Allocations familiales : comment les néolibéraux jouent l’équité contre l’égalité
Aussitôt dit, aussitôt fait : à peine réclamée par le groupe "socialiste" à l'Assemblée, la modulation des allocations familiales en fonction des revenus reçoit le soutien du gouvernement puis est votée en deux temps trois mouvements au Palais Bourbon.
Loin d'être le fruit de "l'égalitarisme fou" de "l'Etat socialiste" (1) – je suggère aux petits comiques du Figaro d'aller faire un tour à Cuba pour voir ce qu'est réellement un Etat socialiste -, cette mesure s'inscrit au contraire dans la logique de la "réforme", cette fameuse "réforme" qui consiste en fait dans la destruction de l'Etat-Providence pour revenir (2) à l'Etat-gendarme du XIXème siècle. Aussi, loin d'être le fruit d'une lubie néobolchevique, cette mesure va au contraire ravir les libéraux de tout poil, car cette modulation des allocations familiales sape leur fondement, et prépare ainsi leur suppression à terme.
Les allocations familiales, la prestation universelle par excellence
En effet, si le système français de sécurité sociale suit majoritairement une logique assurantielle – les cotisations sociales ayant le même rôle que l'argent versé aux assurances privées -, cette logique ne concerne absolument pas les allocations familiales, qui relèvent elle de la politique familiale conduite par la Nation.
Le but de cette politique est de soutenir la natalité afin de préserver le pays du déclin démographique et d'un vieillissement excessif de la population, voire d'assurer la croissance de cette dernière. Partant du principe que chaque nouveau-né est un bénéfice pour la communauté nationale, elle appelle cette dernière à contribuer au poids financier de la naissance et de l'éducation des enfants – par les allocations familiales mais pas seulement : l'éducation gratuite s'inscrit, entre autres, dans cette même logique –.
Il s'agit ainsi d'une part de préserver la vitalité démographique du pays, d'autre part d'une contribution au poids d'une action privée – la conception et l'éducation d'enfants – qui va dans le sens de l'intérêt général.
Aucun de ces deux versants des allocations familiales n'est conciliable avec l'absence d'universalité de ces allocations : chaque enfant étant un bienfait pour la République, cette dernière se doit de participer au poids financier de chacun d'entre eux. Toute atteinte à cette universalité est contraire à l'égalité : de même que l'éducation doit être gratuite pour tous, les allocations familiales doivent être versées à tous ceux qui ont des enfants.
L'équité comme machine de guerre anti-Egalité
On l'aura compris, les allocations familiales ne peuvent que déplaire au néolibéralisme – comme tout denier public employé dans des domaines dépassant ceux de l'Etat-gendarme. Ne pouvant heurter trop frontalement les valeurs égalitaires du peuple français – n'en déplaise à certains, nous sommes un peuple égalitaire -, les fameux "réformateurs" ont trouvé l'astuce : invoquer "l'équité".
Ce concept, flou à souhait, va leur permettre de critiquer les allocations familiales au nom de la justice sociale, en arguant qu'il n'est pas "équitable", qu'il n'est pas "juste" que tous reçoivent les même aides, indépendamment de leur niveau de revenus. En faisant oublier que l'égalité est garantie par la modulation des cotisations, ils veulent nous faire croire que les allocations familiales sont reproductrices d'inégalité. C'est à la fois faux – via donc la modulation des cotisations en fonction du revenu – et à côté de la plaque, car les allocations familiales, comme leur nom l'indique, s'inscrive dans le cadre de la politique familiale et non de la redistribution - politique sociale menée via les cotisations sociales.
Ainsi, moyennant la déformation des faits – dont les "populismes" n'ont décidément pas le monopole -, nos chers réformateurs, ces gens "responsables" pour qui "il faut dire la vérité aux français" se sont servis de l'idée de l'équité pour justifier la destruction du principe égalitaire qui était un des fondements de la politique familiale française.
Le "réformisme" contre la République
On connaît tous la prochaine étape : la fin de l'universalité des ces allocations va entraîner un sentiment d'injustice, puis une dénonciation des "assistés" qui "profitent du système", ce qui permettra de réduire, voire de supprimer les allocations familiales.
Un pan de l'Etat-Providence en moins. Une victoire pour les libéraux en plus.
Une défaite pour la République.
Car la République c'est précisément – et entre autres : la redistribution a elle aussi une importance centrale - des dispositifs comme les allocations familiales, c'est-à-dire des mécanismes où chacun contribue au bien public à hauteur de ses moyens, et où chacun reçoit la même aide de la communauté nationale.
La République aide tous les citoyens à avoir et à élever des enfants, tous comme elle offre à tous ces enfants une instruction ou des services de transports publics, de santé, etc.
Une fois de plus, c'est en prétendant sauver le système social français qu'on le met à bas, c'est s'affirmant haut et fort républicain qu'on détruit ce qui fait la République.
Triste époque que celle où les mots n'ont plus de sens, où plutôt où leur sens est dévoyé jusqu'à être retourné.
Chez Orwell, la guerre, c'était la paix. Au PS, la République, c'est le marché.
Chez Orwell, la liberté, c'était l'esclavage. Chez Valls,le socialisme, c'est le libéralisme.
Chez Orwell, l'ignorance, c'était la force. Chez Hollande, la promesse, c'est la trahison.
(2) En ce sens, le néolibéralisme est réactionnaire – au sens étymologique de celui qui souhaite le retour à un ordre ancien – bien plus que "progressiste" ou "moderne".
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