Algérie : « récréation démocratique » ou émancipation solidaire
Plus de vingt-cinq ans après « l’indépendance confisquée » et des luttes populaires, sociales, identitaires et politiques successives, le plus souvent clandestines et parfois violentes, quiconque aurait cru savoir « où va l’Algérie » qui, au sortir des événements d’octobre 1988, titubait vers la démocratie sociale.
L’Algérie indépendante, républicaine, démocratique et sociale, n’a jamais cessé d’être l’objectif sacré de la Révolution, des cadres de la Révolution et de la guerre pour l’indépendance, écartés du Pouvoir au moment de l’indépendance. Les survivants, parmi ces derniers, ne cessent pas de le rappeler. L’ouverture démocratique, conséquence des événements d’octobre 1988, a vu fleurir sur la scène de nombreux partis politiques crédibles, des syndicats autonomes, des organisations nationales représentatives, un fort mouvement culturel amazigh pacifique et transpartisan, une société civile très active, et une dynamique nationale riche en débats et en évolutions positives d’une grande ampleur. Les souvenirs en sont impérissables. Comme s’il y avait des forces qui ne voulaient pas d’une Algérie qui se prenait à être de nouveau « libre et heureuse », cette volonté d’aller rapidement vers une « démocratie majeure » va être immédiatement polluée par une nuée de sigles, destinée à ériger des clivages douteux au sein de l’opinion publique, et qui ne correspondent pas aux véritables clivages politiques que dessinaient les structures politiques qui prenaient du poids ou sortaient de la clandestinité : FFS, PAGS, PST, PT, MDRA ; RCD, PSD, PNSD, MAJD, etc. A cette nuée venaient s’ajouter des pratiques scélérates de clonages, et des putchs encouragés à l’intérieur aussi bien qu’à la périphérie des partis politiques et des organisations : il fallait être bien naïf pour n’y voir aucune volonté de briser l’élan démocratique pris par la nation entière. Cette volonté de nuire allait malheureusement puiser matière à se masquer dans l’ancrage récent des formations : outre l’inexpérience des masses de militants, naïfs devant les menaces en jeu, impuissants à les démasquer et à les déjouer, les directions politiques étaient dans un pressant besoin de cultiver une certaine forme de « zaïmisme », de leadership, afin de mieux s’installer dans la conscience populaire ; ce besoin, ajouté à la suspicion générée par l’appêtit de pouvoir de nuisances externes qui ne manquaient pas de déteindre sur les ambitions d’ascension sans doute légitimes des cadres, allait provoquer des crises et des saignées au sein des partis les plus établis. On parlait déjà de « récréation démocratique »... Concurremment à cette logique, certainement toujours en cours, l’ouverture démocratique allait être gênée, un moment, par la déferlante intégriste menaçante, avant d’être quasi totalement bouchée par une guerre de dix ans, dont l’essentiel des victimes sont les enfants du peuple, et celles et ceux qui n’ont pas voulu cesser d’être au service de leur bien-être immédiat et de leur émancipation progressiste. Cette guerre, une fois déclenchée, allait emporter toutes les institutions, élues ou constitutionnelles, au point que, à un moment, la « République » et la « Présidence de la République » ont été remplacées par « E tat » et « Présidence de l’Etat ». C’est ainsi que la volonté populaire a été confiée, sur fond de terrorisme, aux soins de DEC au lieu d’APC, de DEW au lieu d’APW, de CNT au lieu d’APN, tous désignés et imposés. C’est surtout ainsi que, lorsque le pouvoir s’est remis à « reconstruire l’édifice institutionnel » en 1995, le courant démocratique a connu un étêtement et une désorganisation effarante dans toute l’Algérie, ne tenant presque plus qu’au niveau de la capitale et de la Kabylie -pour ne pas tenir compte des territoires de l’exil- et encore ! Très difficilement. la Kabylie, cette parcelle du territoire algérien, où les démocrates ont résisté stoïquement et pacifiquement, allait par la suite connaître, comme par châtiment, de terribles épreuves, qui semblent lui avoir été taillées sur mesure par des éminences grises surgies du passé ou préparant quelque avenir... Comme par coïncidence, c’est justement à la fin du boycott scolaire, pendant lequel toutes les forces dynamiques agissantes en Kabylie ont été engagées, démocratiquement et pacifiquement, que le mot d’ordre de reconstruction de l’édifice institutionnel a été ainsi lancé. Avec le recul, il peut sembler inutile de relever que cette reconstruction s’est surtout appuyée sur la clientèle du nouveau système, qui tire sa légitimité de la guerre « civile » : DEC, DEW, CNT, qui se sont retrouvés en majorité au RND -lorsqu’ils ne sont pas FLN. Comme il peut sembler inutile de relever que, une fois encore, la Kabylie a fait défaut à la réalisation de ce schéma puisque, de nouveau en 1997, les partis d’opposition démocratique y ont été crédités d’une franche légitimité populaire par deux fois en l’espace d’un semestre : aux élections locales (APC, APW) puis aux législatives (APN). Ces deux remarques élémentaires mettent toutefois en lumière en quoi la Kabylie pose problème au régime néo-libéral qui s’est emparé du pouvoir à l’ombre de la guerre « civile » : pendant que, partout ailleurs, et même dans les institutions, le régime a presque réussi à imposer les changements qu’il recherche dans la société, sous couvert de guerre, les citoyens en Kabylie tiennent mordicus aux changements démocratiques en phase avec les aspirations sociales et populaires les plus profondes et les mieux partagées, car tirant leur origine du Mouvement national indépendantiste. C’est ainsi qu’il faut voir, derrière l’obsession de normalisation de la Kabylie qui étreindrait tel ou tel, le désir d’éteindre définitivement les messages de liberté, de dignité et de justice sociale délivrés par novembre 1954. Sa conversion massive aux modèles sociologique, économique et politique favoris de l’ultralibéralisme, triomphant par usurpation, n’ayant pas été obtenue sous l’effet de la terreur, de la misère, des faits accomplis successifs et des dénis de droit, les promoteurs du nouveau régime joueront à « ui perd gagne » avec elle. Ce sera le cas surtout au moment des événements du Printemps noir, dont l’assassinat de Matoub, trois ans plutôt, pourrait avoir été un coup d’essai. Provoquant ces événements que la société aura pris le soin d’organiser, dans l’urgence, mais dans le respect de ses traditions démocratiques et pacifiques, le pouvoir, tenant coûte que coûte à faire dire à cette région ce qu’elle n’a jamais cessé de dénoncer, a entretenu la tension jusqu’au pourrissement. Son objectif est multiple. Il est à la fois : 1- de démanteler les structures politiques, syndicales et associatives au sein desquelles les populations de cette région s’organisent ; 2- de proposer par touches successives ceux qui ont profité de la guerre « civile » et des événements du Printemps noir au rang de « notabilités » de la Kabylie ; 3- de reléguer la population, ne serait-ce que médiatiquement, dans des schémas que l’on retrouve dans certains articles d’universitaires étrangers, publiés en 1995. C’est ce qui devait permettre de vider, aux yeux de l’opinion publique, les revendications démocratiques de leur substance, de les achever, et de justifier la répression, l’étouffement de toute contestation, puis l’asservissement, but suprême du néo-libéralisme et de ses alliés et supplétifs véreux. Sous prétexte d’épargner aux Algériens la régression à une société de croyants, trahissant par là-même son préjugé quant à la profondeur historique et populaire de la Révolution, le pouvoir met tout en œuvre pour se donner une société misérable, inculte, inconsciente et inoffensive, qui lui garantisse la pérennité en tant que classe dominante monopolisant le pouvoir, le savoir, la richesse, ainsi que la « Aizza » et la « Karama ». Ces dernières, « noblesse d’âme » et « dignité » ont constitué, en 1999, le slogan de campagne que le candidat Bouteflika -que l’on a, à un moment traité, sous d’autres cieux, de ‘’ministre de la parlote’’- a sans doute injecté dans l’opinion, sans trop en référer à d’autres. Il reste aussi à connaître la manière dont les projets de réformes tous azimuts ont été lancés, en y faisant participer la crème intellectuelle du pays, avant de les vouer aux tiroirs muets de l’oubli. C’est pour venir à bout de l’un des principaux écrans de veille patriotique et aiguillons démocratiques, qu’il situe obsessionnellement en Kabylie, que le pouvoir organise ces partielles dans une centaine de communes, tandis que plusieurs centaines d’élus à travers le pays sont en butte à la justice, sans que le fonctionnement des institutions qu’ils représentent respectivement soit remis en question. Peut-être la raison en est-elle que ceux-ci ne font pas dans l’opposition démocratique. Peut-être aussi les partielles de novembre provoqueront-elles de nouveau un appel au boycott, voire au rejet, chez ceux qui auront cru, un moment, que ces locales sont venues satisfaire un besoin conjoncturel pour lequel ils ont abandonné ce qui leur restait de revendications, sous prétexte qu’ils ont été disqualifiés par l’autorité suprême du pays, ce qui va dans l’ordre de la logique de la désertification politique et civile de la Kabylie, ou par d’autres qui useront de dérivés d’un tel argumentaire. Pour cela, ils feindront d’oublier que les élections partielles de novembre concernent aussi des communes qui n’ont peut-être jamais entendu parler d’une incidence quelconque, argument que le ministre de l’intérieur ne manquera pas alors d’utiliser pour justifier une évolution aux forceps ou, du moins, pour prolonger le mandat administratif des chargés des affaires des communes (C.A.C.) qui ont vu leurs assemblées populaires communales, issues de l’élection d’octobre 2002, dissoutes en juillet dernier. Les enjeux de l’élection partielle de novembre prochain dépassant très largement le simple souci de représentativité au sein institutions communales, les citoyens de Kabylie, que les patriotes, les démocrates et tous les porteurs d’opinions sincères ont le devoir d’accompagner et d’éclairer dans une bienveillante perspicacité, se doivent de faire face à la responsabilité qui leur incombe en ces moments cruciaux. L’avenir démocratique, l’aboutissement des aspirations à la justice sociale, à la dignité, à la citoyenneté égale pour toutes et tous, qui s’inscrivent en droite ligne du mouvement national, de la révolution et de novembre 54, s’y jouent en partie, en bonne partie. S’il est très naturel, très souhaitable, fortement recommandable d’œuvrer en vue d’une irréfutable et franche représentation démocratique, par des démocrates au niveau des assemblées locales en jeu lors des élections partielles prochaines, il faut surtout veiller à sauvegarder la dynamique politique démocratique et sociale émancipatrice, dont on se prévaut en Kabylie.
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