Amazon - Le Père Noël est une ordure
Je n'ai jamais aimé Noël. Trop de mauvais souvenirs m'habitent. Noël et son injonction d'achats, les centres commerciaux bondés, les repas de famille au menu convenu, tout cela m'angoisse. Chaque année c'est la même chose, je joue le jeu et j'attends que ça passe. Les premiers jours de janvier sont pour moi une délivrance. Je pourrais me dispenser de faire la queue aux caisses des enseignes à la mode et "commander en ligne", bien au chaud, sur les multiples sites qui vous proposent de vous livrer avant la date fatidique,tout ce que la Terre entière produit, comme Amazon par exemple. Mais derrière mon écran le Père Noël du net n'est lui aussi pas vraiment très net.
AMAZON : UNE IMPRESSIONNANTE EFFICACITE
Le site est convivial, clair, bien conçu, et donne envie d’acheter. En quelques clics vous accédez à l’édition voulue du livre que vous cherchez ; vous pouvez l’acheter neuf ou d’occasion ; être livré sans frais supplémentaire . Vous pouvez également acheter autre chose que des livres, des films ou de la musique ; la gamme de produits est impressionnante est s'enrichit tous les jours. Du dernier jouet au livre rare dont l'édition est épuisée, tout est à portée de clic et vous sera livré 24 heures plus tard. Amazon c'est en quelque sorte votre coursier électronique qui relie fournisseurs et consommateurs. Son fondateur est Jeff Bezos, un libertarien (1) qui s'affiche. ll fonde Amazon.com en 1994, à Seattle. Au début une simple librairie en ligne, Amazon est devenue en quelques années la plus grande entreprise mondiale de vente en ligne, avec un chiffre d'affaires de plus de 50 milliards de $ en 2013 et son fondateur est la 9 ème fortune mondiale. Cette année, il s'octroie la première place des meilleurs dirigeants dans la liste - subjective-du professeur de stratégie et leadership, Sydney Finkelstein, à la Tuck School of Business de l'Université de Dartmouth (Etats-Unis) ( 2) . Bref ce Jeff là, il a tout bon dans ce monde du commerce global.
Depuis 2000 la boutique en ligne ne cesse de s'agrandir et de se diversifier. Avec ses tablettes et ses liseuses et bientôt ses téléphones portables, avec sa logistique de livraison offerte au client , avec la diversification sans fin des produits mis en ligne, avec la rotation ultra-rapide des stocks et des délais de paiement habituels de 45 jours imposés aux fournisseurs qui lui permettent d'avoir en permanence un trésor de guerre autorisant une politique de prix très agressive et personnalisée (3) , Amazon met tout en oeuvre pour amarrer le consommateur à son site. Ce" business-model", tout en engrangeant des subventions publiques pour la création d'emplois, impose à ses salariés des conditions de travail inhumaines et organise l'optimisation fiscale en utilisant la concurrence des Etats entre eux, en particulier ceux de la dite Communauté Européenne.
Il est évident que dans quelques années, si rien n'est fait pour maîtriser son développement, Amazon aura anéanti toutes autres formes de commerce traditionnel, petites boutiques de centre-ville, hypermarchés et autres commerces en ligne. Il sera alors trop tard pour aller à l'encontre de ce colosse de la distribution.
DES ENTREPOTS SOUS LE JOUG DU CODE BARRE
Le succès de ce monstre de l'emballage et de la logistique ne serait pas possible sans imposer à ses salariés des conditions de travail digne du XIX ème siècle (Le Monde du 16/12/2013 ).Dans Libération de ce 17 décembre, une employée raconte "la peur organisée" qui règne chez "les "eacher", pour réceptionner les marchandises et les enregistrer informatiquement ;les "stower", pour les ranger dans les kilomètres d’étagères de l’entrepôt ; les "picker", pour arpenter les allées et rassembler les produits commandés ; ou les "packer", pour les emballer avant expédition." Dans cet univers orwélien, univers du code barre, toute la réalité physique et humaine a son double dans le monde virtuel de l' informatique .Les managers sont informés en temps réel de tous les faits et gestes de leurs petits lutins ainsi que de leur cadence. C'est une véritable atmosphère digne des meilleures années du stakhanovisme soviétique qui règne dans ces méga-centres de logistique et la pression sur chaque salarié est énorme. ( 4).
Jean-Baptiste Malet a fait partie des 1 200 salariés embauchés à la saison de Noël 2012 pour travailler au sein de l'entrepôt de Montélimar. Ce journaliste a écrit un livre, "En Amazonie" (5) où il révèle les conditions infligées à ces travailleurs de l'ombre dans ces entrepôts, digne d'un Etat totalitaire, où se mêlent à la fois archaïsme et modernité.
Depuis quelques jours la belle machine se grippe. Les employés allemands de trois sites (Bad Hersfeld, Leipzig, Graben), sont en grève pour revendiquer un alignement de la rémunération des centres logistiques sur les salaires de la distribution, plus élevés. Les primes qui ont été versées aux salariés sont jugées insuffisantes par le syndicat. Aux Etats-unis , le syndicat de l’Etat de Washington, WSLC, appelait aussi à se mobiliser "pour signifier à la société que ce combat ne fait que commencer". Mais il en faudra beaucoup plus pour bloquer la machine mondiale à empaqueter et distribuer. A nous consommateurs d'être aussi solidaires de ces travailleurs surexploités, par notre grève du clic on peut aussi contribuer à changer le rapport de force.
UNE ENTREPRISE SUBVENTIONNEE QUI DELOCALISE SES IMPOTS
Il y a un an, à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), la troisième plate-forme de traitement de commande et d’expédition qu’exploite Amazon en France a lancé ses activités avec comme engagement l'embauche, de 250 CDI dans les deux ans et 500 d’ici à 2015. Pour chaque emploi créé en CDI et à plein temps, Amazon reçoit 4500 € de la région abondés de 2000€ de la part de l'Etat. Pour ces 250 emplois créés combien seront détruits dans des librairies et autres lieu de distribution ? En subventionnant ces géants, pour grappiller quelques emplois, les pouvoirs publiques cautionnent aussi cette mise à mort programmée.
Amazon est une entreprise qui ne crée pas de richesse mais la transfère d'un consommateur à un fournisseur tout en prenant sa quote-part et tout en ce gardant bien de reverser son dû aux Etats qui l'accueillent, lui fournissent des infrastructures, des personnels qualifiés et des consommateurs "branchés".
Comme Google, Ebay, Apple, Amazon déclare ses ventes dans les pays fiscalement plus intéressants comme le Luxembourg pour payer moins de TVA. Au total le manque à gagner pour l'Etat français s'élèverait pour tous ces géants de l'évasion fiscale à 400 milliards d'€ (6) ; de quoi alléger significativement notre dette et la charge des intérêts.
Notre Ministre de la Culture , Aurélie Fillipetti s'en est offusqué : "Je ne cesserai jamais de m'insurger contre ces pratiques parce qu'elles sont destructrices d'emploi, destructrices de culture, destructrices de lien social, parce que faire mourir les petites librairies dans les centres-villes, c'est une catastrophe", a-t-elle confié au Républicain Lorrain. (le Monde du 30 juin 2013).
Cette année en Grande Bretagne, Amazon a réussi le tour de force de payer moins d'impôts ( 2,4 millions de livres) que le montant des subventions publiques qu'elle a reçues ( 2,5 millions de livres) pour un chiffre d'affaire estimé à 4,2 milliards de livres .( l'Humanité du 17 mai 2013)
Ce dumping fiscal de ces micro-Etats associé au dumping social sont révélateurs du funeste projet de cette Communauté Européenne qui n'est en réalité qu'une communauté vouée aux seuls intérêts de ces supers prédateurs aux dépends de la communauté des peuples.
Ces géants de la distribution qui s'interposent et imposent leur loi entre le producteur et le consommateur vont peu à peu détruire tout tissu économique local en vampirisant toute sa substance. L'évolution sera lente et silencieuse mais quand on lâchera nos écrans et que l'on flânera dans les rues, il n'y aura plus rien à voir dans les vitrines des magasins à l'abandon, plus personne à solliciter. Alors il nous faudra bien vite rejoindre nos écrans et attendre 24heures au moins la livraison d'un colis contenant un livre ou un cadeau dont le prix se sera aussi envolé.
Tant qu'il nous reste un peu de lucidité levons le cul de nos chaises, éteignons nos ordinateurs et promenons nous là où il y a encore de la lumière, on y trouvera encore un petit présent ou un bon roman qui saura nous séduire, échangeons nos carnets d'adresses pour un bon produit et faisons la fête. Bref, producteurs et consommateurs rapprochons nous et prenons nous en main avant qu'il ne soit trop tard.
En cette fin d'année n'abusez pas de vos écrans, ils pourraient vous aveugler. Quant au Père Noël ....j'insiste c'est vraiment une ordure.
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(1) un libertarien ( Wikipédia ) est adepte d'une philosophie politique prônant, au sein d'un système de propriété et de marché universel, la liberté individuelle en tant que droit naturel. La liberté est conçue par le libertarianisme comme une valeur fondamentale des rapports sociaux, des échanges économiques et du système politique.(...) De fait, les libertariens, sont favorables à une réduction, voire une disparition de l'État (Antiétatisme) en tant que système fondé sur la coercition, au profit d'une coopération libre et volontaire entre les individus.
(2) Voir l'article suivant
(3) Pour rester constamment le plus compétitif en ligne, Amazon réalise 2,5 millions de changements de prix... par jour
(4) Dans ce même article : "Un bon salarié peut être porté aux nues comme étant élu "associate de la semaine" par les managers qui l’applaudissent tous en chœur. Aller aux toilettes qui se situent à l’extrémité de l’entrepôt fait dégringoler votre "prod". Pousser son collègue pour se saisir en premier d’un chariot la fait grimper. L’idéal (et c’est d’ailleurs la norme) étant d’arriver à l’avance le matin pour préparer scan et chariot et gagner de précieuses minutes qui feront peut-être la différence. C’est aussi cela, "avoir un bon comportement". A l’embauche, le mail de l’agence d’intérim précisait noir sur blanc : "Il faut arriver un quart d’heure à l’avance, ils aiment bien."
« Avoir un bon comportement, c’est par ailleurs accepter les heures supplémentaires. Au matin du 2 décembre, lorsque nous arrivons à l’entrepôt vers 5h30, l’équipe de nuit, qui finit habituellement bien avant, est encore là. Le discours d’accueil, qu’une manageuse fait quotidiennement pour commercer la journée, nous invite aujourd’hui à rester une demi-heure de plus pour faire face à une augmentation inattendue des commandes : "L’équipe de nuit a fait l’effort, comme vous l’avez vu. Nous vous demandons de le faire aussi, pour que l’équipe suivante n’ait pas une charge de travail insurmontable !" Dans cette ambiance d’hyper individualisation, elle évoque soudain l’esprit d’équipe et la solidarité.
(5 ) "En Amazonie, infiltré dans le meilleur des mondes " Jean Batiste Malet- Editions Fayard
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