Anatomie du racisme à l’usage des racistes qui s’ignorent et de ceux qui feignent de l’être
Que n’entend-on pas comme âneries en périodes de campagne électorale. La campagne des présidentielles françaises, en ce début d’année 2022, ne fait pas exception en la matière. Elle nous comble même en matière d’idioties. Ainsi plusieurs candidats, et parfois, leurs affidés, de la droite à l’extrême droite rabâchent les oreilles d’honnêtes citoyens du fait que le fléau majeur qui menacerait la France, son existence même selon ces oiseaux de mauvais augure, ce serait l’immigration, et surtout le grand remplacement, selon les mêmes, sa forme suprême. D’aucuns prophétisent une France islamique à l’orée du siècle en cours, ou pire encore une France africaine (arabe et noire, feignent-ils de ne pas dire, mais on les voit venir) d’ici 2060. Précisons qu’il y a en France, sur 67 millions d’âmes, 7 à 8 millions d’étrangers ou de Français d’origine étrangère. Ce qui fait un peu plus de 10% de la population française. Ce qui est tout à fait en deçà de la submersion migratoire claironnées par les partis de la haine en guise de malsain fonds de commerce. Bref, indépendamment du fait que l’irresponsabilité de ces déclarations le disputent à l’ignorance crasse et à la stupidité abyssale (face à l’histoire et à l’anthropologie, et pas que… malheureusement) de leurs auteurs, ces déclarations mettent au grand jour l’encrage d’une certaine élite française (occidentale en globalisant) dans les idéologies haineuses rances et nauséabondes, bien que ces dernières pensent cacher cet état de fait à travers des élucubrations langagières. Peut-être même ignorent-elles qu’elles sont mues au tréfonds, inconsciemment, par ces idéaux détestables. En tout cas, il ne faut pas passer sous silence cette réalité idéologique des plus néfastes pour le vivre ensemble, ici et ailleurs. C’est pourquoi, j’expose dans l’écrit qui suit, la réflexion que ces passions tristes contemporaines m’inspirent en ce début du siècle, aux lecteurs d’Agoravox.
Dans son dernier livre, Interventions, recueil d’articles, publié chez Flammarion, Houellebecq, dont il faut souligner pour commencer son adhésion à la fumeuse théorie « du grand remplacement », encense et distribue des satisfécits à plusieurs personnages controversés de notre époque, dans le monde mais aussi en France. Trump serait « le meilleur président que l’Amérique n’a jamais eu », Zemmour y est loué comme « une brillante intelligence » et pour ce faire serait le martyr « lynché » de la liberté d’expression ; Victor Orban et Jair Bolsonaro semblent aussi avoir les sympathies de l’écrivain. Si le ridicule [et la bêtise] ne tuait pas on s’étoufferait de rire ! Et ici le ridicule le dispute à la bêtise et fort malheureusement l’un et l’autre ont parfois causé des hécatombes dans l’Histoire.
Ces « Interventions » ont au moins l’avantage d’éclaircir le paysage du suprémacisme[1] français. Par ailleurs, cela montre, si besoin était, qu’on peut être une sommité dans son domaine, être l’un des écrivains le plus doué de sa génération, et s’adonner aux bas instincts, devenant pour ainsi dire juste un imbécile parmi d’autres dans le troupeau. L’érudition ne préserve pas de la bêtise ni du racisme, on peut même dire qu’elle accentue leur dangerosité. Faire le mal en connaissance de cause est sûrement plus détestable que de le faire par ignorance. Dans tous les cas, je soutiens personnellement qu’est véritablement raciste celui qui en est conscient ou qui prétend en être conscient. Sauf que si l’on suit le raisonnement platonicien, faire du mal en connaissance de cause est une absolue aberration et une stupidité. Le raciste (s’) ignorant[2], lui, est sujet aux préjugés.
Le racisme, dans tous les cas, est une insondable stupidité humaine, qui a pour but d’avilir sa victime mais se trouve avilir autant son auteur. Et la stupidité[3], selon Carlo M. Cipolla, est, comme le bon sens cartésien, la chose du monde la mieux partagée, en ce qu’elle est distribuée à égale proportion chez les êtres humains, sans distinction de rang, de religion, d’origine ou d’extraction sociale, chez les ignorants comme chez les savants. « La probabilité qu’une personne soit stupide, dit l’auteur, est indépendante des autres caractéristiques de cette personne »[4].
Ce qu’il faut retenir, outre le fait que les êtres stupides soient légion, et dans toutes les catégories socio-économiques, ethniques, religieuses, c’est que si on n’y prend garde, la stupidité est la grande menace pour l’humanité. Selon la concentration du cheptel stupide dans une population, dans un pays, dans une période de temps, des pays entiers courent le risque d’être sous la coupe de ces abrutis qui finiront par y instaurer une « idéocratie ». De manière objective, on peut dire que le monde est aujourd’hui sous cette grave menace. Il n’y a qu’à regarder du côté des Etats-Unis des années Trump et de ses thuriféraires, du Brésil de l’inénarrable Bolsonaro, de la Hongrie, de la Corée du Nord, de la Russie de Poutine (dont on ne sait pas si c’est de la stupidité seulement ou de la stupidité doublée de folie), pour se rendre compte de la progression de leur pouvoir. En France aussi le risque est grand et tous les médias, audio-visuels comme la presse écrite, les réseaux sociaux et même notre beau média, Agoravox, n’en sont pas exempts. Ici aussi, on se rend compte qu’à chaque fois que l’on essaie de montrer la lune du doigt, une proportion considérable de gens, soit, regarde le doigt, soit, se cache derrière le petit doigt pour éviter de la voir, cette lune pourtant grosse comme une maison.
Ces dernières décennies, que n’a-t-on pas entendu de stupidités dans les médias[5], sur les réseaux sociaux, dans les forums des lecteurs des journaux en ligne, sur Agoravox, notamment, à propos du racisme et plus particulièrement du « racisme antiblancs », « du grand remplacement ». D’Eric Zemmour, qui se met à rêver de la couronne de France, en passant par l’illuminé Ivan Rioufol, l’avocat cynique Gilles-William Goldnadel, du triste essayiste Pascal Bruckner, du suprématiste tardif Michel Houellebecq, de l’académicien misogyne A. Finkielkraut, et bien sûr la fachosphère dans toutes ses composantes, ne cessent, face aux ressentiments et frustrations des populations des ghettos français, de brandir ce qu’ils appellent le racisme antiblancs, qu’ils avaient d’ailleurs au départ baptisé le racisme antifrançais, car à leurs yeux à tous, si on a une couleur de peau sombre, basanée, si on est Noir, Arabe, Asiatique, etc., on ne peut être légitimement Français[6]. Le concept de racisme antifrançais, s’étant révélé sujet à caution, ou plutôt révélant trop facilement la nature idéologique (raciste) de celui qui l’utilise, a vite été abandonné au profit du racisme antiblancs. Même si, au fond, le terme racisme antiblancs énonce aussi entre les lignes que les citoyens français d’autres couleurs de peau ne sont pas des citoyens français à part entière mais des citoyens entièrement à part, qui doivent être reconnaissant qu’on les tolère dans le paysage national. A leurs yeux, seuls les Blancs sont effectivement Français. Les autres membres de la communauté nationale, Arabes, Noirs, Juifs dans une certaine mesure, ne sont que des composantes de ce complot caché, jadis appelé « judéo-maçonnique mondialiste », visant à remplacer la France blanche et chrétienne (catholique ?) par un peuple anti-France, bigarré, basané, métissé, multiculturel et multiconfessionnel. Bref antiblanc égal anti-France.
Or, prôner le racisme antiblancs c’est ignorer ce qu’est le racisme fondamentalement et historiquement ; c’est céder à la facilité et se vautrer dans une paresse intellectuelle. Chose dont on s’habitue actuellement en France, dans l’ensemble des médias et les réseaux sociaux, mais aussi et surtout sur Agoravox depuis des années et particulièrement ces temps-ci. En effet, le racisme n’est pas la mauvaise humeur ponctuelle contre quelqu’un ou un groupe, la haine ou la détestation purement et simplement de l’autre, d’un groupe donné, même différent de soi et de son supposé groupe originel. Cela est déjà en soi condamnable, certes, mais c’est tout sauf du racisme à proprement parler. « Le racisme est une structure, pas un événement »[7].
Oui, le racisme est d’abord et avant tout une idéologie précise, séparatiste, qui commence par diviser l’humanité en une série de « races[8] » basées sur le phénotype, qui, ensuite, sur cette base, érige une « race supérieure », élue en quelque sorte, pour dominer les autres « races », conçues, elles, à l’inverse de la première, comme inférieures. Pour légitimer la domination de cette prétendue race supérieure sur les autres, les racistes produisent des théories pseudo scientifiques censées prouver cette dichotomisation raciale et la domination quasi naturelle et salutaire de la première sur les secondes. C’est ainsi que le père de l’école de la République, pouvait dire ceci, à l’Assemblée Nationale, en 1885[9], pour justifier à la fois cupidement et cyniquement l’œuvre coloniale française : « Ce qui manque de plus en plus à notre grande industrie, ce sont les débouchés. Il n’y a rien de plus sérieux. Or ce programme est intimement lié à la politique coloniale. Il faut chercher des débouchés.
Il y a un second point que je dois aborder : c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question. Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je dis qu’il y a pour elles un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le droit de civiliser les races inférieures. Enfin, si la France veut rester un grand pays, qu’elle porte partout où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes et son génie. Rayonner sans agir, c’est abdiquer, et, dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c’est descendre du premier rang au troisième ou au quatrième »[10].
C’est ainsi que sous des dehors de la scientificité, de rationalité et d’universalisme, des élites politiques, scientifiques, religieuses et une partie non négligeable de l’intelligentsia européenne, prenant leur place dans la stratégie générale de l'idéologie coloniale, allaient distiller ce poison et cette véritable maladie de l’âme, qu’est le racisme, au sein des sociétés européennes pendant des siècles et des siècles. Les champions du racisme à prétention « scientifique » ou rationnelle, en France, sont, entre autres, pour ne citer que les plus maléfiques, Georges-Louis Leclerc de Buffon, le Comte Arthur de Gobineau, Georges Vacher de Lapouge, Alexis Carrel, Lucien Lévy-Bruhl…
La « science » occidentale, du XVe[11] siècle au milieu du XXe siècle, a été abondamment instrumentalisée pour fonder « scientifiquement » les idées racistes utiles pour l’œuvre coloniale. La craniologie[12] a été dès le début du XVIIIe siècle la première science auxiliaire de l’européocentrisme triomphant. Partant du fait que le Blanc avait l’angle facial le plus élaboré, les adeptes de cette pseudoscience mesuraient l’humanité des autres populations du monde au diapason de ce modèle « canonique ». On a ainsi défini les Noirs comme étant des sous hommes parce qu’ils auraient un angle facial éloigné du canon européen. L’évolutionnisme, les nouvelles sciences nées des découvertes des peuples non européens comme l’ethnologie, l’anthropologie, vont être tour à tour convoquées pour accréditer les thèses ségrégationnistes et racialistes. En vain, si l’on tient compte du long terme bien sûr. La science étant la résultante des erreurs surmontées, les idées irrationnelles ne pouvaient y avoir éternellement droit de cité. Mais ces erreurs corrigées de la science n’ont pas empêché que le substrat idéologique de ce poison subsiste dans les mentalités du commun des mortels européens jusque dans le subconscient des élites intellectuelles, politiques et morales contemporaines.
L’esclavage, la colonisation, les travaux forcés, la spoliation des richesses et des œuvres d’arts d’Afrique, d’Amérique, d’Asie … des populations de tous les autres continents, par les Européens, du XVe au XXe siècles, se sont assis sur ces théories oiseuses mais efficaces pour justifier l’objectivation, l’animalisation, la déshumanisation du reste de l’humanité. C’est pourquoi, il n’est pas inutile de le redire, ici avec force : il n’y a pas d’attitude raciste qui ne s’accompagne pas d’un complexe de supériorité raciale. C’est pourquoi, il est une certitude, aussi évident que la terre est ronde, tourne autour d’elle-même et autour du soleil, que le racisme est d’abord une création européenne et avant tout une idéologie de domination ayant visé les autres êtres humains, non européens, en vue de les assujettir à des fins d’exploitations capitalistes et d’accaparement des richesses. Et on peut affirmer sans se tromper que le credo commun à tous les ethnocentrismes européens a été de rabaisser les autres peuples, leurs civilisations, leurs valeurs en vue d’élever l’Europe au rang de phare du monde mais aussi et surtout de justifier la domination européenne sur ces peuples. Le partage du monde en civilisés, en évolués et en non-civilisés, en supérieurs et inférieurs a été et est encore et toujours le point d’orgue de ce stratagème machiavélique.
Voici pourquoi aussi, - n’en déplaise aux thuriféraires actuels de la théorie fumeuse du grand remplacement-, jusqu’à cet instant où vous me lisez, le racisme antiblancs est un OINI, à savoir un Objet Idéologique Non Identifiable. Affirmer le contraire serait faire preuve de mauvaise foi et de cécité intellectuelle. Peut-être sera-t-il plus tard une réalité, mais aujourd’hui il est un non sujet. Même si je concède que le phénomène est peut-être en train de se faire jour. Non pas parce qu’en face, des Noirs, des Arabes, des Asiatiques, des Peaux-Rouges ou des Verts seraient en train de chercher à déshumaniser les Blancs, de les inférioriser, de chercher à les dominer à rebours, mais parce que, pour la première fois de son histoire, l’homme européen, l’homme blanc est en train de développer un complexe d’infériorité, il est vrai, incompréhensible, face à leurs concitoyens d’origine coloniale et/ou immigrée. C’est en tout cas ce qu’on remarque en France dans le contexte de l’émergence du concept de racisme antiblancs. Cela donne l’impression que certains Blancs sont en train de développer, aujourd’hui, une fragilité jusque-là insoupçonnée, puisque cela n’était que l’apanage des « races » dites « faibles », face aux autres composantes de la société française. Une fragilisation psychologique inquiétante d’autant plus que soixante millions de Français « autochtones » semblent avoir une peur bleue de disparaître face à environ six millions de Français ou populations d’origines étrangères et immigrées, comme si ceux-ci cédaient un peu facilement aux pseudos théories du grand remplacement[13] brandies par les déclinologues et autres racialistes fieffés. Même s’il faut souligner que pour qu’il puisse y avoir racisme antiblancs, il faudrait, en plus, que les six millions venus ou d’origine d’ailleurs développent à leur tour un complexe de supériorité à l’égard des « autochtones », des « Blancs », disons. Or, vu les conditions misérables de vie de ces populations, en grande majorité assignées à leurs quartiers, à la banlieue, assignées à leur identité chromatique et oubliées de la République, ce n’est pas demain la veille l’émergence d’un complexe de supériorité inversé, d’un racisme inversé chez ces populations parmi les plus paupérisées et délaissées par le système libéral. Leurs réactions face au système et aux gouvernants, qu’ils voient plus comme un pouvoir blanc, il est vrai, tiennent plus du désespoir, de l’amertume et du ressentiment qu’une volonté de dominer. Le voudraient-elles que cela relèverait de la chimère. Bien sûr, cela peut bien culminer jusqu’à la haine des autres, de ceux qui ont un sort plus enviable, des Blancs, supposés, à tort ou à raison, tous riches et exerçant un pouvoir injuste et néfaste à leur encontre et qu’on supposerait collectivement responsables de leurs propres malheurs. Mais comme l’écrit Hans Magnus Enzensberger[14], il faut craindre que ce type de ressentiment des perdants de la société et du capitalisme ne virent au pathologique. Ce n’est qu’à ce stade seulement que cette haine peut devenir dangereuse et à la fois pour la société et pour l’auteur du ressentiment. Enzensberger décrit ce haineux pathologique sous la figure du « perdant radical », comme il décrit ceux qui commettent les attentats un peu partout en Europe et dans le monde, avec l’islam comme alibi, ou bien les tueurs de masses aux USA et ailleurs. D’où l’on se rend compte que la haine du perdant radicalisé, en même temps qu’elle vise le coupable tout trouvé qu’est le Blanc, vise aussi et surtout lui-même. Sa haine de l’autre, du Blanc, est aussi une détestation de lui-même. C’est pourquoi par l’attentat suicide, le perdant radicalisé islamiste, par exemple, signifie sa préférence pour « une fin terrifiante » plutôt qu’une « terreur sans fin » que symboliserait sa propre vie dans une société qui ne l’accepte pas et, surtout, l’exclut et le montre du doigt.
C’est pourquoi, comme dirait notre ministre des Armées, Mme Florence Parly, tous ces doctes ignorants et autres racistes en devenir devraient « tourner la langue sept fois dans la bouche [ou sur le clavier] avant de jeter la première pierre ».
Toutefois, ce nouveau complexe chez les autochtones, chez « les Blancs », me semble une opportunité. Pour la première fois, les Français blancs peuvent expérimenter et toucher du doigt ce que des millions de gens vivent comme malaise depuis cinq cents ans du fait de la domination raciale occidentale. Mais il faut cesser de pleurnicher sur son sort, d’invoquer comme beaucoup le font actuellement à l’envi des valeurs de mort, comme le ressentiment et la détestation des autres, et continuer la Vie malgré tout. Car ce qui arrive à la civilisation occidentale est déjà arrivée mille et une fois à d’autres civilisations. En effet, Paul Valery nous a prévenu sur la fragilité et le tragique propres aux civilisations humaines : « Nous autres civilisations, avait-il dit, à juste titre, nous savons maintenant que nous sommes mortelles »[15]. Et contrairement à ce que certains esprits simples pensent, les civilisations ne meurent pas forcément parce que des facteurs extérieurs les précipitent dans l’abime. Ce n’est pas forcé du moins. Elles contiennent aussi souvent les germes de leurs propres destructions et nécroses. Tout comme les organismes vivants. Elles peuvent aussi mourir de vieillesse. Faut-il pour autant se morfondre dans son coin en accusant les autres ? Non bien sûr ! Il faut se fier aux forces de vie, d’une manière ou d’une autre. D’autres civilisations qui se croyaient invincibles et immortelles se sont écroulées un jour. Ainsi en est-il des antiques civilisations égyptiennes, nubiennes, méroïtiques, grecques, romaines, perses, les civilisations vikings, les civilisations amérindiennes, l’Espagne et le Portugal, en tant que maitres et possesseurs du monde connu au XVe siècle…
Avant de pleurer sur son sort, chaque civilisation devrait mesurer la distance spatio-temporelle qui la sépare de ce qu’elle était avant son apogée. Et l’Européenne plus que tout autre n’a pas à rougir de sa trajectoire. Même si cette superbe trajectoire lui a fait croire qu’elle était LA CIVILISATION. Comme si elle n’était pas née un jour, n’avait pas eu son enfance, son adolescence et un âge adulte et n’irait pas un jour aussi sur sa vieillesse et fatalement aussi vers sa mort. Ainsi va la vie !
Les esprits étriqués et rabougris par la bêtise et l’idéologie néfaste, qui pensent que la civilisation européenne serait née toute puissante et demeurera ainsi éternellement, n’ont qu’à se souvenir de la stupéfaction de Jean-François Champollion, le père de l’égyptologie moderne, lors de la découverte qu’il fit, dans les tombes des Pharaons, du tableau des races humaines telles qu’elles étaient connues par les Egyptiens. Il disait avoir honte de découvrir que la « race » blanche était la plus sauvage des quatre « races » connues des Egyptiens anciens. Dans la succession des races par rapport au Dieu Horus, il n’y a aucun doute, et Champollion le reconnaît, sur la hiérarchie sociale et de dignité des races du point de vue des Egyptiens. Deux rangs séparent le Négro-africain de l’Européen. Dans le compte rendu iconique qu’en fait le tableau, ce dernier est encore sauvage, et le Négro-africain civilisé jusqu’aux os. C’est ce dont on se rend compte à travers le commentaire du tableau fait par l’immense égyptologue français : « On y retrouve aussi les Egyptiens et les Africains représentés de la même manière, ce qui ne pouvait être autrement : mais les Namou (les Asiatiques) et les Tamhou (les races européennes) offrent d’importantes et curieuses variantes (...). On représentait donc l’Asie par l’un des peuples qui l’habitaient, indifféremment. Il en est de même de nos bons vieux ancêtres, les Tamhou (n°4 de la planche) : leur costume est quelque fois différent ; leurs têtes sont plus ou moins chevelues et chargées d’ornements diversifiés ; leur vêtement sauvage varie un peu dans sa forme ; mais leur teint blanc, leurs yeux et leur barbe conservent tous le caractère d’une race à part. J’ai fait copier et colorier cette curieuse série ethnographique. Je ne m’attendais certainement pas, en arrivant à Biban-el-Molouk, à trouver des sculptures qui pourraient servir de vignettes à l’histoire des habitants primitifs de l’Europe, si on n’a jamais le courage de l’entreprendre. Leur vue a toutefois quelque chose de flatteur et de consolant, puisqu’elle nous fait bien apprécier le chemin que nous avons parcouru depuis ”[16].
En cette période de pandémie mondiale, au lendemain de cette guerre aussi stupide que dangereuse initiée par l’autocrate Poutine aux portes de l’Europe, il sera de bon augure de cesser de cultiver les passions tristes, les valeurs de mort, comme on le fait souvent sur Agoravox, mais aussi dans d’autres médias et réseaux sociaux, comme beaucoup de candidats à droite le font dans la présente campagne présidentielle, et de célébrer des valeurs positives, ici en l’occurrence nos inestimables valeurs de la République. Ces valeurs chèrement acquises sous la Révolutions française, que nous avons célébrées révérencieusement, il y a quelques mois et en souvenir du professeur Samuel Paty et les martyrs de la basilique de Nice, et célébrons tout au long de l’histoire de la République : La liberté républicaine, celle d’aller et de venir, celle d’avoir des opinions et de les exprimer[17], la liberté de conscience, qui autorise à croire ou à ne pas croire, liberté qui n’a de limite que ce qui est expressément prohibé par la loi. Il va de soi, ici, qu’aucun débat ne peut être tabou ou interdit, à condition que chacun fasse prévaloir la force de l’argument sur l’argument de la force.
L’égalité républicaine, qui, quant à elle, est exprimée très clairement par La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Cela s’entend aussi par l’égal traitement de tous devant la loi, c’est-à-dire, le droit de chacun de bénéficier des mêmes avantages et protections et d’être soumis aux mêmes devoirs que n’importe quel autre citoyen, sans distinction d’origine, de sexe ou de choix de sa sexualité. Il n’est permis aucune discrimination entre les enfants de la patrie, suivant l’origine, la couleur de la peau, l’appartenance religieuse ou idéologique, le genre, pas plus qu’on ne peut distinguer des Français de souches et de branches. Le fait de renvoyer, pour un oui ou pour un non des Français à leurs origines est une hérésie tant républicaine que démocratique.
La fraternité, entre les citoyens de la République, exige de vivre notre citoyenneté pleinement et positivement avec tous nos concitoyens, tels des enfants de la même patrie. C’est elle qui justifie que la nation, de même que chacun, soit solidaire avec chaque membre de la communauté nationale qui serait dans des difficultés momentanées ou durables de santé, de sécurité, de chômage… C’est parce que nous sommes frères en la République que la solidarité a été de mise pendant la pandémie actuelle de la COVI-19, entre citoyens d’abord, entre soignants et malades, entre premiers de cordées et premiers de corvées…
Et enfin le sacro-saint principe de laïcité[18] : être laïc, ce serait « penser librement et vouloir que tous les hommes pensent librement ; c’est réclamer pour tout être humain le droit d’exprimer ce qu’il pense »[19], philosophiquement, idéologiquement ou sur le plan de son appartenance religieuse, quand bien même ce qu’il dirait ne nous conviendrait pas. Ce droit reconnu à chacun de penser et de le dire librement autorise en contrepartie que les autres combattent notre point de vue, notre opinion, mais dans le respect strict des personnes. Ce qui exclut naturellement les attaques ad hominem, les invectives, les insultes et autres propos irrespectueux…
Et pour finir, il faudrait qu’on se le dise une fois pour toute, je le dis en tout cas à tous et à chacun, tel que je le pense, que vous soyez racialistes, racistes, suprémaciste, antisémites ou sexistes, à tous ceux qui cachent leur dessein nauséabond, derrière le fumeux droit au politiquement incorrect et de tout dire : ce n’est pas l’antiracisme qui crée le racisme ! Ce n’est pas la lutte des Juifs pour leur dignité et leur émancipation, pas même le sionisme auquel ils ont eu recours par nécessité, qui ont créé l’antisémitisme ! Ce n’est pas non plus le féminisme, la lutte des femmes contre la domination, les violences faites aux femmes et les féminicides qui créent le sexisme ! L’esclavagisme, le racisme, l’antisémitisme qui a culminé en génocide des Juifs d’Europe par le nazisme, le sexisme et ses corollaires de violences et de féminicides, préexistent tous aux combats et luttes pour y mettre fin. Ce sont des faits de l’histoire et c’est cela la vérité ! Et tant qu’il y aura ces fléaux, il y aura la nécessité de s’organiser pour lutter et les combattre. Et ces combats ont beau avoir des excès, des travers, des radicalités excessives, il est indigne de l’intelligence humaine que d’aucuns, en matière de racisme et de discrimination, veuillent nous faire prendre des vessie pour des lanternes, ou bien qu’on laisse la proie pour l’ombre, et tout cela dans le secret espoir de renverser malhonnêtement l’ordre des choses, en transformant les victimes en bourreaux et inversement les bourreaux en victimes, dans le but toujours de préserver les privilèges[20] et l’ordre établi à travers l’histoire esclavagiste et coloniale.
[1] ) Le racisme est en effet avant tout une idéologie suprématiste, qui entend promouvoir et maintenir la suprématie des Blancs, des Européens par rapports à tous les autres peuples. Comme dirait justement Ta-Nehisi Coates, « La race est l’enfant du racisme, pas sa mère ».
[2] ) « Nul n’est méchant volontairement » disaient Socrate et Platon.
[3] ) Carlo M. Cipolla, Les lois fondamentales de la stupidité humaine, publié en 1976.
[4] ) Carlo M. Cipolla, op. cit.
[5]) Des médias entiers sont sous leur influence idéologique. Aux US c’est Fox News, Tv suprémaciste, s’il en est, qui offrait une tribune à la haine et à la stupidité trumpiste de s’étendre et de se répandre. En France c’est CNews pour la télé, Valeurs actuelles et le Figaro, pour la presse écrite, entre autres, qui permettent à l’engeance suprémaciste de se déployer.
[6]) Quand un de ces Français « illégitime » daigne prendre la parole sur des sujets qui concernent notre pays, notre nation, il faudrait qu’il parle dans leur sens, sinon l’injonction de rentrer chez lui, lui est jeté à la face. Le plus gros du racisme de la société française d’aujourd’hui s’exprime aujourd’hui par ce biais. « La France tu l’aimes ou tu la ferme » semble être le let motiv de tous ces adeptes de la pureté de la race française.
[7] ) J. Kéhaulani Kouanui, enseignante chercheuse en étude coloniale et en anthropologie américaine.
[8] ) L’emploi même des vocables races, racismes, Blancs, Noirs … est juste nécessaire pour l’intelligibilité du propos et du débat, mais j’en conviens que leur usage est problématique et connoté. C’est d’une manière reconnaître que les racialistes et autres racistes ont remporté une victoire idéologique que de les utiliser ainsi.
[9] ) Année coloniale par excellence, puisque c’est cette année que s’est terminée la Conférence de Barlin, débutée en 1884, lors de laquelle les puissances européennes se sont partagées le continent africain.
[10] ) Le 28 juillet 1885, Jules Ferry prend la parole à l’Assemblée pour soutenir la politique coloniale de la IIIe République. Et qu’on n’aille pas dire que c’est juste conforme à l’esprit de l’époque, car, à chaque époque, il y a eu ceux qui se conforment à l’esprit général et ceux qui défendent ce qui leur semble juste et droit. En témoigne cette réplique de Clémenceau au discours colonialiste de Ferry : « Les races supérieures ont sur les races inférieures un droit qu'elles exercent, ce droit, par une transformation particulière, est en même temps un devoir de civilisation. Voilà en propres termes la thèse de M. Ferry, et l'on voit le gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation. Races supérieures ? races inférieures, c'est bientôt dit ! Pour ma part, j'en rabats singulièrement depuis que j'ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande parce que le Français est d'une race inférieure à l'Allemand. Depuis ce temps, je l'avoue, j'y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation, et de prononcer : homme ou civilisation inférieurs ».
[11] ) Le mot race, lui-même, est né au XVe, en France, dans le sillage des explorations. On n’en trouve traces aucunement avant.
[12] Science de la mesure du crâne dont l’angle plus ou moins ouvert ou fermé révèlerait le niveau d’intelligence. C’est Georges Vacher de Lapouge, un natif d’un village près de Poitiers, dans la Vienne, qui en a été le chantre, en essayant de donner une caution scientifique à la théorie d’Arthur de Gobineau sur l’inégalité entre les races. Avant lui, le naturaliste Buffon a été le précurseur de cette pseudo science connue aussi sous le nom de phrénologie.
[13]) On apprend d’ailleurs, par une enquête journalistique récente, Le grand manipulateur, que notre président « philosophe », sur le plan privé serait un usager de ce vocable on ne peut équivoque. Par électoralisme ou par conviction ? L’avenir nous le dira.
[14] ) Hans Magnus Enzensberger, Le perdant radical. Essai sur les hommes de la terreur, traduit de l’allemand par Daniel Mirsky, Gallimard, Paris, 2006
[15]) Cf. La crise de l’esprit, lettre écrite en avril 1919 et publiée dans la Nouvelle Revue Française in Variété, Gallimard, Paris, 1956, pages 11-12.
[16] ) Champollion-Figeac : Égypte ancienne, coll. l’Univers, édition Didot, 1839, p. 30-31.
[17]) Débattre c’est l’autre nom de la république et de la démocratie. Aimer débattre a toujours été la marque de la citoyenneté en France, et aujourd’hui Rousseau, Voltaire, Diderot, Victor Hugo ne reconnaîtraient pas leur postérité, surtout s’ils devaient prendre connaissance de tout ce qui est dit au nom de la France sur notre beau média citoyen.
[18] ) Qui est en réalité le principe qui fonde et rend possibles les autres valeurs et libertés.
[19] ) Gérard Bouchet, Laïcité : textes majeurs pour un débat d’actualité ; édit. Armand Colin, 1997, p. 154.
[20] ) Privilegium, en latin, qui signifie lois privées.
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