AMLO : la force tranquille du Mexique
Contester la popularité d'un chef d'Etat est très tendance à notre époque. Par exemple, si un dictateur russe ou chinois réussit un rassemblement populaire, celui-ci ne saurait être considéré par nos médias comme étant spontané. Il n'y a pourtant pas toujours controverse. Le président du Mexique du 1er décembre 2018 au 30 septembre 2024, Andrès Manuel Lopez Obrador (AMLO), s'avère être un cas tout-à-fait fascinant et sans appel. Explications.
1- Une popularité venue de loin
Comme à chaque 16 septembre, le président du Mexique sonne les cloches en criant trois fois de suite "Viva Mexico !" en l'honneur du crie de Miguel Hidalgo du 16 septembre 1810 qui initia l'indépendance du Mexique. Avec AMLO, les Mexicains sont présents et il se dénombre plus de 350000 personnes à cette occasion sur la place centrale de Mexico1.
Devenir président du Mexique ne se fait pas sans difficulté. En 1988, un problème informatique connu sous le nom de "crash du système" a permis inopinément l'élection du candidat du centre-droit alors que celui de gauche était en train de gagner2. Le parti gagnant, le PRI, était alors dénoncé comme ayant régulièrement recours à la fraude pour arriver au pouvoir. AMLO commence à se faire connaître dans ce contexte et échoue, là encore dans une élection très contestée en face d'un candidat du PRI, à devenir gouverneur de l'Etat de Tabasco en 1994, mais il en tire des ouvrages qui asseoient sa popularité. En 2000, il remporta l'élection en tant que Maire de la ville de Mexico.
2- Fidèle à lui-même
Que ce soit en tant que président de la République ou en tant que Maire de la ville de Mexico, il a toujours eu le souci de rendre des comptes à la population. Il organise tous les jours une conférence de presse à 6 heures du matin depuis 2001 et il teste le soutien du public à mi-mandat par des consultations publiques et, à chaque fois, il reçoit des scores entre 80 à 90%.
Il a été élu "second meilleur maire du monde" en 2004 à partir du site internet City Mayors3 du fait de son action en faveur des précaires et ses succès en matière sécuritaire et économique.
Notons que dès son élection en tant que président, il fait de Los Pinos, la résidence "bonus" présidentielle, un espace public et un musée et s'installe au Palais National, au centre de la ville de Mexico. Il revend l'avion somptueux de Pena Nieto, l'ex-président, et il baisse sa retribution en amorçant une politique moins dispendieuse au niveau des affaires de l'Etat.
Si la constitution de Mexique ne permet pas présider plus d'une fois depuis la dictature de Porfirio Diaz (1884-1911)4, et, malgré une popularité évaluée entre 60 et 80% de la population, le plus haut taux d'approbation de l'histoire du Mexique5 et le deuxième plus fort taux du monde6 ; AMLO a maintenu les choses en l'état et accepta tout-à-fait son départ en 20247.
Devant faire face à des polémiques fabriquées par les médias en 2006 et 2012 lors de sa candidature à l'élection présidentielle, les fraudes massives avérées en faveur du parti de droite ont rendu difficilement crédible son accession au pouvoir en 2018, pourtant, c'est ce qui est arrivé.
3- Son mandat présidentiel
Gagnant à travers le parti "Morena" (Bronzé) qui fait référence aux indigènes et, fait sans précédent, il se fait remettre dès son investiture "un bâton de commandement" par des représentants de 68 groupes indigènes. Faisant preuve d'une grande érudition sur l'histoire du Mexique, il parlait assez régulièrement, durant ses discours, de Mexicains ayant oeuvrés pour le Mexique ou des tribus indigènes.
La politique gouvernementale d'AMLO s'articule autour de 3 axes : la lutte contre la corruption, la création d'un Etat-providence et la pacification du pays. En économie, il met fin aux politiques de privatisation des entreprises publiques et rend le Mexique plus attractif. Il serait trop long ici d'énumérer tout ce qu'AMLO a réalisé pour le Mexique, mais, du point de vue de ce dernier, il s'agirait de la 4e transformation après la guerre d'indépendance (1810-1821), la Guerre de réforme (1858-1861) et la Révolution Mexicaine (1910-1917).
Beaucoup de points ont fait polémiques car il remettait en question les privilèges personnelles et de classes qui avaient cours lors des précédents mandats. Lors de ses conférences de presse, il dénonçait assez facilement les magouilles dont il pensait la population ou lui-même victime. Il a notamment jugé la présidente du Pérou Dina Boluarte "fausse présidente". Le président Biden reçu une lettre d'AMLO remettant en cause le financement de l'USAID8 (Agence américaine pour le développement international située à Mexico city), outil supposé du soft power américain.
Les rapports avec les autres pays d'Amérique Latine étant assez manichéens, la gauche plutôt sociale et la droite plutôt pro-américaine, il essaya de protéger l'ancien président de l'Equateur Jorge Glas, amorçant un incident diplomatique à partir du droit d'asile9.
Vis-à-vis de l'Espagne, il a demandé des excuses pour la conquête au XVIe siècle. Si cette demande peut paraître disproportionnée du fait de l'antériorité des actes, il faut avoir en tête qu'une certaine classe sociale espagnole reste condescendante vis-à-vis de l'Amérique Latine, un petit peu comme les Français vis-à-vis de la françafrique, sauf que la France n'est pas une royauté10.
Concernant les infrastrutures, il réalise plusieurs ouvrages touristiques majeurs : le train maya dans le sud du pays ; un nouvel aéroport Felipe Angeles ; le corridor interoceanique qui connecte les océans Pacifiques et Atlantique. Tout ses projets ont été principalement réalisés avec une participation modeste du privé, évitant ainsi les dettes sur le long terme et ils font systèmatiquement la promotion de la culture du pays.
Conclusion
Voici retracé en quelques lignes le président le plus important du Mexique depuis ces dernières décennies. Pour ma part, sans me considérer socialiste, j'éprouve du respect pour ce président qui a su braver l'establishment à partir d'idées cohérentes et dans un pays marqué par un taux d'insécurité, d'inégalité, d'injustice considérable. Dans le cas où vous n'en auriez entendu parler que très succintement et pas vraiment en bien, peut-être serait-il intéressant de s'interroger pourquoi il en est ainsi. Si un pays retrouve son gouvernail, ne serait-il pas utile de nous le montrer en tant que modèle à suivre ?
-----------------------------------------
2¿Qué fue la caída del sistema en 1998 ?
3https://www.jornada.com.mx/2004/12/08/013n1pol.php
4https://www.cultura.gob.mx/centenario-constitucion/?numero=385
5https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-47630319
8Mexico's AMLO looks to spearhead indignation at US 'interventionism'
10AMLO pide nuevamente que España se disculpe por abusos de la conquista
-
Pour aller plus loin :
AMLO, un animal politique qui bouscule le Mexique | Les Echos
Mexique : les défis de López Obrador | Les Echos
Le Mexique, seul pays à inciter la population à sortir de chez elle – Libération
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON