Amoureux de l’ordre
Les amoureux de l'ordre, il faudrait mettre des guillemets, détestent les grévistes et les manifestants. Ils ne supportent pas plus les piquets de cégétistes que les assemblées générales sur les places publiques. Ils tiennent à leurs habitudes : se crever le cul en semaine, faire le plein quand ils veulent, leurs courses le dimanche, voir de la violence à la télévision dans les pays arabes et les séries américaines, et qu'on ne les embrouille pas de vaines utopies. Tout dysfonctionnement du système les horripile.
Ils la trouvent bien huilée et efficace cette fourmilière, où le plus grand nombre passe ses journées à courir derrière l'argent. Satisfaits ou aveugles, ils en oublient la reine à sa tête, qui se repaisse. Ils conspuent les marginaux qui s'égarent, ne s'activent pas assez ou seulement pour faire chier : ériger des barricades, bloquer des trains, bref mettre des bâtons dans les flux tendus.
Les amoureux de l'ordre sont économiquement libéraux ou pas mais ils aiment tous le fordisme, la division du travail, la hiérarchie et l'inversion de la hiérarchie des normes, le juste-à-temps et le toyotisme. Pour eux, tous ces dogmes sont synonymes de réalisme, pragmatisme, organisation.
Mais la fourmilière est-elle si bien organisée ? Ne sommes-nous pas déjà dans un fatras inhumain ? Tout ne va t-il pas mal, et ceux qui nuisent momentanément n'ont-ils pas raison de chercher l'amélioration ou la fin de ce système en le perturbant ?
Dans Le sens du bonheur, Krishnamurti (1895-1986) analyse ces questions d'ordre et de révolte.
Question : Si tous les individus étaient en révolte, ne croyez-vous pas que le monde serait plongé dans le chaos ?
-Mais la société actuelle baigne-t-elle dans un ordre à ce point parfait que si tout le monde se révoltait contre elle, ce serait le chaos ? Le chaos n'est-il pas déjà là en ce moment même ? Tout est-il magnifique, exempt de corruption ? Tout le monde mène-t-il une existence heureuse, pleine et riche ?
L'homme ne se bat-il pas contre son semblable ? N'est-ce pas le règne de l'ambition, de la compétition sauvage ?
Le monde vit déjà dans le chaos : telle est la première constatation à faire. Ne prenez pas pour acquis le fait que cette société soit en ordre, ne vous laissez pas hypnotiser par les mots. Que ce soit ici, en Europe ou en Amérique ou en Russie, le monde est en voie de décadence. Si vous voyez cette décadence, vous êtes face à un défi, vous êtes mis au défi de trouver une solution à ce problème urgent. Et la façon dont vous relevez ce défi a de l'importance, n'est-ce pas ? Vous ne pouvez répondre de manière complète et adéquate que si vous êtes sans peur, si vous ne pensez pas en tant qu'hindou, communiste ou capitaliste, c'est en tant qu'être humain intégral que vous vous efforcez de résoudre le problème. "
Je ne sais pas si nous sommes sur une phase décadente. Il est difficile de jauger l'évolution du monde, d'établir sa décadence ou son progrès. Mais il est impossible de douter de l'ordre injuste sur lequel tout repose.
Les barricades sont-elles des signes de désordre ou de contestation de l'ordre injuste ?
Est-il possible d'installer un ordre plus juste en claquant des doigts ? Doit-on attendre la prochaine élection pour espérer ? N'aurions-nous pas raison de refuser l'ordre défendu par les M. Valls, J-M. Apathie ou C. Barbier ?
Rares sont ceux qui aiment les journées de lutte non payées et les coups de matraques, les balles de flash-ball dans les jambes et les brimades médiatiques. Malheureusement, les coupures de courant et la pénurie de carburant touchent la classe moyenne. Mais ces moyens ne constituent-ils pas une réaction aux arrestations arbitraires, aux torrents de haine anti-manifestant derrière les micros, aux 49.3 à répétition, aux assignations à résidence ?
Faut-il être chef de gouvernement pour être agréé à dire « ça suffit » ? L'insurrection n'est-il pas un droit reconnu aux français ? Notre fête nationale ne célèbre-t-elle pas des mécontents, des casseurs, et même des meurtriers ?
Je n'appelle pas au meurtre. Ni à la violence. Je note juste qu'il est ridicule qu'un pouvoir défendu par 250 000 flics célèbre des émeutiers qui brandissaient des piques sur des têtes.
1 % des espèces de fourmis fonctionnent sans reine. En Suisse, il n'y a point de droit de grève, mais le système est quasi-démocratique. Si vous nous fichez la démocratie, promis, je rends mon droit de grève.
En attendant, il est légitime de contester cet ordre là, injuste, par tous les moyens qu'offre la non-violence.
36 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON