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Allumage de mèche

L’émergence soudaine du journalisme citoyen, dont Agoravox et Rue89 sont deux exemples intéressants, provoque un certain malaise dans la profession journalistique. Celle-ci oublie un peu vite la manne providentielle d’indices qui s’offre à elle et qui, parfois, sont les bruits avant-coureurs de scoops et d’affaires étonnantes.

Il y a quelques années, un journaliste du Canard enchaîné est présenté par une connaissance, dans un restaurant parisien des Champs-Elysées, à quelqu’un qui en sait long sur pas mal d’affaires en cours. On est alors à l’époque où la traque d’Alfred Sirven, le n° 2 d’Elf, captive les journalistes d’investigation. Sirven, l’un des principaux protagonistes de cette affaire fleuve, qui a promis sur un curieux message téléphonique de "faire sauter dix fois la République", est vu aux quatre coins de la planète, chaque fois sans succès. Son nom vient ce jour-là au cours de la conversation."Comment, dis cette personne au journaliste, parce que vous ne savez pas où il est, vous ?" Le journaliste, ironique, qui a dû entendre ça mille fois depuis qu’il s’intéresse à l’affaire, tente de répondre sans trop narguer son interlocuteur, mais risque quand même que "tout le monde prétend savoir et personne n’a rien trouvé". L’interlocuteur s’esclaffe et lui livre l’endroit précis où se trouve Sirven, en compagnie de qui et depuis quand. Bien sûr, aucune vérification ne sera faite et lorsque les deux connaissances se reverront plus tard, après que l’on eut retrouvé l’homme là où il avait été dit, ce sera avec un sourire gêné de la part du journaliste qui n’avait rien pris au sérieux de son ami et de sa connaissance. Fin de l’anecdote. Il s’en déroule, comme cela, des centaines chaque année. Autant qu’il existe de témoins directs ou moins directs de futures "affaires". Mais souvent, leurs révélations sont évidemment l’effet de facteurs qui les décridibilisent aux yeux de certains journalistes : celui-ci veut régler un compte, celui-là veut servir un copain, cet autre veut montrer son influence, etc.

C’est à cet endroit que l’on rejoint l’un des grands problèmes du "journalisme citoyen". D’un côté, les journalistes professionnels s’agacent de plus en plus de cette confusion des genres qui rend l’information de moins en moins discernable dans un océan d’opinions plus ou moins nourries de faits. De l’autre, les commentaires servent à des déchaînements de violence inouis, à des attitudes que leurs auteurs n’auraient jamais l’impolitesse ni le courage d’avoir face à ceux qu’ils attaquent ainsi. Les commentaires mal maîtrisés tuent la plupart de temps ce qui, dans un texte, fut-il maladroit, mal écrit, mal cadré, mal renseigné, mal orthographié, mal découpé, constitue un début d’indice pour ce qui pourrait devenir un fait bien établi par la suite. Les journalistes de métier devraient être moins susceptibles vis-à-vis de ces auteurs un peu sauvages qu’ils voient marcher sur leurs plates-bandes.

Prenons un exemple ici. On se demande à travers la presse ce qui a bien pu se passer en coulisse entre la France et la Libye pour aboutir à la libération soudaine des infirmières bulgares et du médecin palestinien au terme de huit années de prise d’otage. Diable, que vient donc faire le Qatar dans cette affaire ? Pourquoi Bernard Kouchner semble-t-il n’avoir joué aucun rôle dans une affaire qui implique lourdement le Quai d’Orsay ? Il faut savoir que ces dernières heures, un petit bruit a circulé ici ou là concernant... l’une des personnalités ralliées à l’ouverture sarkozienne. En effet, depuis 2005, celle-ci a noué des liens de plus en plus étroits avec l’émir du Qatar, Cheikh Hamad bin Jassem bin Jabr al Thani, se rendant à Doha à plusieurs reprises en compagnie de sa famille, recevant à son domicile parisien à de multiples reprises l’ambassadeur qatari à Paris, tout cela avec un grand souci du secret. A l’origine, le motif de ce contact soigneusement cultivé et développé était d’obtenir un investissement important de l’émirat dans sa circonscription , afin d’assurer sa réélection lors des législatives. Puis il a été question de grands projets. L’influence peu à peu gagnée auprès de ce petit pays richissime a fini par payer : allé faire comprendre le jour même de son élection au nouveau président qu’elle serait disponible pour le Quai d’Orsay, mais coiffée au poteau par son faux-ami Bernard Kouchner, cette personnalité a tout de même réussi à s’imposer puisque durant la campagne de Sarkozy, alors même qu’elle soutenait Ségolène officiellement, elle avait fait savoir aux deux candidats par personnes interposées sa capacité à user de ses liens avec le Qatar pour aider dans le dossier des infirmières, et d’autres encore. Bien lui a pris, une belle récompense lui a été accordée.

Pourtant, son nom n’a jamais été prononcé ni aucune recherche faite. Ainsi en est-il de bon nombre d’informations plus ou moins exactes, plus ou moins bien rapportées, plus ou moins transformées, jetées aux orties avec mépris avant même d’avoir fait l’ébauche d’une vérification. Dommage, car l’une des règles de bases de la profession journalistique est la suivante : le fait est au coin de la rue, sous vos yeux, nul n’est besoin d’aller au bout du monde ou de rencontrer les personnes les plus influentes pour le découvrir. Les plus grandes affaires ont pour témoins des anonymes parfois bien incapables d’en comprendre les tenants et aboutissants. Oui, bien sûr, le risque est d’abonder parfois dans le sens de ce qui peut devenir une fausse affaire, voire une grave manipulation. Mais les lois sont là pour régir les dires de chacun, et pas seulement des journalistes professionnels. De plus, la rumeur finit par tuer la rumeur : c’est ce qui a failli se passer avec Clearstream, si les juges n’avaient pas rebondi finalement. On est passé à deux doigts d’une mise en cause de la presse française dans ce qui aurait été une affaire factice de bout en bout et qui semble bien être une affaire d’Etat.

En conclusion, plutôt que de se cabrer devant la mise sur la place publique des paroles parfois les plus farfelues, mais aussi des informations les plus intéressantes, les journalistes professionnels devraient en tirer profit et n’y voir que des multitudes de pistes possibles. Et parfois, forcer leur nature pour se demander si celui qui dit n’est pas vraiment au courant de quelque chose qu’il sait.


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17 réactions à cet article    


  • alberto alberto 8 août 2007 17:15

    Oui, vous avez raison, car pas plus tard qu’hier, j’écoutais une émission de RTL, « on refait le monde » qui est une discussion entre journalistes pour commenter l’actualité.

    Donc, l’un d’entre semblait s’énerver de l’engouement du public pour l’actualité lue à travers internet, s’insurgeant (à juste titre semble-t-il) de ce que les auteurs d’articles et commentateurs peuvent écrire à peu près n’importe quoi sur internet (dans les limites de la décence) vis à vis de la vérité de ce qu’ils relatent, tandis que eux, journalistes professionnels, prétendait-il, sont astreints à la vérification de ce qu’ils annoncent, presse écrite ou parlée.

    Je me faisais la remarque que j’avais souvent lu ou entendu pas mal de conneries de la part de journalistes, même de bonne foi, pour ne prendre qu’avec des pincettes ce nous rapportent les médias...quand il n’y a pas carrément désinformation, ce qui arrive de temps en temps !

    Et puis, on a coutume de nommer « la presse » le cinquième pouvoir et je pense que le « journalisme citoyen » et ressenti comme une sorte de perte d’une petite partie de ce pouvoir qu’elle détenait jusqu’alors sans partage.

    Voilà les reflexions que m’ont inspirées votre article.

    Bien à vous.


    • Comptesrendus 8 août 2007 17:26

      Merci pour votre réaction qui illustre bien le propos. J’ai choisi l’anonymat en particulier en raison de ce type de problème, car on s’attire beaucoup trop les foudres, et j’en ai fait les frais, de ses confrères, en sortant des rails. Combien d’infos leur ai-je livré qui m’ont valu d’être attaqué pour règlement de comptes personnels ! J’en souris, ca si j’avais autant d’ennemis que l’on m’en prête, je serais vraiment quelqu’un de puissant. Peu importe mon cas personnel : il a vraisemblablement un affaiblissement global de la profession journalistique tant sur le plan de la qualité que de l’audace et du talent. Tant mieux donc si malgré cela, l’info peut circuler, grâce à l’émergence de cette nouvelle forme d’information pas si sauvage que cela..


    • Plus robert que Redford 8 août 2007 22:14

      Article ô combien pertinent, mais qui ne répond pas à LA question : Quid de la fiabilité des sources sur internet ?

      Et ailleurs aussi, bien sûr, puisque le journaliste ordinaire n’est pas lui-même à l’abri de la désinformation manipulatrice (cf affaire Baudis/Allègre ou celle de l’ « agression raciste » dans le RER !)

      Cela dit, votre opinion corrobore le petit encart Agoravox TV visible sur cette page même : « les journalistes : quelle responsabilité ? » A en croire l’auteur (et vous même), les journalistes, c’est rien qu’une bande de p’tits branleurs qui tournent en circuit fermé...

      Ca y est : Vous m’avez convaincu !


      • Comptesrendus 9 août 2007 01:54

        Oh... Mais non, bien sûr qu’il ne s’agit pas de jeter l’opprobe. Mais ceux qui utilisent si bien l’art de critiquer doivent savoir l’assumer en retour n’estèce pas, et je le prends pour moi aussi. Je pense simplement que nous sommes un certain nombre, parmi mes 40 000 confrères et consoeurs, à en avoir assez des baronnies. Notre métier a été acheté par les industriels. Nous ne sommes pas les seuls dans ce cas, soit. Mais nous y avons perdu beaucoup. Regardez l’incroyable médiocrité du gratuit de Bolloré. Ou l’allure de nos newsmags transformés en catalogues de La Redoute parsemés d’articles. Mais les exemples se multiplient. Quel désastre.


      • hervé06 9 août 2007 00:12

        Bon, alors qui c’est, cette personnalité dont personne ne parle ? Allez... après collecte et analyse des indices ici exposés, après suppression des candidat(e)s possibles mais recalés à au moins un indice, je dirais.... : DSK !!! C’est effectivement troublant, et ça fait méditer....


        • Comptesrendus 9 août 2007 01:50

          Hmmm... Allez, non, je ne le dirai pas, désolé... Ce serait risquer de nouveau l’accusation de rumeur. Mais cette passerelle Elysée-PS via le Qatar existe bien smiley


        • Lord Nithorynque 9 août 2007 15:44

          Allez... après collecte et analyse des indices ici exposés, après suppression des candidat(e)s possibles mais recalés à au moins un indice, je dirais.... : Jack Lang.


        • Lord Nithorynque 9 août 2007 15:58

          Néanmoins, Hervé06 s’est trompé de peu, puisque ces deux personnalités « de gauche » ont un point commun. DSK vient en effet de se porter acquéreur fin juillet d’un appartement de 240 m2 sur deux niveaux dans un hôtel particulier de la place des Vosges, à Paris. Il y aura pour voisin Jack Lang, propriétaire depuis 1984 d’un appartement de 165 m2. Tout journaliste digne de ce nom pourra vérifier facilement ce que j’avance et l’infirmer ou non.


        • Comptesrendus 9 août 2007 16:13

          Petite précision tout de même, my Lord... Si vous saviez comme ces deux là se détestent...


        • ZEN ZEN 9 août 2007 10:09

          « l’une des règles de bases de la profession journalistique est la suivante : le fait est au coin de la rue, sous vos yeux, nul n’est besoin d’aller au bout du monde ou de rencontrer les personnes les plus influentes pour le découvrir »

          Eh oui, le journaliste le plus souvent récolte et met en forme les messages des agences de presse..Je me pose des questions sur la formation dans les écoles de journalisme.

          Le véritable journaliste d’investigation est une espèce de plus en plus rare. Il gène. A part Denis Robert, vous en connaissez beaucoup ?


          • Comptesrendus 9 août 2007 14:59

            J’en connais, et je crois, de sérieux. Mais ce ne sont pas la plupart du temps des « stars ». Ils sont d’ailleurs assez couramment navrés du résultat final de leur travail, passé à certains filtres. Denis Robert, au passage, oui, est un excellent confrère.


          • mandrier 9 août 2007 10:36

            Oui les vrais journalistes manquent dans notre pays. La majorité d’entre eux se contente de « re-pisser de la copie » d’agences de presse qui elles-même n’ont fait que reprendre ce qu’on a pu leur communiquer...

            On est bien loin des Jean Larteguy, des Robert Kapa , et autres Albert Londres !..

            Que leur rentre-t-on donc dans le crâne dans leurs écoles ???

            Le pire ce sont des journaux comme Ouest-France qui, outre un pêchi-prêcha convenu, font des sortes d’articles publicitaires ou de communiqués d’offices de tourisme en guise d’articles. Ces « papiers » très approximatifs ne faisant que reprendre d’aussi approximatifs propos de « responsables » temporaires qui ne connaissent même pas l’Histoire, la géographie, le peuple, l’économie, etc du « bled » où ils évoluent ! Ces journalistes pigistes pompeusement appelés « correspondants » faisant un autre « petit boulot » (concierge de’hotel, secretaire de « je ne sais quoi »...), ont le culot d’écrire tout, n’importe quoi et son contraire ! Il faut vendre de la ligne ! Et le rédacteur en chef local, le nez dans son guidon, ne voit même plus la route devant lui, car il faut vendre du papier dans sa circonscription sinon il est viré !

            Non ! ce n’est pas du journalisme ! C’est n’importe quoi !

            Le net permet une révision du métier qui s’est bien sclérosé !


            • Comptesrendus 9 août 2007 15:05

              Vous citez des « reporters » qui ont en commun d’avoir fait la route, ce qui est d’après moi la meilleur école au monde. Vous avez raison : l’enseignement du journalisme en France est une pure calamité. L’une des toutes premières raisons, la voici : la plupart des élèves du CFJ, du CELSA, de l’ESJ, de Sciences Pô à fortiori, savent déjà au cours de leur scolarité qu’ils seront « placés ». Leurs professeurs sont des confrères de renom, qui placent leurs petites recrues. Cela étant, je ne vais pas vous mentir : ma carrière, je la dois à une journaliste dont mon oncle avait réparé la bagnole. Pas d’études. Mais je me suis fait virer je ne sais combien de fois des staff de pigistes, la première fois parce que trop jeune, selon un célèbre directeur de Rédaction, la seconde parce que j’avais commis une bourde, ne sachant pas que j’interviewais l’ennemi juré de mon boss, et ainsi de suite. Le métier est rentré, la route a été bien plus chaotique que pour ceux sortant des écoles, mais ô combien enrichissante, et je dois gagner environ 70% de moins que le salaire « normal » de quelqu’un de mon âge qui aurait fait une grande école. Mais qu’importe, on a ce métier dans la peau, ou pas smiley


            • mandrier 9 août 2007 21:39

              Oui, c’est souvent par hasard qu’on se révèle ! Il faut aussi remarquer qu’écrire -contraint et forcé - pour assurer sa pitance quotidienne ne permet pas malheureusement d’avoir la quiétude et la sérénité propices à la rédaction d’observations de terrain ou encore de réfexions de haute volée ! Personnellement, exerçant une toute autre profession, et étant amené à « trainer mes bottes », il m’est arrivé d’écrire des textes pour m’amuser et de les proposer à des revues spécialisées qui m’ont publié sous pseudo (sinon problèmes assurés ! On n’est pas Pierre Loti ! ) puis d’écouter après mes pairs s’énerver sur ce qui était raconté ! : c’est jouissif !!!


            • Comptesrendus 9 août 2007 21:53

              Voilà, je trouve ça formidable, cette démarche d’écrire, comme vous le dites parfois nécessairement sous pseudo, et de proposer ses écrits à des journaux et magazines. Les portes doivent s’ouvrir, c’est de l’air frais ! Et c’est un bon challenge pour les professionnels de l’écriture.


            • mandrier 10 août 2007 10:55

              Bonjour ! Vous avez bien de la chance d’être en poste à Buenos Aires dans un pays bien intéressant qui est très proche de nous... Il y a certainement de bien beaux papiers à écrire...

              Pourquoi dis-je cela ? Tout simplement parce que hier soir , j’ai resorti un ouvrage sur Gervèse, (de Schirmann -editions du Gerfaut). Gervèse, Officier de Marine, était peintre et écrivain à ses heures, et a fini sa vie en Argentine, installé dans un appartement de l’avenue Cordoba au 1215, face à la place Lavalle. Je viens encore de regarder ses dessins, gouaches et aquarelles.... composés en Argentine. Que reste t il de la mémoire locale d’un tel artiste ?

              Oui ! Plutôt que de nous ressasser des évènements négatifs et récents. Pourquoi ne pas nous faire de beaux papiers , sur les péones basques de la Pampa, ou des Italiens , Espagnols, ou Francais établis là-bas ? Sur les marins du Long-cours qui faisaient escale là-bas ? Sur ce que font les Argentins ? Ce pays est une sorte « d’Europe » délocalisée, non ? Personnellement, j’ai eu l’occasion de travailler avec des Argentins, venus en Bretagne se former sur des avions de la Marine. Je garde d’eux l’image de gens courageux, travailleurs, habiles, très forts dans leurs métiers respectifs... Personnellement, je ne comprends pas très bien pourquoi l’Argentine qui fut si proche de la France dans nos moments difficiles de l’Histoire, se retrouve si « éloignée » de nous ! La France serait-elle aussi ingrate , si indifférente, si égoïste ? Si repliée sur elle-même ? Et pourquoi donc ?


            • Comptesrendus 10 août 2007 20:20

              Très bonne vision de ce qu’est ce pays assez vertigineux et en effet si proche de l’Europe qu’il en tourne parfois le dos à sa latinité. J’y reviendrai. Cela dit, un peu d’optimisme tout de même, ici les gens parlent souvent de la France et n’oublient pas que lors de la grande crise économique et de la dévaluation, c’est le premier pays à avoir fait preuve de solidarité, notamment en envoyant beaucoup de médicaments qui faisaient alors défaut pour les plus démunis...

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