Algérie : l’enfer des « Portes de fer »
L’information est tombée alors que j’étais à Paris pour une escapade touristique de quelques jours. Je me suis alors précipité vers le taxiphone du coin, tenu par des Hindous, en face de l’hôtel où je logeais pour appeler Alger et avoir plus d’éclaircissements concernant cette énième embuscade au cours de laquelle il y a eu véritablement carnage : 18 gendarmes et deux civils tués avec la rapidité de l’éclair puis les assaillants se sont volatilisés dans la nature.
La politique du "tout sécuritaire" prônée à l’époque avait, au bout de quelques années, montré ses limites pour ne pas dire carrément échouée d’autant plus qu’elle n’avait pas été soutenue par "la communauté internationale" qui pensait, peut-être, que c’étaient les services de sécurité algériens qui montaient des opérations de commando contre les populations désarmées particulièrement celles qui étaient pro FIS.
Et puis, pour vaincre le terrorisme islamiste, on inventa un autre concept typiquement algérien : la politique de "réconciliation nationale". Et l’on a commencé alors à espérer. A espérer que "les frères des montagnes" se rendent à la raison et descendent des maquis avec armes et bagages. Mais non ! Les frères des montagnes se sont plutôt affiliés à une organisation d’envergure internationale, qui s’est fait connaître un certain 11 SEPTEMBRE, et ont juré de poursuivre leur combat, leur Djihad jusqu’au dernier… des algériens. Ils ont changé le fusil d’épaule au sens propre du terme. Ils ont ensuite porté le combat jusque en plein cœur d’Alger sous forme d’attentas Kamikazes avec des camions bourrés d’explosifs, encouragés probablement par certains hommes politiques de la mouvance islamiste, gravitant autour même du pouvoir algérien, qui faisaient des mains et des pieds pour que "la réconciliation nationale" n’ait pas de limite dans le temps et accorde l’immunité totale aux repentis. Mais, les repentis, il n’y en a pas eu à gogo. Il n’y en a pas eu treize à la douzaine : "Les Tangos" les plus endurcis se terrent toujours dans les montagnes et attendent leur heure pour agir : la guerre est ruse, disent-ils. Alors ils rusent ; comme des renards, ils ne sortent de leur tanière que de temps en temps. Mais avec le temps, ils acquièrent de l’expérience, ils deviennent maîtres dans l’art de tendre des embuscades aux gendarmes et autres militaires. Comme ça s’est passé ce mercredi, en plein jour, à quelques encablures de la ville des Bibans", m’explique mon correspondant, les larmes aux yeux sans doute et la voix presque éteinte, en tout cas difficilement audible au téléphone. "Tu te rends compte ?", ne cessait-il de répéter, comme si votre serviteur ignorait tout du terrorisme "made in Algeria". Avant de raccrocher, il me souhaita quand même un bon séjour à Paris.
A toute chose, il y a une fin. Mon séjour à Paris ne pouvait donc faire exception à cette règle immuable et déjà, dans l’avion qui me ramenait à Alger, je commençais à peser le pour et le contre de prendre, de nuit, la route nationale 5, devenue incertaine par les temps qui courent, pour rentrer chez moi dans la ville des Bibans où a eu lieu ce carnage. Dans l’avion, entre un brin de causette avec une jeune dame assise à côté de moi et dont le bébé de trois mois ne s’arrêtait pas de pleurer et les longs silences imposés par les pleurs du bébé, je méditais sur ce qu’avait dit, à son retour d’exil au Maroc, en 1992, juste après l’interruption du processus électoral qui avait permis, à l’époque, à l’ex FIS de rafler la mise, feu le président Boudiaf : "où va l’Algérie ?". Force est d’admettre aujourd’hui que, plus de quinze ans après, l’Algérie ne sait pas encore où elle va ou en tous les cas la voie qu’elle a emprunté ne semble mener nulle part : c’est comme si elle a été happée dans un cercle infernal où l’histoire faite d’attentats terroristes suivis de pilonnage des maquis par les forces de l’ordre se répète à l’infini. Chaque action des "frères des montagnes" est immédiatement suivie d’une réaction des forces de l’ordre, cela va de soi, et pourtant les capacités de nuisance de ces premiers semblent toujours intactes, toujours efficaces comme si "la réconciliation nationale" leur permet, a chaque fois, de reconstituer leurs troupes. N’est-il donc pas légitime de se poser des questions quant aux résultats de cette politique de la main tendue à des irréductibles qui, de toute façon, n’en veulent pas ? Aujourd’hui, au su et au vu de ce qui s’est passé ces derniers jours à Boumerdès, à Bordj Bou Arreridj et ailleurs, toute la presse algérienne est unanime dans la remise en cause de la politique de réconciliation.
Vendredi, à 9h 30, je quittai Alger et sa relative quiétude. Le soleil commençait déjà à taper fort. Contrairement à mes mauvaises habitudes, ce jour-là, je roulais à vitesse modérée. La ville des Bibans n’est qu’à 230 Km d’Alger. A côté de moi, mon fils de quatorze ans manipulait nerveusement son "Game boy". Sur le siège arrière, seule, ma fille dormait profondément. La route s’annonçait ennuyeuse. Je n’avais même pas envie d’écouter la radio ni de m’informer encore plus, par le canal officiel qu’est la radio, de la tragédie de l’avant-veille qui a eu pour théâtre les portes des Bibans.
La route me paraissait si longue ! Les villages traversés si déserts !
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