement. Nous sommes dans une figure de style. Quel était le titre de son ouvrage ?... Caesaris commentarii... nous avons là la même inversion. Autre figure de style mais de construction grammaticale classique : le tumultus gallicus, le tumulte gaulois.
Je reprends le texte de César depuis le début, point par point.
Avant que l'armée arrive, dès la pointe du jour, César fait une reconnaissance du terrain avec son état-major. Le meilleur point d'observation est la crête de la montagne de Flavigny. Il s'y porte avec son état-major, bien sûr, sous protection. Il décide de faire le siège de la position gauloise en l'entourant d'un retranchement. Eius munitionis quae ab Romanis instituebatur circuitus XI milia passuum tenebat. Littéralement : il est décidé par les Romains d'un retranchement qui fera 10 000 pas de tour... avec des camps judicieusement placés, des tours, des redoutes, tout un système de guet et d'intervention, etc ...Opere instituto fit equestre proelium : l'ouvrage étant planifié, l'armée arrive, éclairée et protégée par sa cavalerie, d'où le combat de cavalerie que mentionne César. Les cavaliers germains, en toute logique militaire, marchent en queue pour faire sauter une éventuelle embuscade. Quand ils arrivent sur le champ de bataille, ils chargent ; défaite gauloise, repli. Où César va-t-il installer ces cavaliers germains ? Réponse : dans le camp H à l'extérieur de l'enceinte fortifiée. Les Germains sont des loups ; on n'installe pas des loups dans la bergerie.
Les archéologues pensent que les camps H et K sont les camps de la première nuit. Je ne le pense pas. Je pense que tout se met en place, dans la foulée. César installe son PC de commandement sur la hauteur de Flavigny. C'est là qu'il a fait son observation en arrivant. Toujours dans la foulée, les autres légions grimpent la pente pour aller installer leurs camps aux emplacements prévus, autour du mont Auxois. Emmènent-ils avec eux leurs chariots, le train des équipages, bref toute la logistique ? Certainement pas ! Tout cela va rester en contre-bas d'où le camp K.
Veuillez noter la logique de ce dispositif. Le camp logistique K est en liaison avec le PC tactique de Flavigny. César peut aller facilement de l'un à l'autre. Depuis le camp H, les Germains peuvent intervenir tout autour du dispositif romain sans rencontrer d'obstacles et sans qu'on ouvre un passage dans le retranchement.
A l’intérieur du camp K et de ses abords, il règne une extraordinaire animation ; c’est un immense chantier. On y observe toutes les activités coutumières à la vie des camps, qu’elles soient logistiques ou opérationnelles, mais pas seulement. Une armée de bucherons/légionnaires y débite des arbres. Ici, se taillent les pieux pour la future palissade du retranchement qui va encercler définitivement Vercingétorix. Là, se sélectionnent les plus fortes sections pour les "lis" sur lesquels les Gaulois s’empaleront. Dans un atelier voisin, on rassemble les branches, les plus importantes pour en armer la palissade d’un pieu à l’autre en les entrelaçant, les plus flexibles pour en faire des claies tressées dont on la garnira comme d’un bouclier ininterrompu. Plus loin, on met en réserve des troncs bien droits qui seront utilisés pour la fabrication des tours. D’autres troncs, plus importants, sont mis à part avec leurs fortes branches pour en faire des "cippi", véritables colonnes funéraires épointées et couchées. Bien sûr, je shématise car cela concerne surtout les retranchements de la plaine. Sur les pentes, des abattis battus par les feux devaient suffire.
Au milieu de ce chantier, César s’active, dirige, encourage, ordonne. Il va du camp K où il dirige les travaux au camp A pour diriger les opérations. Et puis, tout ce monde-là, il faut bien qu'il mange. C'est au camp K que les marchands viennent livrer volaille, grains, légumes, viande etc...
Pour protéger le chantier et ses travailleurs que les Gaulois harcèlent, César fait ouvrir un fossé à 400 pas de là, soit 600 mètres. C’est le fossé en rouge tourné vers le mont Auxois et dont le centre (5) montre une courbure qui ne peut s’expliquer que par l’existence du chantier dont il assurait la protection. En le prolongeant jusqu’à l’Oze, c’est toute la plaine qui sera barrée, surveillée, interdite aux Gaulois.
Lorsque César évoque ce fossé, il ne s’agit nullement de celui que j’ai indiqué en vert sur mon plan et que j’attribue aux Gaulois. Cette distance de 600 mètres ne doit pas se compter, comme les archéologues le pensent, à partir des retranchements (munitiones) de la ligne de contrevallation, puisqu’au moment où César s’exprime, cette ligne n’est pas encore réalisée. Cette distance doit se compter à partir des retranchements (munitiones) du camp K. Et en effet, lorsque l’armée de secours gauloise viendra établir ses camps sur la croupe de Mussy, que dit César ? Qu’elle s’établit à mille pas à peine de nos retranchements (munitiones), environ 1 500 mètres. Ce fossé de 6 mètres de large à bords droits, c’est celui dans lequel César couchera ses "cippi", ses fameuses colonnes de la mort. Ce camp K, les historiens l’ont longtemps ignoré, et même très peu fouillé. Quand on l’a découvert, on n’en a pas fait grand cas. Dans son ouvrage publié en 1990, le professeur Le Gall (page 97) écrit que "les camps de la plaine furent certainement évacués, car ils ne pouvaient plus servir à rien".
Arrivée de l'armée de secours. Le lendemain, la cavalerie gauloise sort effectivement des camps (castra). Nouvelle bataille de cavalerie. Les cavaliers germains chargent, nouvelle défaite gauloise. Les cavaliers gaulois se replient dans leurs camps (castra).
Terrible attaque de nuit de l'armée de secours contre le retranchement romain de la plaine des Laumes.
Au milieu de la nuit, les Gaulois de la montagne de Mussy sortent en silence de leurs camps. En arrivant aux premiers obstacles - je résume et condense 7, 81 et 7, 82 - ils poussent un cri terrible pour que les assiégés les entendent. ils progressent sous la protection d'une multitude de traits qui perturbent les Romains qui sont au rempart. Mais, en se rapprochant, ils s'empalent en tombant dans les trous de loup et marchent sur les aiguillons. Ceux qui arrivent au fossé jettent leurs panneaux de branches tressées, dressent leurs échelles, harponnent le parapet. Ils attaquent à coup de frondes, de flèches et de pierres. En même temps, Vercingétorix, entendant la rumeur, fait sonner de la trompette et fait sortir les siens de l'oppidum pour participer au combat, de l'autre côté.
Les jours précédents, en même temps que César leur avait prendre le dispositif d'alerte, les Romains avaient entassé sur le retranchement, en prévision, une grande quantité de balles de fronde, de pierres plus grosses pour les casse-têtes et d'épieux .... Lors de l'attaque, ils se portent aussitôt aux postes qui leur ont été assignés. Ils accablent les Gaulois, qui, en raison de l'obscurité ne voient pas venir les coups. Des deux côtés, les blessés sont nombreux. Les machines tirent des salves de traits.
Après avoir perdu beaucoup de monde sans être parvenus à entamer les retranchements, voyant le jour approcher, et craignant, à juste titre, d'être pris de flanc (par les Romains depuis le camp K) et enveloppés, les Gaulois se replient sur leurs camps (de Mussy).
Attaque ultime de jour sur deux fronts.
J'ai déjà expliqué cette bataille d'Alésia dans mes ouvrages et dans plusieurs articles d'Agoravox, notamment dans celui du 2 juillet 2009, https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/explication-de-la-bataille-d-58046. J'ai surtout mis en exergue le terrible affrontement final sur la montagne de Bussy. On se rappelle que c'est l'arrivée de la cavalerie germaine dans le dos des troupes de Vercassivellaunos qui décida de la victoire romaine alors que les Romains étaient à la dernière extrémité. Et les autres ? Ceux qui n'avaient pas été choisis, ceux dont il est dit dans les traductions courantes qu'ils se contentèrent de se déployer devant leurs camps de Mussy pour finalement s'enfuir en apprenant la défaite des autres.
Il y a là une très grave erreur de traduction.
La manoeuvre gauloise est pourtant d'une logique aveuglante. Il s'agissait d'attaquer les Romains sur deux fronts en même temps, et même trois, celui des assiégés, de façon à submerger l'adversaire sous le nombre et sans qu'il ait le temps de jouer avec ses réserves en les faisant intervenir d'un endroit à un autre. Dans cette logique, l'attaque sur les deux fronts extérieurs devaient se déclencher en même temps à midi. Les troupes de Vercassivellaunos attaquant, au nord, les deux camps romains de la montagne de Bussy, le reste de l'armée de secours attaquant les fortifications romaines de la plaine avec la mission particulière suivante : empêcher la cavalerie germaine de sortir du camp H pour qu'elle ne puisse pas intervenir dans le dos des troupes de Vercassivellaunos.
Il faut donc comprendre, dans le paragraphe 7, 83, qu'après avoir expliqué la manoeuvre gauloise de Vercassivellaunos, César décrit celle des autres Gaulois restés dans la plaine des Laumes. ceodem tempore equitatus ad campestres munitiones accedere et reliquae copiae pro castris sese ostendere coeperunt doit se traduire ainsi : en même temps, la cavalerie (gauloise de Mussy) accède aux retranchements (romains) de la plaine. Le reste des troupes gauloises (de Mussy) se dirigent et se déploient devant les camps (romains H et K). Il ne s'agit pas des camps gaulois comme les traductions courantes le disent mais des camps romains de la plaine.
Dans le latin de César, le mot "obstendere" a un sens précis : celui de se diriger vers (tendere) en se montrant (obs). Lorsque dans la suite de son récit, César écrit que les Romains au rempart étaient terrorisés par la clameur qu'ils entendaient dans leur dos car ils se rendaient compte que leur sécurité dépendait des autres, cela signifie que le retranchement de la plaine était attaqué, d'un côté par les assiégés, de l'autre côté par le reste de l'armée de secours. Les Romains se trouvaient entre deux feux. Le passage : De part et d'autre on sent que ce jour est celui où il faut faire les derniers efforts. Les Gaulois désespèrent entièrement de leur salut, s'ils ne forcent nos retranchements ; les Romains ne voient la fin de leurs fatigues que dans la victoire"... concerne cet affrontement qui s'est passé dans la plaine et non sur la montagne de Bussy. C'est sur ce front que César a envoyé en renfort le jeune Brutus avec six cohortes, puis Fabius avec sept autres, puis lui-même. À ce moment précis où le retranchement romain menaçait de céder, les assiégés ont-t-ils eu tort de se tourner vers les pentes escarpées du mont Rhéa pour essayer de percer ? Les traces archéologiques témoignent de la violence des combats qui se déroulèrent à cet endroit.
Dans ce moment ultime où tout pouvait basculer en faveur des Gaulois, ce sont, une fois de plus, les Germains qui ont créé la décision. Echappant à l'encerclement de leur camp, la décision de génie de César a éte de ne pas les faire intervenir contre les Gaulois de la plaine mais dans le dos des troupes de Vercassivellaunos sur la montagne de Bussy.
Voyant du haut de la citadelle le désastre subi par Vercassivellaunos, Vercingétorix rappelle ses troupes. Entendant la trompette qui donne le signal de la retraite, les troupes gauloises de la plaine évacuent les camps romains H et K qu'elles avaient investis et s'en vont... avant que les cavaliers germains ne reviennent et les massacrent. Il s'agit là d'un repli tactique tout ce qu'il y a de plus logique. Une partie de leur mission était de détruire les camps. Cette partie de la mission a été remplie. César n'insiste pas. Il conclut en disant que si les soldats fatigués avaient pu poursuivre les Gaulois, d'une armée si nombreuse, il n'en serait rien resté... soldats romains fatigués... blessés...ou morts.
Les camps d'où César dit que les Gaulois se sont enfuis ne sont donc pas les camps gaulois mais les camps romains de la plaine, ce qui signifie que les Gaulois les avaient investis et que tout ce qui s'y trouvait a dû être tué ou détruit (butin, blessés, stocks de vivres, d'armement etc). Quand on sait que la pire humiliation pour un général romain en campagne était de perdre ses bagages, on comprend la relative discrétion de César.
Nous sommes en 52 avant JC. Même pas un siècle se passe. Les Gaulois, notamment éduens, combattent pour Rome. Ils sont en Judée et se font enterrer sous le nom de Cléopas, mais c'est une autre histoire.
Emile Mourey, 2 février 2020
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