Angela C. Journaliste-Ecrivain / Handicapée / SDF. : La Fabrique de l’exclusion. Episode 3 / Février 2012
Résumé des épisodes précédents :
En juillet 2011, dans la rue, je rencontre par hasard une dame, handicapée, que j'aide à monter dans un bus. La conversation s'engage. Elle est journaliste, écrivain et … SDF depuis 4 mois. Elle "vit" dans la rue le jour, et la nuit dans une salle d'attente des urgences, d'un de rares hôpitaux parisien qui tolère la présence de quelques démunis en situation extrême, et les protège un peu. J'écris un papier "IL ETAIT UNE FOIS UN ABRIBUS" (Voir : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/il-etait-une-fois-un-abribus-108774) que je fais circuler dans les réseaux de l'information alternative et de solidarités. J'interpelle les médias officiels ; personne ne bouge.
Dans les semaines qui suivent des gens rencontrent Angela C. dans la salle d'attente de l'hôpital, et un réseau informel de solidarité se met en place, par téléphone et par mail. Le but poursuivi, prioritaire, sera de faire reconnaître les droits de Angela C. auprès de l'administration dont elle dépend : la CAF de Paris. Il y a urgence, bien sûr. Angela C. s'épuise de jour en jour. J'écris un deuxième papier "Angela C. Journaliste-Ecrivain / Handicapée / SDF. dans le couloir de la mort." que je lance dans les mêmes réseaux que le premier. (Voir : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/angela-c-journaliste-ecrivain-108804)
Fin septembre 2011 nous avions laissé Angela en enfer. Aujourd'hui elle y est toujours. Et l'urgence, bien sûr, est encore plus urgente. " Ici on côtoie la mort à chaque instant " dit Angela. D'ailleurs, juste avant Noël, elle est passée. La mort. Dans un silence assourdissant. Et depuis, ici, il fait encore un peu plus froid. On ne connaît pas son nom mais, comme Angela, c'était un habitué des lieux, un de ceux qui viennent ici se protéger et tenter de récupérer un peu. Ce soir du 17 décembre, en début de soirée, il paraissait encore plus fatigué que de coutume, au point qu'un "allié" parmi le personnel de l'hôpital lui a trouvé un fauteuil et l'a installé dessus. Le bruit, les cris, l'agitation de la salle des urgences un samedi soir, ne l'ont pas empêché de s'endormir. Profondément. Vers 5H30 du matin, quelqu'un du service de sécurité s'est approché de lui et secoué l'épaule pour le réveiller. Il était froid. Rigide. Il était mort pendant son sommeil. Le sourire aux lèvres paraît-il…
Quand la nouvelle de la mort d'un SDF dans la salle d'urgence a circulé dans l'hôpital, beaucoup ont pensé que c'était Angela qui était définitivement partie. Mais elle n'était pas au RDV cette nuit là. Une amie lui avait payé une chambre pour le week-end à l'hôtel F1 de la Porte de Montmartre. Quand elle est rentrée à l'hosto, le lundi, Angela se demandait pourquoi le personnel la regardait comme une revenante. Tu m'étonnes !!!
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Début octobre il semblait raisonnable de penser que Angela C. allait enfin pouvoir enfin sortir de la Cour des Miracles et reprendre le chemin de la vie. Son dossier a été vérifié par une assistante sociale et un contrôleur de la CAF, et il a été validé fin août. Il était, enfin, reconnu que Angela C. avait droit à ses droits depuis … août 2010 ! Cette bataille-là aura durée 15 mois. Angela allait pouvoir se reposer un peu, et essayer de se récupérer de ces 10 mois passés dans la rue et à "dormir" sur "la chaise tout au fond à gauche" dans une salle d'urgence … Elle allait pouvoir entreprendre les autres batailles qu'elle doit gagner pour trouver un toit, et gérer le travail qu'on lui propose déjà mais qu'elle ne peut, contexte oblige, accepter. Ceux qui constituent le cercle rapproché de la solidarité autour d'elle, parlaient au futur comme pour distancier plus vite un passé de cauchemar. Mais le présent, comme d'hab, les a vite rappelé à l'ordre.
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La somme que la CAF doit verser rétroactivement au titre de l'AH (Allocation Handicapé) est assez importante (3.500€ environ). Dans ces cas le logiciel de gestion de la CAF bloque automatiquement le dossier. Et la procédure demande qu'un Inspecteur assermenté le vérifie encore et le valide à son tour. Cela peut prendre plusieurs mois, averti l'administration. Exaspéré par cette situation, - il y a plus qu'urgence, il y a danger de mort -, quelqu'un dans le réseau solidaire prends l'initiative de diffuser un courrier type appelant le Directeur de la CAF à se pencher sur le cas de Angela C. : les internautes qui le recevront devront l'imprimer et l'envoyer au Directeur. Et ça marche !!! Celui-ci reçoit plusieurs centaines de lettres. Branle-bas de combat à la CAF ! Le dossier de Angela est enfin considéré en urgence. L'inspecteur en charge du dossier depuis un mois mais qui ne l'avait pas encore ouvert, est prié de s'activer un peu. Il tardera quand même encore 3 semaines de plus avant de visiter pour la première fois Angela C. sur sa chaise à l'hôpital… Son avis lui est favorable, il confirme les conclusions de l'assistante sociale et du contrôleur : rétroactivité et droits à l'AH ouverts pour Angela C.
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MAIS pour procéder au paiement il manque encore une chose, précise l'inspecteur à Angela : il faut qu'elle justifie d'un compte en banque avec un solde minimum de 2.500€ !?! " 5 fois le montant du RSA " précise l'inspecteur pour justifier son montant. Angela est abasourdie. Tout le monde autour d'elle se demande ce que vient faire le RSA là-dedans, et quel texte de loi justifie cette exigence complètement abracadabrante : demander à un SDF qu'il justifie d'un compte en banque avec un solde de 2.500€, pour lui verser des indemnités de survie ! ? Incohérent et complètement indécent. Même des contrôleurs de la CAF interrogés sur le sujet n'ont jamais entendu parler de cette mesure. Mais contester ce point va prendre encore des mois. Une amie de Angela propose alors d'avancer la somme pour ouvrir le compte demandé et d'essayer de comprendre après. Elle récupèrera son prêt quand le premier relevé de compte sera arrivé.
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Le 20 DEC, enfin, Angela C. reçoit sur son compte 205 € venant de la CAF sans autre justification. L'administration confirme qu'il s'agit de l'AH mensuelle 2011, correspondant au mois de décembre ; elle passera à 474 € mensuels en 2012. Et la rétroactivité annoncée, validée par une assistante sociale, un contrôleur et un inspecteur de la CAF ??? Quand Angela demande à l'inspecteur ce qu'il en est, celui-ci un peu gêné lui répond qu'il a fini son travail, que la décision prise est une décision directoriale, et que donc c'est désormais au directeur qu'il faut s'adresser.
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Mi-janvier, un réalisateur qui a commencé à tourner un reportage-documentaire sur Angela C. provoque une réunion du réseau solidaire de proximité de Angela. C'est la première fois que ces gens se rencontrent autour d'une table. Jusque là ils ne se connaissaient que par téléphone et internet. J'ai assisté à cette réunion. L'ordre du jour était de faire le point de la situation, la coordination des actions à mener suite à la décision directoriale de la CAF, et de vite trouver un toit, ne serait-ce que de transit, à Angela.
Il a été décidé, et cela a été immédiatement mis en oeuvre :
• lettre à la Directrice de la CAF (Mdme Y.) interrogeant la décision directoriale / la suppression de la rétroactivité / l'exigence d'un compte en banque justifiant de 2500€ de solde / avec copie à la Présidence de la République.
• demande de RDV avec la Direction de l'Hôpital Bichat, suite à la situation de harcèlement et de comportement agressif de 2 de ses responsables (Mesdames A.O et S) envers Angela C. sous prétexte celle-ci les énerve et les dérange, parce que " sa place n'est pas là ", et parce que " elle est toujours en train d'écrire " (sic). (Il faut peut-être leur rappeler que Angela C. est journaliste-écrivain).
• Alerter les associations et fédérations qui s'occupent des malades handicapés.
• Réactivation des réseaux de solidarité déjà actifs sur le dossier.
• Alerter la HALDE, car nombre d'attitudes de personnes en relation avec le cas de Angela ressemblent beaucoup à de la discrimination.
• Ouverture d'un front juridique de défense. (Au moment où je termine mon papier, deux avocats spécialisés sont d'accord pour prendre en charge dossier)
• Accélération du tournage du reportage-documentaire de B.P. (Professeur/Journaliste/Réalisateur indépendant)
• Relance médiatique / Re-interpellation des médias
Personnellement je continuerai mon boulot de journaliste-indépendant et ferai le suivi de cette affaire affligeante. Je mets à disposition de mes collègues journalistes-professionnels et de tous ceux qui soutiennent Angela C., les éléments de ce dossier que je suis depuis 8 mois.
Quant à Mdme Y. Directrice de la CAF, j'espère pour elle que le fait de travailler 19 Rue du Pot de Fer à Paris (75005), ne lui est pas monté à la tête et fait commettre un abus d'autorité, ni ne l'a faite tomber dans l'arbitraire et enfermée dans un sentiment d'invulnérabilité. Je lui dit à elle, comme aux autres personnes identifiées dans mon enquête, que nous sommes aujourd'hui dans un cas manifeste de NON ASSISTANCE EN PERSONNE EN DANGER. Si Angela finit trop tôt sa vie à cause d'un hiver redevenu rigoureux, ces personnes devront porter la responsabilité morale de sa mort.
Quant à tous les nouveaux venus dans cette histoire et qui voudraient aider Angela C., qui croient que le hasard de la rencontre, la solidarité, l'indignation, et l'action résolue contre le mal peuvent apporter à ce monde un peu plus d'humanité et de justice qui lui font tant défaut, et bien faites comme moi avec ce que vous savez et pouvez faire : agissez. Et croyez-moi … faut faire vite.
Alain-Gilles Bastide
Paris 29 janvier 2012
Auteur / Journaliste indépendant
Pdt.fondateur de l’Association des Cyber-journalistes (ACJ)
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