Alors, encore en vacances ?
« Alors, encore en vacances ? »
Que le premier instit à qui on a jamais fait cette vanne me jette la première pierre.
C’est bien connu : Les instits sont planqués et grévistes. Privilégiés, toujours à se plaindre… Ce genre de remarques se répète inlassablement et insidieusement à l’oreille de nombreux enseignants.
Je suis moi-même « professeur des écoles ». Lors de la plupart des soirées où, ayant bien mangé et bu quelques verres, j’ai le plaisir de discuter avec de nouvelles connaissances, arrive le moment fatidique où on en vient à parler travail. C’est alors là qu’en général viens LA phrase qui revient comme un leitmotiv : « Oui mais vous avez quand même beaucoup de vacances, et vous avez fini à 16h30. »
Bref, nous sommes des privilégiés.
Ces remarques qui me laissaient de marbre au début ont commencé à m’échauder avec les années et à force de répétitions . Provenant de tous milieux sociaux, aisés et ouvriers ou artisans, bref, j’ai fini par comprendre que dans l’imaginaire collectif, Les instits n’en foutent pas une.
Je n’ai pourtant pas l’impression d’être mieux loti que la plupart de mes amis de professions très diverses. Parlons par exemple d’une journée de travail type. J’ai la chance d’avoir un poste cette année dans une école qui commence à 9 heures officiellement. Chanceux me direz-vous.
Arrivée : 8h20 pour faire le soutien ou aide personnalisée. Quand il n’y a pas soutien je viens à 8h30 pour préparer mon matériel.
8h50 accueil des élèves en classe. Classe de 9h à 10 h30, puis surveillance de la cour de récré, puis classe jusqu’à midi.
A midi, préparer les ateliers et le matériel de l’après-midi pendant 45 minutes.
Pause de 30 minutes pour manger. A 13h20 retour dans la cour pour l’accueil des élèves, pas de pause jusqu’à la sortie. Correction des cahiers jusqu’à 17h30 ou 18heures selon la journée.
Bien sûr pas question d’aller se fumer une clope ou d’aller aux toilettes si ce n’est à midi.
On rajoute le travail le mercredi matin et le dimanche pour préparer ses cours de la semaine, les réunions et rendez-vous avec les parents, et ça donne une idée du volume horaire qui dépasse largement les horaires « officiels ». Je ne suis pas pourtant un instit « spécial « ou plus acharné qu’un autre. Jusqu’ici, rien d’extraordinaire, me direz-vous. Qu’est-ce par rapport à un artisan qui travaille pour son compte 12 heures par jour ? A première vue, comme ça pas grand-chose.
Pourtant, c’est surtout l’intensité des journées et l’énergie nécessaire à la tenue de sa classe qui fatigue vraiment. Les gens n’ayant jamais eu à tenir une classe nous prennent parfois pour des touristes. Pour ma part, je suis une carpette en fin de journée, et je rentre complètement lessivé. Bien sûr il y a pleins de métiers qui sont fatigants. Mais je mets au défi quiconque ne l’a jamais fait, de se faire une bonne journée de classe avec des gamins énervés. Ils m’en diront des nouvelles. Pour preuve les témoignages de parents qui viennent accompagner la classe pour une sortie et disent en partant « je ne sais pas comment vous faîtes, moi je n’en peux plus ».
Une de mes amis a été enseignante il y a de nombreuses années comme vacataire. Elle donnait des cours d’anglais. Puis elle a arrêté pour faire du secrétariat. Elle se sent depuis, me dit-elle, beaucoup moins fatiguée. « J’ai l’impression d’être toujours en vacances, c’est beaucoup plus facile nerveusement ». Attention, loin de moi l’idée de critiquer nos amies secrétaires, je ne fais que retranscrire une discussion pour illustrer mes propos. Il est juste intéressant d’entendre l’avis de quelqu’un qui a goûté à l’enseignement et à autre chose.
Autre idée couramment répandue : S’occuper d’enfants c’est quand même pas difficile : Lors de mes années de remplacement j’ai goûté avec joie à certaines sections de collège SEGPA dans lesquelles, au lieu des élèves en difficulté que l’on devrait y trouver – en somme des élèves, qui ont juste besoin de plus de temps pour apprendre ou n’ont tout simplement pas un profil « scolaire », on trouve toute une faune variée de troubles du comportement divers placés là par manque de moyens. Du délinquant violent à l’élève hyperactif, on met dans un espèce de fourre-tout les élèves en difficultés et de bonne volonté et les élèves inadaptés au système scolaire.
Résultat : on se retrouve par exemple avec 18 élèves par classe (16 maximum officiellement), sur laquelle une bonne douzaine d’élèves pourraient réussir dans un meilleur environnement, et se retrouvent dans l’impossibilité de travailler par manque de calme et peur des représailles des quelques gros bras qui imposent leur loi. Quelle ne fut pas ma surprise en arrivant dans ce collège.
Une des première sorties d’un des élèves à un collègue qui lui demandait gentiment de s’asseoir fut « Casse moi pas les couilles je vais te taper », ce qui certes ne manque pas de panache mais semble peu approprié vis-à-vis de son enseignant. Et je passe sur les noms d’oiseaux qui fleurissaient sur les bouches des élèves au cours des différentes séances , il faut dire qu’ils s’insultaient copieusement entre eux également. Sans compter les bagarres en classe –très occasionnelles il est vrai-et le compas planté dans le tableau à quelques centimètres de la tête du collègue.
On ne devrait pas laisser faire ça, c’est vraiment n’importe quoi, encore un enseignant qui n’a pas d’autorité, penseront certains. Pauvre collègue. Il n’était pas le seul à souffrir. Les élèves ne savaient pour certains à peine lire et compter… on aurait pu faire quelque chose…et ils n’en avaient vraiment rien à faire. Ils se foutaient des apprentissages, même préparés au cas par cas, comme de l’an quarante. Pour ma part, j’ai été obligé de sortir un élève dans le couloir qui refusait de le faire seul, sur un coup de sang. Merci au Judo. L’adorable bambin, vexé du fait, de me répondre ensuite « Tu te la flambes ? Bah vaz-y viens ! » Prêt à en découdre, le chérubin s’est finalement ravisé. Il a finalement terminé l’heure en permanence et ne m’a par la suite laissé tranquille. Le petit chéri a d’ailleurs sorti à à la CPE du collège quelques jours après « Vaz-y je vais te niquer !! » . L’élève n’est par ailleurs pas allé en colle après tous ces méfaits, ses parents prenant sa défense systématiquement. Evidemment suite à tout cela un conseil de discipline a été mis en place… sans grand résultat. Tout cela n’étant qu’une anecdote dans l’avalanche d’histoires quotidiennes qui rendent déplorables sinon impossibles les conditions de travail de certains collègues.
Mais pourquoi ne pas exclure ? Demandais-je naïvement. Comment tolérer de tels débordements ?
Réponse : « Pour l’envoyer où ? Il n’ y a de place nulle part, il faut bien le scolariser ».
Magnifique comme le système peut-être démuni devant ce genre d’attitude. De solution, il n’y a pour ainsi dire… aucune ! Sur une heure de cours, environ 20 minutes d’apprentissages et 40 minutes d’éducatif. Je ne vous raconte pas les nerfs en rentrant le soir. Je comprends mieux pourquoi la plupart des collègues qui viennent remplacer ici repartent au bout de quelques jours ou certains refusent carrément d’y aller ! Pour changer ça, il faudrait des structures adaptées… mais ça coûterait trop cher.
Je tire mon chapeau à tous les collègues qui travaillent dans ces conditions tous les jours et vont au charbon sans jamais rien demander à personne. Pour ma part, je suis trop sanguin.
A part ça on a vraiment un métier de tout repos… parfois.
Ce remplacement me laisse un goût amer pour les quelques élèves qui ont juste envie de s’en sortir et qui voient leurs chances gâchées par cet environnement. Comment a-t-on pu en arriver là ?
Bien sûr, je prends là un exemple extrême. Mais sachez que même si la plupart des classes sont loin de cette violence, la gestion du groupe, même avec des enfants « normaux », est vite éreintante, tellement l’inattention est constante, et le manque de cadre à la maison flagrant. J’ai rencontré des situations difficiles à plusieurs reprises, ou parfois des classes adorables. Les années se suivent et ne se ressemblent pas.
Autre idée courante que l’on rencontre : « mon petit chéri est une victime de son méchant professeur » On peut rajouter là-dessus le total manque de considérations de certains parents pour l’enseignant de leur enfant, qui prennent systématiquement la défense de leur enfant même en cas de faute avérée. Ma dernière en date : Punition pour avoir tapé son voisin avec sa règle : Ecrire un petit texte qui explique en quoi ce n’est pas bien de taper ses camarades, et faire un mot d’excuses… ce n’est pas la mer à boire pensez-vous. Je vous le donne en mille : réponse des parents : « Il n’a pas fait sa punition car il avait juste tapé avec sa règle » sic… on en vient à se demander ce qui va nous tomber dessus à chaque fois qu’on ouvre un cahier de correspondance. Chers parents, faîtes confiance aux enseignants de vos enfants.
Le salaire pour ne rien faire ? pas forcément mirobolant, mais pas ridicule non plus : Au bout de huit ans d’ancienneté, je touche 1750 euros environ. C’est en dessous de la moyenne française, bien qu’au-dessus de la médiane. En tout cas pas démesuré, loin s’en faut.
Toujours à se plaindre, toujours en grève ? Certes, l’instit dispose de son droit de grève… mais ça n’en fait pas un maniaque de la protestation pour autant. Je ne participe pas systématiquement à toutes les grèves, et ce n’est pour moi qu’une solution par dépit. Pourtant c’est un des seuls moyens que nous avons pour faire avancer les choses… et quand on fait la grève, sachez que l’on est pas payés, et qu’on perd de l’argent. Et oui ! Le gréviste n’est pas payé ! Et sachez que quand on la fait, c’est avant tout pour vos enfants.
Des vacances, c’est vrai. Mais les élèves en ont besoin et les enseignants aussi. Ce ne sont pas les seuls me direz-vous.. Mais sachez qu’une partie des vacances est passée à travailler pour la période suivante. De plus, de nombreux collègues seraient prêts à avoir moins de vacances… pour des journées moins chargées pour les élèves, comme ce qui se fait dans la plupart des pays d’Europe. Seulement, ça, au vingt heures on ne le dit pas. On préfère montrer des enseignants mécontents ! Je remercie particulièrement lesmédias qui entretiennent cette image de protestataires systématiques, sans expliquer à chaque fois le fond du problème. Merci aux journaux de 20 heures, entre autres, de contribuer à monter les gens les uns contre les autres par ignorance.
Que fait l’état dans tout ça ? A l’heure des grandes réformes sur les rythmes scolaires,Ce sont de toute encore une fois les intérêts économiques qui dominent… le secteur du tourisme faisant trop pression sur le gouvernement. Les pauvres, on les comprends. Il y en a qui bossent pendant que d’autres sont en vacances. Les acteurs du secteur touristique ont d’ailleurs été consultés à la base sur la question des rythmes scolaires. Par contre on ne demande aux enseignants leur avis que maintenant que l’étude a été bouclée et le rapport remis au gouvernement. Quelle blague. Bien sûr, tout ça dans L’INTERET DES ENFANTS. Et puis quoi encore… mouais.
Que reste-t-il alors ? L’amour des enfants , le plaisir d’enseigner et d’ouvrir les esprits. Et c’est déjà beaucoup ! Quand on peut travailler convenablement c’est quand même un chouette métier, une vocation. Pas une sinécure. Il est juste dommage que dans la tête de la plupart des gens on reste des fainéants privilégiés… mais c’est ainsi ! Le tout est de ne pas attendre de reconnaissance excessive… Et de faire ce qu’on aime. Courage à tous les collègues qui continuent à faire ce métier par amour des enfants contre vents et marées.
Hardi les gars ! Ils nous auront pas !
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