Alice à Boboland
On s'étonne des propos sans nuance d’Alice Coffin sur les "hommes". On en rit. Et pourtant elle a ses raisons que la raison connaît bien.
Elle me pardonnera de tracer un portrait d'elle qui peut paraître saugrenu ; une fiction vaguement burlesque − ce que c’est, puisque je ne la connais ni d’Ève ni d’Adam, juste par ouï-dire. Mais elle occupe un poste public, et tient des propos publics, eux aussi légèrement burlesques. Quelle mouche la pique ? On finira bien par la trouver, en creusant dans les nuages.
Par ailleurs, femme ou pas femme, nous avons tous quelque part dans notre souvenir, à nos côtés, un homme, des hommes, que nous aimons fort et qui nous ont beaucoup donné. Les jeter en bloc à la poubelle, ce n'est tout simplement pas possible. Qui va la descendre la poubelle après ça, dites-moi ?
Alice a forcément des raisons enracinées pour expliquer sa passion anti-masculine doublée d’une fascination pour l’aspect viril au point de l’imiter, un peu pathétique. Elle doit beaucoup tenir à sa maman, féministe à l'ancienne, laquelle l'a introduite dans le collectif La Barbe, plutôt intéressant. Allez-y voir.
Remarquons qu’en phase avec Jim Morrison, Alice a un père qui travaille ou travaillait dans un secteur stratégique pour l'Ėtat. La promotion des enfants issus de ce cercle − Défense, politique, médias, culture, diplomatie − dans les postes qui rapportent prestige ou profits, est traditionnellement plus facile que pour le tout-venant, et quel que soit leur pays d’origine.
Ces hommes qu'Alice déteste, ce sont à mon humble avis ceux qu'elle connaît : les sciences-potards, et "philosophes" (ses études) les zécolos politiques, les rétribués de mairie, du spectacle, de la culture ; autrement dit les "bobos" bien bourgeois, bohèmes d’aéroport.
L’entourage d’Alice à boboland, on l’imagine : des hommes entre guillemets plutôt fluets, sans épaisseur morale, qui ont perdu le goût des femmes pour des raisons diverses : parce qu’ils se sentent diminués au mental comme au physique ou au contraire pètent d’auto-satisfaction, parce qu’ils ont subi trop d’influence féminine dans leur enfance, ou plutôt pas assez, parce qu’ils sont trop brillants ou alors pas du tout, etc. Ces hommes-là en arrivent même à haïr toutes les femmes, sauf à la rigueur leur mère, sans jamais le dire. Ce qui ne les empêche nullement de clamer aux quatre vents, voire forcer tant qu’ils le peuvent, un vaste amour obligatoire, indéterminé et fort coûteux – pas pour eux, du moins le croient-ils – envers tous les inconnus qui peuplent la planète. Ce qu’ils éprouvent, eux ? Du vent, à la Verlaine. De ci de là, pareils à la feuille morte.
Il est possible que mademoiselle Coffin dans sa prime jeunesse ait eu à juste titre une haute idée de ses talents et capacités ; jusqu'à se retrouver embourbée, une fois sortie de sa famille (les illusions perdues !) dans une réalité pathogène où fusent des flatteries peu flatteuses sur une égalité hommes-femmes posée en idéal. Ce qui laisse supposer que les femmes en France sont inférieures de fait, tout en les flattant de la croupe ; et qu’il faut changer ça.
Or la miss, dans sa tête, n'était pas l’égale de sa fratrie dans l’enfance : elle était l'aînée de six, la chef et le modèle donc, qu’un plat de lentilles ne saurait priver de son privilège. Que vient-on lui chanter là. Elle ne s’est jamais sentie inférieure et quoi encore, mais au pays des Vermeils, on lui dit qu’elle l’est, et à cause de ses ovaires. Elle comprend, par-dessus le marché, qu’elle ne peut même pas songer à devenir l’égale d’hommes qui ne la voient carrément pas, voire l’évitent ; ou pire, la dézinguent derrière son dos. Ėgale, elle ? Comme le sont les poussières entre elles, pour « ses » hommes.
Les seuls êtres qui la distinguent à boboland, finalement, sont des femmes. Elles se comprennent entre elles, les futées, pour remarquer un nouveau tatouage, un grand décolleté, détecter une petite colère, un béguin, une aventure.
Les femmes, prétend la voix officielle, sont une "minorité". Il ne s’agit en fait que de les solidariser à leurs dépens avec d'autres groupes dits minoritaires, situés à des années-lumière. Le fait est qu’elles sont la majorité, vivent plus longtemps, subissent moins d'accidents, se suicident moins, tiennent mieux le coup psychologiquement dans la servitude, la prison. Elle le voit bien, Alice.
Elle a peut-être compris qu’on lui assurera le vivre et le couvert en la plaignant (ce qui l’horripile), tant qu'elle acquiescera aux désirs de pouvoir du flatteur ou s’installera dans un silence complice. Ce qui revient à une sorte de viol non physique : viol de cervelle, viol d’âme. Agression non sexuelle diffuse, quotidienne, un genre de harcèlement sourd et aveugle. Souviens-toi que tu n’existes pas !
Agression non sexuelle ? Le genre n’a donc rien à voir là-dedans. Tout le monde est ainsi agressé dans la vie, chère madame Coffin. Vous et le facteur. Lolos ou pas. Mais elle a raison, Alice : il ne faut pas se laisser faire.
Virago libre, soviétique, musclée, fossoyeuse − c’est ainsi qu’on lui présente les choses − elle découvre qu’elle est commandée en permanence par de vieux croûtons mafieux. Du type le Parrain en plus pervers, très occasionnellement la Marraine. Elle les devine tapis dans l'ombre. Ils font faire des courbes prévisionnelles en exigeant des autres la courbette éternelle, prophétisent le malheur, le préparent et l’assaisonnent puis l’administrent en très petit comité. Avant de jeter sur la scène des porte-parole aussi insignifiants que présélectionnés, portant titre ronflant mais muselés comme il se doit. Le bâillon-sarouel, c’est leur médaille du mérite raticole. En échange, ces porte-tout-ce-qui-se-porte se permettent un peu n’importe quoi.
Une allumette craque dans la tête d'Alice au pays des Vermeils. Schlass, pfuitt. Elle n'est pas l'étoile au firmament de leur monde ; elle n'est qu'un lampion d'Aladin qu'ils fracasseront quand il ne réalisera pas leurs vœux et expectatives.
Ces parrains cornus à cadeaux conditionnés, réfléchit la lampionne, ces messieurs qui font donner leurs ordres par d’autres messieurs qui n’aiment pas les femmes et par des mesdames qui n’aiment personne − je les vois ricaner maintenant au travers de ces discours publics mielleux, virant à l’aigre récemment. Les hypocrites ! Ils sont même à l’occasion amis de pédos, violeurs de messieurs, harceleurs de dames ! Alice a alors une vision : ils sont derrière les politiques absurdes qui mènent au bâillon !
Peut-être aperçoit-elle dans le brouillard un Martin Blachier, tout riant à l'idée d'interdire les réunions familiales à Noël à moins d'y burkifier tout le monde, ce qui bien sûr entraînerait disputes, absences, méfiances, jets de liqueur ! Là-dessus, Alice le rejoint en partie : la division dans la famille, c’est nécessaire. Elle ne veut voir ni grand-papa ni tonton ni cousin Jules, ni Martin Blachier dans la fête ! Une saint-Sylvestre entre cousines, mémé, tata, ça pourrait lui aller, avec de la dinde aux châtaignes ; de la pintade à la rigueur ; pas de coq au vin ! Ni de sapin, c’est trop vous voyez c’que j’veux dire. Une sapine ! Pas de champagne. De la bibine ! Pas de cigare. Des gauloises ! Et pas de bandana rose sur sa face d’Alice au carré. Il nous les brise, ce Martin.
Oui elle les voit tels qu’ils sont. Eux tous : mafieux, Blachier, etc !
Et Alice en conclut que les hommes, c'est du pipi de chat.
Notre conclusion, c'est qu'Alice est dans une bulle en verre opaque dont le vermeil s'écaille. Elle voit quelque chose au travers. La bulle s'est fendillée, des odeurs lui arrivent. Elle va étouffer. Le soufre lui monte au cerveau, et elle crie :
Ah ! Les salauds !
Elle ne voit plus ni ciel ni étoiles ni soleil. Tout est mort, l'amour est parti en ovni chez Pluton.
Pourtant ailleurs dans la vraie vie, hors bulle, des hommuscules gazouillent dans les bras de leur père, de vrais hommes s'échinent ou vagabondent, travaillent ou pas, aiment ou pas, se battent ou se frappent la tête, cultivent de vrais épis de blé ou manquent de pain, rient ou pleurent. Il y en a même qui se sacrifient comme prisonniers politiques, en France ! Parce qu’ils ont parlé vrai.
Les héros, ça existe.
Sans eux, les hommes, les vrais, que ferait-elle, Alice. Du tricot, peut-être. Le monde est si froid quand ils n'y sont pas.
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