American Beauty ou le miroir de l’insoutenable
En 1999, Sam Mendes nous présente un film au nom calme et serein, American Beauty. L’affiche reflète très bien cette paix de façade même si on pouvait déjà y déceler comme un soupçon de malaise. Pourtant, ce film est peut-être le cauchemar de l’Amérique de Bush. Pourquoi ?

Dès le départ, American Beauty est une plongée dans un univers terrifiant. Derrière les façades souriantes - à en grimacer - de cette Amérique des banlieues tranquilles, au-delà des allées pimpantes, des maisons rutilantes, des symboles de la réussite de cette Amérique de la toute fin des années 90, Sam Mendes ouvre très vite la porte vers un monde carcéral.
La famille Burnhamm est selon toute vraisemblance une famille comme toutes les autres, avec ses petits problèmes comme toutes les autres, ses petites crises comme toutes les autres. Pourtant, le film nous amène très vite au-delà du miroir. Le couple des parents n’est plus qu’une convenance, plongeant le mari dans une frustration sexuelle intense, sa femme dans une convoitise frénétique de l’homme qu’elle admire corps et âme, son collègue et concurrent dans le business immobilier.
Leur fille Jane, adolescente mal dans sa peau, regarde le couple de ses parents avec un dégoût et un mépris désormais non dissimulé. Les réactions d’envie sexuelle de son père envers son amie Angela la choquent profondément. Une famille de nouveaux voisins, composée d’une mère catatonique, d’un père ancien militaire fanatisé et sexuellement contrarié et d’un fils dealer, brutalisé et sous surveillance paranoïaque de la part de son père, va précipiter la crise.
American Beauty est un film qui montre sans fard la folie sous-jacente à cette culture américaine contemporaine. La réussite, la beauté, le sourire, la religion, le patriotisme, même l’hétérosexualité sont autant de normes qu’il faut à tout prix adopter. Rien ne compte plus que les apparences et qu’importe si les protagonistes se débattent dans une vie d’apparence paradisiaque, mais qui est devenue un enfer pour chacun.
En effet, comment vouloir sortir d’un cauchemar quand on s’ingénie avec tant de force à vouloir le masquer au monde et à soi-même ? Comment accepter qu’un individu, a fortiori un proche, pète un câble et décide de tout envoyer balader ? Si un seul rejette le masque souriant qu’il porte pour montrer à tous la folie grimaçante qui se cache derrière, c’est tout l’édifice social qui se trouve menacé.
Le film montre un certain état de l’Amérique de la fin des années Clinton. Une Amérique qui se pose des questions sur elle-même, sur ses valeurs, sur sa capacité à offrir un cadre épanouissant à ses membres, après la révolution conservatrice des années Reagan que les deux présidences démocrates n’ont pas remis en cause. Le visage présenté par Sam Mendes est un visage d’épouvante.
L’élection de G. W. Bush en 2000 n’est sans doute pas étrangère à ce constat dérangeant. Face à ce regard, les Américains n’ont sans doute pas pu avoir d’autre réaction que de nier cette réalité, de tenter désespérément de resserrer les boulons, de coller plus étroitement le masque du bonheur sur cette folie cachée.
Pourtant, nier les symptômes ne guérit jamais le mal. D’autres films ont, eux aussi, tenté de présenter ce miroir à une société américaine qui s’enfonce toujours plus dans une schizophrénie générale. L’accueil fortement contrasté d’un Donnie Darko, film génial pour certains, élucubrations d’un taré sur la jeunesse pour d’autres, en est un signe.
Le malaise américain ne se traduit malheureusement pas seulement dans son cinéma. Les massacres dans les établissements scolaires, la montée des intégrismes religieux sont d’autres signes autrement plus graves et meurtriers.
Presque dix ans après American Beauty, les Etats-Unis n’ont pas réglé leur crise sociale profonde. Les symptômes montrés sans complaisance dans ce film réquisitoire sont toujours là. Regardez bien, un peu au-delà du miroir facile que nous présentent les médias et vous verrez, y compris à l’occasion de la campagne électorale, ce visage de terreur rentrée. L’Amérique est - plus que jamais - en guerre contre elle-même. Personne, pour le moment, n’ose affronter l’insoutenable qu’elle aperçoit de temps en temps dans le miroir que lui présentent certaines fictions ou quelques documentaires. Et c’est une mauvaise nouvelle.
Je termine cet article par une question, peut-être encore plus angoissante. Dans quelle mesure American Beauty peut-il s’appliquer à la société européenne ? J’avoue n’avoir pas moi-même très envie de regarder dans ce miroir. De peur de ce que je pourrais y trouver ?
Manuel Atréide
35 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON