Antiterrorisme : ça fuite
Deux informations ne vous peut-être pas échappé si vous vous intéressez à la façon dont la lutte contre le terrorisme islamique est mise en scène.
Le 6 septembre, le journal Le Monde annonce que Mehdi Nemmouche, auteur présumé du quadruple assassinat commis au Musée juif de Bruxelles le 24 mai, ayant auparavant séjourné en Syrie dans les rangs de « l'Etat islamique », arrêté en France et extradé le 29 juillet vers la Belgique, aurait été l'un des geôliers d'otages occidentaux détenus par l'organisation islamiste. L’information serait le fruit des éléments transmis ces derniers mois par la DGSI à la section antiterroriste du parquet de Paris, notamment à travers des témoignages d’ex-otages.
Le 12 septembre, le journal Le Point annonce que l’exécution du leader des « shebab » (Al-Shabbaab, groupe islamiste qui contrôle la majeure partie du sud de la Somalie) par un raid de drônes américains, le 1er septembre, a été conduit à partir de renseignements fournis par la DGSE. Ces renseignements, qui auraient permis l’identification de son véhicule et la route qu’il devait emprunter, auraient été transmis sur ordre express du président de la République française.
Commençons par la révélation du rôle de Nemmouche dans la détention des otages en Syrie. L’information donnée par Le Monde est lapidaire : « Selon certains témoins, Nemmouche n'aurait été qu'un exécutant de base de l'Etat islamique, chargé par l'organisation de surveiller les otages occidentaux. Il aurait, néanmoins, fait montre d'une grande brutalité et commis des actes graves. » Cette révélation incite aussitôt l’un des ex-otages, Nicolas Hénin, à rendre public son témoignage. Publié par Le Point, il trace de Nemmouche un portrait glaçant : brutal, affabulateur, égocentrique et pervers.
Aussitôt, la polémique éclate : un autre ex-otage, Didier François, dénonce dans Libération la divulgation de cette information : « cela permet malheureusement d’alerter les autres ravisseurs sur le fait que les services français détiennent des éléments sur les membres de ce groupe terroriste ayant déjà perpétré des attentats. Du coup, ça va leur permettre de se protéger, ce qui met en danger le travail des spécialistes du contre-terrorisme et les citoyens français. C’est irresponsable. » L’article indique que la DGSI et le parquet antiterroriste auraient« supplié » les journalistes de ne pas divulguer l’information. Libération aurait respecté la consigne, mais l’article sous-entend que ce n'a peut-être pas été le cas du Monde… Simple problème de déontologie journalistique ?
Le 17 septembre, la tribune d’un autre ex-otage, Pierre Torres, publié par Le Monde donne une analyse un peu différente et met carrément en cause les institutions antiterroristes françaises : « nos dépositions ont pu fuiter par n'importe quel bout de l'antiterrorisme français mais pas sans l'aval et l'intérêt de tous ». Il vise les institutions policière (DCRI) et judiciaire (juge ou parquet). La tribune est surtout intéressante parce qu’elle aborde de front la question du mobile de la fuite, en relevant la proximité avec la discussion au Parlement de la loi antiterroriste. D’un « sale type, narcissique et paumé, prêt à tout pour avoir son heure de gloire », on a fait un symbole de la chaîne qui va du jeune délinquant fanatisé à la guerre en Syrie pour revenir commettre des attentats en Europe. Bien joué, à l’heure où l’on nous sert une nouvelle loi destinée à renforcer un peu plus le maillage policier et le contrôle de la population.
Revenons maintenant à la révélation du rôle de la France dans « l’élimination ciblée » du chef des shebabs. Dès la première phrase de l’article du Point du 12 septembre, le ton est donné : « en matière de terrorisme, François Hollande ne lâche rien ». L’article dessine en effet une image de notre président assez remarquable : l’opération découlerait d’un « pacte secret » entre Hollande et Obama (comprenez : Hollande parle d’égal à égal avec le président des Etats-Unis) ; le président « a donné des instructions précises sur les suites de la mort de nos trois agents, message : la France n'oublie pas ceux qui lui ont fait du mal » (comprenez : Hollande est ferme et opiniâtre) ; et cependant « nous pouvons préciser que les Français ont refusé que le Pentagone fasse mention de leur rôle » (comprenez : Hollande est discret et modeste).
Cette fois encore, qui a bien pu diffuser ces informations ? L’article se conclut en précisant que, contactée par le journal, la DGSE a utilisé sa formulation habituelle : « Nous ne confirmons ni ne démentons nos activités réelles ou supposées. » Cependant, le lendemain de la publication de son article, Le Point précise que l’information a été confirmée par une source située « dans l'entourage du président français ».
Plus que d’informations, on pourrait parler dans les deux cas de véritables « mises en récit » (ou storytelling, selon le jargon des communicants). Dites ensemble, elles racontent une histoire qui légitime la multiplication des opérations extérieures engagées par la France, justifie la mise en place de mesures liberticides sur son territoire, relativise les difficultés économiques actuelles au regard d'une véritable situation de guerre, donne une image de notre excécutif toute de fermeté et de courage. Comme l’a dit le Premier Ministre devant l’assemblée lors de son discours de politique générale du 16 septembre : « face à ces menaces, l’unité nationale s’impose ! »
Ce ne serait pas la première fois que l’exécutif manipule des données relevant de la sécurité nationale pour son bénéfice personnel. La tentation est d’autant plus grande que, depuis la création d’un comité national du renseignement en 2008, l’Elysée « coordonne » (donc a dans sa main) les activités des services de renseignement tant civils (la DGSI - Direction générale de la Sécurité intérieure – relève du ministère de l’intérieur), que militaires (la DGSE - Direction générale de la Sécurité extérieure – relève de la défense). Tout cela au profit d’un homme décrit comme « accro au renseignement », que les postures martiales ennivrent (n’a-t-il pas déclaré que sa visite au Mali était « la journée plus importante de [sa] vie » ?) et qui se retrouve aux abois face à une impopularité record.
La manipulation cynique de l’opinion à travers les informations sidérantes et les postures viriles est-elle tout ce qu’il reste à une politique étrangère privée d’autres perspectives que la « guerre contre le terrorisme » ?
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