Analyse glaciale d’un monde incandescent
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C’est sur les ruines de la raison et de l’esprit critique que marchent les fous de dieu en Iraq et en Syrie, c’est sur celles des lumières que l’on bombarde les habitants de Gaza, c’est sur les vestiges de l’arrogance coloniale, prise par le sable ou la foret vierge, que l’on perpétue massacres en Libye et famines aux Soudans, c’est sous celles des certitudes de toute puissance que sombre l’Ukraine, c’est sur la déperdition d’un modernisme formel et imposé, remplacé par le réel, que les tchador substituent les jeunes filles en fleurs d’Istanbul. C’est surtout la victoire des nouveaux dogmes, de nouvelles croyances eschatologiques qui ne disent pas leur nom, celles du marché, qui, remplaçant la pensée scientifique, les acquis éthiques et celles de l’Etat de droit, ouvrent grande la porte d’une déraison nostalgique qui nie le regard critique de ce qu’advient l’œcoumène.
C’est quoi l’Occident si ce n’est cette longue marche vers la sécularisation qui déboucha sur l’esprit critique ? C’est quoi la modernité si ce n’est qu’une seule chose est sûre c’est que rien ne l’est ? C’est quoi la mathématique, la physique, la chimie, si ce n’est que les lois et les règles sont une construction de la nature, que l’on ne découvre, petit à petit, que ce qui existe déjà et dont on a besoin ? Depuis quand les algorithmes ne servent qu’à mettre sur le marché des produits dérivés pour truander les gens ou à emprisonner les yeux et l’esprit à l’intérieur d’écrans de plus en plus petits et de plus en plus plats ? Où sont passés les volumes, les vallées perdues, les plaines et les montagnes ? N’existent-elles plus qu’en trois D ?
Elles existent, bien entendu : le califat de l’Iraq et du Levant, les talibans, le virus d’Ebola, la foudre ou les tempêtes de sable les connaissent bien, et nous le font savoir.
C’est quoi la démocratie ? Est-elle, comme Athéna ou Zeus polymorphe ? Elle signifie tout - ou presque tout - en France ou en Allemagne, et rien - ou presque rien - en Turquie et partout ailleurs où Américains Français ou Allemands n’apprécient pas ses résultats ? Est-elle, comme le Saint Esprit, immuable et partout présente - ou absente -, selon un formalisme laborieux et tatillon qui remplace sans vergogne le réel que ce soit au Luxembourg, en Grèce, en Egypte ou en Iran ?
C’est quoi le libre arbitre, lui aussi enfant de l’esprit critique ? Libre arbitre pour acheter ? Pour consommer, pour changer de bagnole ? Pour partir en vacances ? Pour regarder une télé où l’os a remplacé la substantifique moelle ?
De quel droit on s’étonne de la déliquescence politique de l’Iraq ou de la Libye ? De quel droit on s’offusque de la victoire de Recep Erdogan en Turquie et des farces électorales à répétition à Kaboul ? Qui nous a intronisé juges de paix en Ukraine, observateurs bienveillants d’Israël, policiers tatillons en Palestine, accusateurs incapables au Soudan ? Ce monde incandescent n’est-il pas notre progéniture, cette entropie généralisée n’est pas notre propre sperme ?
Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu avant de renvoyer leur image disait Cocteau. Mais c’était en un temps où réfléchir signifiait encore quelque chose…
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