Anachronisme et mémoire sélective : les nouveaux maux du siècle ?
L’histoire est une discipline bien compliquée à enseigner, à tel point qu’un pays comme la France laisse désormais germer dans les esprits des contre-vérités nourris par des anachronismes et une lecture idéologique. C’est ainsi que le Cran (Conseil représentatif des associations noires de France) soutient qu’il est impératif de débaptiser toutes les institutions scolaires nommées Colbert. Le ministre de Louis XIV serait un affreux négrier qui couvrirait de honte notre pays et sa mémoire. Une mémoire bien sélective et communautarisée qui n’est pas sans susciter des problèmes.
Enseigner l’histoire, c’est prendre parti et faire un choix parmi les nombreux faits et péripéties rencontrés par les peuples au cours de leur cheminement parfois plurimillénaire. Des villes communistes veilleront à ériger des places au nom du colonel Fabien et de Karl Marx. D’autres villes à l’histoire marquée par la traite négrière auront tendance à avoir une rue dédiée à des marchands comme Jules Masurier et Guillaume Grou. Les mémoires diffèrent, mais se rassemblent autour de grands personnages qui ont marqué l’histoire de France de leur empreinte.
Jean-Baptiste Colbert, contrôleur général des Finances de Louis XIV, fait partie de ces grands noms qui ont su traverser les régimes et l’histoire pour se retrouver sur le fronton de collèges et de lycées lorsque ce n’est pas sur le panneau de certaines rues. Pourtant, l’œuvre de ce grand serviteur de l’État est aujourd’hui instrumentalisée par le Cran sous prétexte qu’il serait l’instigateur du Code noir et donc père d’un crime contre l’humanité. Cette lecture de l’histoire pour le moins surprenante est issue d’une petite minorité d’activistes communautaires et la polémique sur Colbert est née au cœur de l’été, lorsque l’actualité se fait moins riche et que l’instrumentalisation de l’histoire et des mémoires a plus de chance de faire la Une des journaux.
Alors qu’il n’a jamais été question d’enterrer la réalité du Code noir, le Cran voudrait faire croire que l’œuvre de Colbert se résume à un texte horrible et dont le jugement est fait par des hommes qui vivent plus de trois siècles après sa rédaction. L’homme d’aujourd’hui juge celui d’hier et à ce jeu-là peu nombreux seraient ceux qui auraient encore le droit d’avoir une rue à leur nom. Ainsi, Victor Hugo, Voltaire ou encore Léon Blum ont tous eu des propos que l’on peut juger inqualifiables sur les Africains et/ou les Juifs. Des propos qui font désormais polémique, mais qui ne sont que leur reflet de leurs époques et qui ne représentent pas l’ensemble de leur immense œuvre littéraire ou politique. Si Colbert doit être déboulonné alors des centaines d’autres noms sont condamnés à la déchéance et à l’opprobre.
« Femmes de réconfort » ou la mémoire sélective à l’échelle d’une nation
Pourtant, personne ne remet (encore) en cause la place d’un Victor Hugo. Certains monuments sont-ils plus facilement attaquables que d’autres ? Mais le CRAN n’a pas le monopole de la mémoire sélective. Prenons la Corée du Sud par exemple : lors de la guerre du Viêt-nam, le pays est engagé auprès des États-Unis en Asie du Sud-Est. Un conflit cruel qui coûté la vie à près d’un million de civils et durant lequel plusieurs milliers de femmes vietnamiennes ont été réduits en esclavage sexuel ou violé par les troupes de Séoul. Encore aujourd’hui, les descendants nés de ces crimes appelés « Lai Dai Han » restent rejetés et marginalisés par la société.
Un lourd passé qui n’empêche pas les associations coréennes et les autorités du pays de se plaindre depuis plusieurs années auprès des instances internationales pour le comportement du Japon et de ses troupes entre 1910 et 1945. En 2015, Tokyo avait fait amende honorable et un accord entre les deux pays avait été conclu : une compensation financière d’un milliard de yens (7,5 millions de dollars) et des « excuses du plus profond du cœur » avaient été adressées aux Coréens par le Premier ministre japonais.
Mais la repentance est une boucle sans fin et ce crime continue de polluer les relations entre le Japon et la Corée du Sud, largement alimenté par des associations sud-coréennes qui veulent toujours plus d’excuses et de compensations pécuniaires. Un paradoxe, quand l’on sait que l’armée sud-coréenne a eu les mêmes pratiques au Viêt-nam que les troupes nippones sur son sol. En cherchant à effacer ou à mettre en exergue des pans entiers du passé, les apprentis historiens jouent avec le feu en manipulant les souvenirs douloureux et les passions
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