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Accueil du site > Tribune Libre > Algérie : au-delà de la révolte

Algérie : au-delà de la révolte

Voici une contribution que je viens de recevoir.
Avec l’autorisation de l’auteur je transmets ce texte pour publication dans AGORAVOX
Jean-François Chalot

AU-DELA DE LA REVOLTE.

Quelques jours après la promulgation de la Loi de finances 2011, des émeutes à caractère social ont éclaté à travers l’ensemble du territoire national. Elles ressemblent à s’y méprendre à celles d’octobre 1988 par les causes et la composante sociologique.

Les mobiles de ces manifestations de ras-le-bol relèvent du marasme social et économique, d’absence de perspectives, résumés en deux mots : la cherté de la vie. Les produits de base tels que le sucre, l’huile et la semoule sont devenus tout à la fois chers, objets de spéculation et, pour le lait en pochette, - substance du pauvre - rare. Pour acquérir ce fameux breuvage, il faut faire « la chaine » de triste souvenir. Ce geste met en évidence la marginalisation d’une catégorie importante de la population et fait naître en soi de l’humiliation. Le légitime sentiment d’injustice est issu du dangereux rétrécissement du pouvoir d’achat et du décalage entre cette lente descente aux enfers pour les plus faibles et l’existence d’une énorme manne financière, mal gérée et/ou en partie détournée. Même la classe moyenne n’échappe pas à la crise due à la cherté de la vie. A l’évidence, le taux d’inflation officiel est truqué.

L’impunité judiciaire et l’immunité politique de la classe dirigeante, combinée à la corruption de celle-ci, exacerbe le sentiment de révolte d’une jeunesse qui veut bénéficier de la richesse nationale et vivre dans la liberté et la dignité. Tout esprit doué de raison comprend cette logique mais l’échec du pouvoir provient certainement d’une mauvaise gouvernance et du manque d’ambition pour le pays. Octobre 88 et ses conséquences n’ont pas guéri le système en place de son pêché mignon : l’exercice du pouvoir pour le pouvoir. Le mal est ancien et profond.

ABSENCE D’INTERMEDIATION

En l’absence d’intermédiation crédible, parce que la société civile est muselée, les syndicats autonomes surveillés, les médias lourds aux ordres et le parlement politiquement soumis alors qu’il est constitutionnellement déjà faible, les contestations récurrentes depuis un certain nombre d’années s’expriment violemment et s’en prennent souvent au patrimoine public, voire aux biens privés. Le pouvoir craint ce genre de révoltes par leur possible effet de contamination et éventuellement leur récupération politique, même si, au final, il arrive à maîtriser la situation par un dosage de répression et de pourrissement. La tâche est aisée quand il n’y a pas d’organisation qui structure la contestation, lui fixe des buts et la coordonne sur le terrain. Une fois l’évènement maîtrisé, les mêmes seront méthodes reconduites et la prochaine tempête s’annoncera. Un jour toutes les digues cèderont dans un fracas assourdissant.

Le verrouillage de tous les canaux d’expression et l’interdiction de manifester dans la rue d’Alger, capitale et centre névralgique du pays, aboutissent logiquement à ce genre d’expression violente et désorganisée.

Face à cette situation, où les premiers morts sont annoncés, le pouvoir demeure étrangement muet. Devant l’ampleur de l’évènement, ce silence donne le vertige. Est-ce un signe de contradictions non réglées ? On ne sait si ce mutisme est dû à de la désorientation ou à du mépris. Ce qui est sûr, c’est que le mépris n’a jamais occasionné que davantage de destructions et de victimes.

DES MESURES POLITIQUES URGENTES

Avant tout, il faut arrêter la malédiction de l’écoulement du sang, épreuve fatale pour les hommes et pour tout projet. Adopter des mesures sociales et économiques pour enrayer la cherté de la vie est également une nécessité. Mais si elles ne font pas l’objet d’un accompagnement politique, elles resteront vaines car les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Dans cette perspective, la levée de l’état d’urgence est un premier palier pour établir le dialogue entre les divers acteurs de la société et instaurer les mécanismes de concertation et de régulation de la vie publique. Le déverrouillage politique, médiatique et social est une autre condition pour réamorcer le processus démocratique. Les luttes populaires et pacifiques centrées sur les droits – politiques et sociaux – et les libertés – individuelles et collectives - sont les garants d’une démocratie effective, meilleure protection des plus faibles. La plus grande subversion est de se saisir des instruments de lutte liés à cette philosophie et à cette stratégie pour permettre au peuple algérien de prendre son destin en mains. Seul un nouveau processus de légitimation basé sur la volonté populaire peut asseoir un pouvoir crédible et audible. La diversification de l’économie, la lutte contre la corruption et la distribution équitable des richesses ne peuvent être que l’œuvre d’un pouvoir à légitimité incontestable.

L’Algérie ne manque pas d’atouts pour aller dans ce sens. Il faut faire preuve d’imagination, d’audace et de responsabilité.

Tarik MIRA, député de Bejaïa.


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7 réactions à cet article    


  • Alpo47 Alpo47 12 janvier 2011 11:10

    La société Algérienne, et d’ailleurs du maghreb, est une « caricature » de notre propre société.
    Une élite, ultra minoritaire (quelques centaines de familles) qui accapare le pouvoir et les revenus du pays, un certain nombre d’affidés pour que le système tienne en place et ... l’asservissement et la paupérisation pour le plus grand nombre.

    C’est « amusant », hein, de se regarder dans un miroir qui met en évidence nos défauts ?


    • Aafrit Aafrit 12 janvier 2011 11:20

      Comment voulez -vous que ce genre de révoltes tienne quand des dictateurs démocrates donneurs de leçons (ceux des pays dits developpés) viennent au secours des dictateurs-despotes (ceux des pays dits émergents ou sous developpés) ?
      N’est-ce pas une alliance franche entre les oppresseurs contre des opprimés ?
      Et après, on nous rabat les oreilles avec leurs voeux hypocrites « démocratie, épanouissement, justice et toute l’armada conceptuelle servant à faire passer le pire des dictateurs pour l’ange Gabriel).
      Lisez : Michele Alliot-Marie refuse de condamner les violences contre les civils

       »Paris propose à Alger et Tunis son savoir faire dans la gestion des manifs"


      • Hadj Ahmed 12 janvier 2011 12:40

        M.Mira est un homme de principes et qui aime son pays, à ce titre, ce qu’il dit mérite la plus grande attention, que l’on approuve son analyse ou pas.

        Malheureusement pour lui, l’image du député super-privilégié, sorte de machine à avaliser tout ce qui vient du pouvoir en place (quel qu’ait été ce pouvoir depuis l’indépendance d’ailleurs), est tenace. Il est et restera donc inaudible.

         


        • Serpico Serpico 12 janvier 2011 13:52

          Mira ne peut avoir aucune crédibilité. Faire semblant de ruer dans des articulets « rebelles » et censés être en même temps critiques, c’est se moquer du monde.

          Siéger dans une assemblée dont la principale fonction est d’applaudir, même si lui n’applaudit pas, est une contribution directe à la légitimation d’un pouvoir sans crédit.

          De plus, c’est un Marco Polo des partis. Il est surnommé le « Chercheur d’or » allant de parti en parti, présentant ses démissions ou ses renvois comme des actes de révolte.


          • Menouar ben Yahya 12 janvier 2011 16:27

            Il y a une telle peur de l’Islamisme que le régime en place, jouera avec cet argument, pour que l’Europe ne lui cause pas trop d’ennuis... Pourtant cette révolte populaire n’a rien à voir avec la précédente qui avait les mêmes revendiquations sociales mais avait été récupérée par les islamistes qui avaient promis la fin de la corruption et de l’injustice.
            C’est avec joie que j’ai appri dans l’emmission de Teddeï sur france 3 que Ali Beladj, celui qui avait failli faire basculer l’Algérie dans l’islamisme,s’est presque fait lyncher par cette bouillonnante jeunesse lorsqu’il est venue haranguer la foule à Bab el oued, c’est ici pourtand que des années auparavant, il avait été écouté, voir adulé.


            • Mohammed MADJOUR (Dit Arezki MADJOUR) Mohammed MADJOUR 12 janvier 2011 17:53

              Voici quelques liens pour vous informer, mais si vous voulez vous documenter ouvrez un compte dans ce forum pour avoir accès à tous les articles et commentaires publiés .

              Mes commentaires vous apprendront la réalité algérienne ! Les députés algériens touchent des salaires astronomiques pour un engagement nul, ils sont inutiles pour la société mais indispensables à la survie du régime !

              http://www.elwatan.com/une/le-vrai-visage-du-regime-ben-ali-12-01-2011-106823_108.php


              http://www.elwatan.com/evenement/karim-amellal-l-abandon-et-l-injustice-ont-cree-les-emeutes-10-01-2011-106559_115.php

              http://www.elwatan.com/edito/les-lecons-d-une-crise-12-01-2011-106874_171.php 

              http://www.elwatan.com/chroniques/pointzero/les-casseurs-de-moral-12-01-2011-106873_173.php

              http://www.elwatan.com/une/l-algerie-doit-changer-11-01-2011-106689_108.php

              Mohammed MADJOUR.


              • Abou Antoun Abou Antoun 12 janvier 2011 19:12

                Les députés algériens touchent des salaires astronomiques pour un engagement nul, ils sont inutiles pour la société mais indispensables à la survie du régime !
                Tiens, tiens, cela me rappelle quelque chose.
                De plus (héritage colonial ?) , les parlementaires sont proportionnellement à la population aussi nombreux en Algérie qu’en France (533 pour 34 millions contre 1 millier pour 65 millions), c’est à dire dans un cas comme dans l’autre 10 fois plus nombreux (en proportion toujours) qu’aux USA.
                En Algérie, comme en France on a les moyens de se payer des parlementaires avec voitures, chauffeurs, frais de fonctionnement, retraites confortables, etc..
                Enfin bon, si on veut être représentés il faut ce qu’il faut !

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