Anonymous vs New-York Stock Exchange
Il est minuit moins cinq. En fait, il est 05h55 à Paris et le soleil se lèvera à 8h03, sur un 10 octobre 2011 presque sans nuage et une température agréable, maximum de 21º. On sera si bien et il se passera si peu de choses, qu’on jasera des « primaries » du PS. Ça, c’est parce qu’on est dans le bonheur à Paris et qu’on est loin de la ligne bleu des Vosges et des tranchées. Pour le reste du monde, il est minuit moins cinq.
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Minuit moins cinq toute la journée et tous les jours en Libye, en Afghanistan et maintenant en Grèce, où ce n’est qu’affaire de temps avant que ne claque le premier coup de feu. Ici, à Montréal, pas besoin même de métaphores : nous sommes bien à l’heure de New-York et c’est vraiment dans 5 minutes que débutera la journée fatidique où l’on saura si le monde continue inchangé… ou se transforme radicalement en autre chose.
Ce jour est critique, car ANONYMOUS a annoncé qu’aujourd’hui le New-York Stock Exchange serait arrêté. Pour 10 minutes ? Pour 10 heures ? Pour toujours ? On ne l’a pas dit, mais c’est d’importance secondaire. Comme il serait d’importance secondaire que je vous prive d’oxygène pour une heure ou pour toute la nuit. Votre cerveau ne s’en remettrait pas. Bluff ? Canular, le message d'Anonymous... ou une attaque létale ?
Car si Wall Street s’arrête aujourd’hui, le Système qui gère la planète pourrait bien en mourir. Pas parce que les transactions auront été interrompues – on le fait de temps en temps, un peu par jeu - mais parce que la preuve aura été faite que la circulation de l’argent, qui est le sang qui maintient la vie dans le corps mystique de la finance, peut être sérieusement perturbée par une autre volonté que celle des Maîtres du Monde. Et ça, ce serait la fin du monde que nous connaissons
Nous vivons dans un monde qui fonctionne comme une horloge. Il y a des imperfections, mais elles ne subsistent que dans les rouages marginaux, sans importance réelle, les engrenages qui ne touchent que la vie des nègres, votre vie ou la mienne par exemple. Pour l’essentiel – l’argent, le crédit, le pouvoir - la « tolérance » permise est minuscule.
Les ajustements sont apportés sans délai et les aiguilles tournent au rythme dont décident les horlogers. La part de hasard qu’on croit y voir est programmée pour divertir, amuser, créer un suspense… Que le coucou sorte avec la tête de Sarko, de Harper ou d’Obama, ce n’en est pas moins toujours l’heure choisie qu’il annonce … et la richesse, elle, ne sort pas de sa niche sans chaperon. Le monde est trop complexe pour aller au hasard. Le Système s’en occupe. Le New-York Stock Exchange est le gros cadran ou l’heure s’affiche.
Si autre chose que le Système pouvait changer heure, le monde n’aurait plus de maîtres. Il errerait à la guise de la légendaire « main invisible » des penseurs libéraux, celle-ci devenant tout à coup une insupportable réalité… Chaque maître du monde tuerait sans doute, même de sa propre main, pour éviter que cela n‘arrive. Anonymous a dit qu’il pouvait le faire.
Qui est Anonymous ? On ne le sait pas. C’est sa force. Il y a bien 20 ans que je dis qu’aucune organisation ne détruira le Système, puisqu’aucune ne l’égalera en « organisation ». Par la force, l’astuce, la corruption, la zizanie, le Système écrasera toute organisation révolutionnaire.
Seul des INDIVIDUS agissant seuls - mais unis par un but commun dont chacun déduit ce qu’il lui incombe de faire selon sa conscience et au vu de sa propre compétence - pourraient détruire le Système, chacun faisant sa part. Difficile à imaginer. Pourtant, c’est cet ennemi insaisissable et donc INVINCIBLE que le Système semble s’être suscité : Anonymous.
D’ou sort Anonymous ? Depuis toujours, des individus brillants sont marginalisés par le pouvoir en place parce qu’ils n’ont pas le profil pour s’y intégrer. Il y a mille raisons, mais c’est surtout qu’ils sont imprévisibles ou n’obéissent pas. Des esprits libres ? Des rebelles ? Des criminels ? C’est selon ; le vocabulaire change… Intelligents et compétents, ces individus sont une menace, mais généralement une menace mineure, car, individualistes, ils ne s’assemblent pas. Traditionnellement, on les achète ou on les tue. Ça fait des pirates ou des corsaires ; il faut des centaines de Cartouche et des circonstances exceptionnelles, pour que puisse apparaître un Bonaparte.
Depuis quelques années, cependant, les structures de production industrielles orientées vers une consommation de masse, ne peuvent amortir leurs investissements assez rapidement pour réaliser avec profit les innovations que leurs proposent tous ces individus brillants qui disposent d’une compétence dans le domaine de l’informatique où les progrès sont exponentiels.
Le nombre de ceux-ci qui ont été marginalisés a donc augmenté en flèche, car il ne suffit pas de donner un salaire correct à un esprit frondeur pour le motiver et qu’il cesse de vouloir s’exprimer. Les brillants rebelles sont devenus des « hackers ». Des saboteurs.
Ils se sont contentés, au départ, de se montrer plus habiles que les papys relativement ignares qui les marginalisaient en occupant les postes-clefs du Système. Ils ont joué aux virus… Ils ont joué pour un temps, mais c’est le propre de l’homme de se chercher un but qui le motive. Certains hackers ont donc cessé de jouer. Ils sont devenus des protestataires et se sont trouvé une MISSION : détruire le Système qui les marginalise et dont l’ignominie et la méchanceté sautent aux yeux. Ces hackers se sont improvisés justiciers et ils ont trouvé tout seuls la stratégie de base imparable : UN FAISCEAU D’ACTIONS INDIVIDUELLES DISSOCIÉES CONVERGEANT VERS UN BUT COMMUN.
Anonymous semble bien un rassemblement de ces hackers. Ils se sont trouvé des ennemis puissants et honnis de tous dont ils connaissent les failles de la cuirasse. Ils ont la compétence pour les attaquer et les détruire et ils contrôlent les moyens de communication de leurs adversaires… Ils n’ont évidemment eux-mêmes aucun problème à communiquer anonymement – ce sont eux les communicateurs - et, aussi longtemps qu’ils demeurent inconnus les uns des autres ils sont invulnérables, car on ne les prendra qu’un par un et ils viendront par centaines...
On a ainsi un scénario de science-fiction, où une espèce supérieure munie de « phasers » et de bombes à neutrons vient déloger les méchants tyrans primitifs armés de gourdins. Anonymous a fait quelques coups d’éclat depuis trois ans puis maintenant lance brutalement le gant à la face du Système : "Le 10 octobre 2011" - ont-ils annoncé - "nous arrêterons le New-York Stock Exchange". Rien que ça !
Délirant..., mais supposons qu'ils le fassent. Il y aurait quelques questions à se poser.
1. Anonymous est-il bien, comme on le prétend, un regroupement spontané de hackers qui veulent protester contre le Système ? Si oui, se rendent ils parfaitement compte que, s’ils réussissenst ce coup, ils n’auront pas seulement protesté, mais auront blessé le Système, peut-être mortellement ? Est-ce ce qu’ils veulent ?
2. Anonymous ne serait-il pas, au contraire, un piège du Système, une démolition contrôlée pour créer une telle panique que le passage du capitalisme au corporatisme avec dictature, censure et État policier soit non seulement accepté, mais exigé par la population, permettant de donner un nouveau visage à cette gouvernance occulte des maîtres du monde dont le masque est en train de tomber ?
3. Pourrait-on penser, aussi, que le geste d’Anonymous soit simplement un épisode particulièrement audacieux et féroce du jeu entre ces maîtres du monde, une manœuvre d’une faction pour se débarrasser d’un autre faction et établir sa dominance ? Ou encore, qu’une puissance émergente tout a fait lucide et bien décidée à « tuer le Systeme » et a y substituer autre chose, soit derrière l’action des hackers d’Anonymous ? Ou pensez aux milliards que feront ceux qui auraient joué à la baisse, sachant que le NYSE serait efficacement saboté ?
Quelle que soit la bonne hypothèse, il n’est pas impossible que des tractations soient en cours pour éviter que cet irréparable geste ne soit posé. Entre qui et qui ? Nous n’en savons et n’en saurons sans doute jamais rien.… Mais si ce jour d’hui finit tranquillement comme il a commencé, n’en concluons pas trop vite au canular ou à un échec d’Anonymous. Ce peut être qu’on l’aura dissuadé de le faire… et il n’est pas exclu, en ce cas, que la bombe qu’on aura réussi à désamorcer cette fois soit remontée une autre fois, comme ces volcans qui grondent puis se taisent, nous endorment… puis explosent.
Quoi qu'il arrive aujourd'hui, il faut garder bien présente à l’esprit l’extrême vulnérabilité de notre société qui est devenue un jeu plus qu’un projet pour ceux qui la gouvernent. Voir aussi combien les disparités croissantes entre riches et pauvres font reposer la vraie gouvernance sur une base trop étroite et qui s'amenuise.
On devrait s'inquiéter beaucoup que la perspective que le Système tout entier soit saboté et détruit paraisse susciter chez tant de gens plus de sympathie que de réprobation.
Pierre JC Allard
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