Antisémitisme : ce que nous dit une fresque
Jacques Attali et Emmanuel Macron sont représentés sur une fresque du grapheur Lekto en Avignon. Le premier l’est comme marionnettiste, le second comme la marionnette de son aîné. Une kabbale dénonce l’antisémitisme d’une telle fresque qui devrait être recouverte, ou l’a déjà été.
Jacques Attali est juif, sépharade. Sans avoir jamais brigué un mandat électif, il a conseillé les plus hautes instances de l’état depuis des décennies. Il a fourni en 2007 à Emmanuel Macron une sorte de tremplin en le nommant rapporteur de la commission pour la libération de la croissance française. Il a en 2015 rédigé un programme politique pour un candidat inconnu à la présidence de la république, puis a soutenu la candidature à ce mandat d’Emmanuel Macron en 2017. Qu’il le veuille ou non, Jacques Attali est un homme d’influence et un homme de réseau, un de ceux dont le langage commun dira qu’il est une éminence grise. Ou qu’il « tire les ficelles ». Sans doute est-ce un raccourci trompeur et ne fait-il que tirer des ficelles, pas toutes. Celles qui animent la marionnette Macron ? Il est permis de supposer que Jacques Attali le pense, lui qui confiait à Anne Fulda[1] : « Emmanuel Macron ? C’est moi qui l’ai repéré. C’est même moi qui l’ai inventé. Totalement. ». Ce n’est guère différent du « C'est bien la première fois qu'on entend un cheval remercier son jockey. » de Marie-France Garaud et Pierre Juillet en réponse aux remerciements de Jacques Chirac après sa conquête de la mairie de Paris. Le pouvoir apparent aux histrions élus, le pouvoir réel aux conseillers occultes.
Soyons ici très clair : il n’y a pas (à ma connaissance) d’informations publiques, précises, circonstanciées et fiables permettant d’évaluer l’influence effective et actuelle que pourrait avoir Jacques Attali sur Emmanuel Macron. Il est dès lors très hasardeux de déterminer si cette fresque outrage la vérité en inventant une sujétion qui n’existe pas ou plus, ou ne fait que forcer le trait dans la limite permise par la caricature, ou est conforme à la vérité, ou encore – soyons exhaustifs dans nos hypothèses – minore cette influence.
Cette fresque reprend un code, une ficelle iconographique qui a été utilisée par le passé afin de véhiculer des idées antisémites et antimaçonniques[2]. Mais il faut bien dénoncer que le pouvoir n’appartient pas nécessairement à celui qui est investi du mandat. En effet, qui aujourd’hui a plus de pouvoir, Joe Biden ou celui qui alimente son prompteur ? Alors, faudrait-il renoncer à user d’une ficelle picturale sous prétexte qu’elle aurait été utilisée jadis pour véhiculer des idées que notre air du temps juge nauséabondes ? Difficile de ne pas dériver dans une analogie avec la prophétie de Nietzsche : « encore un siècle de journalisme et tous les mots pueront ». Les mots puent, mais nous en avons encore besoin malgré leurs odeurs, et le signifié est plus important que le signifiant.
Sans doute est-il encore licite, pour quelques temps encore, d’avoir et d’exprimer une opinion sur ce que l’un ou l’autre ou les deux proposent et envisagent pour notre pays et notre monde, et, pour un seul d’entre eux, décide au quotidien. Le vieux conseiller et le jeune président sont tous les deux des libéraux très progressistes qui partagent une certaine vision de l’homme. Celle prométhéenne de l’homme auto-référant qui, par le miracle du dieu-progrès, s’affranchit de toute transcendance qui serait devenue encombrante. Ils promeuvent et travaillent à l’émergence de l’individu infiniment modelable, seul face à l’état et au marché, la monade isolée d’une société relativiste. Cet homme est réduit à ses seules fonctions de production et de consommation.
Qu’il me soit ici permis d’affirmer fermement que je vomis cette idéologie. C’est un privilège fragile dont la pérennité n’est pas hélas garantie. En effet, l’aboutissement de cette pensée libérale, progressiste, relativiste et transhumaniste est (à mon opinion) inéluctablement totalitaire, et cette idéologie est actuellement au pouvoir en France, en Europe et plus généralement en Occident.
Le fait que Jacques Attali soit l’un des promoteurs de cette idéologie est indépendant de sa judéité. D’autres qui ne sont pas juifs vont aussi à Davos et communient avec lui dans cette vision mortifère qui nie à l’homme sa dignité. Mais en France, il est sans doute le VRP le plus emblématique de ces salmigondis. Faudrait-il s’interdire de critiquer via des caricatures ces idées, dont je pense qu’elles sont nocives, sous prétexte que Jacques Attali est juif ? Ce serait une sorte de joker bien pratique. Il est malheureusement très vite brandi, par exemple dès lors qu’une critique de quelque nature est émise envers une politique menée par l’état d’Israël. Ainsi, Joann Sfar brocarde avec humour et talent la censure de twitter[3] en campant devant cette fresque une tête rasée qui parle de « sales sionistes ». Mais ne participe-t-il pas ainsi à l’érection de ce néfaste totem d’immunité ? Il faut pouvoir critiquer les idées de Jacques Attali sans se voir imputer un antisémitisme fantasmé, mais bien commode pour éluder le fond.
Bien sûr, quand la personne critiquée est juive et que les codes utilisés pour le faire sont inspirés de l’antisémitisme décomplexé d’une certaine époque, ça fait beaucoup. Est-ce constitutif d’antisémitisme pour autant ? Je ne crois pas, mais je peux admettre ne pas avoir entendu tous les arguments de certains procureurs auto-proclamés.
Censurer cette fresque est-il une bonne idée ? Clairement non. Dans un pays qui a affiché « Je suis Charlie » à tort et à travers, ce serait incohérent. Cela pourrait conforter les complotismes les plus imbéciles : si les juifs parviennent à censurer des caricatures qui leur déplaisent quand les musulmans n’y parviennent pas, c’est que les banquiers judéo-maçonniques sont effectivement au pouvoir et qu’ils en abusent.
Cette fresque est-elle habile dans le sens où elle créée du bruit médiatique au profit de son auteur ? La polémique actuelle le laisse croire, et l’air du temps est à la provoc’. Mais malheureusement, le message du « président-marionnette » passe alors au second plan. Le déplorer est une option. Nous ignorons toujours qui alimente le prompteur verbeux, pontifiant et arrogant d’Emmanuel Macron. Tant pis !
Illustrations :
© Instagram /Letko
© Twitter / @joansfar
Domaine public
[1] Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait
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