Aparté Sur la Nuit des Césars 2015
La Nuit des Césars est importante puisqu'elle met en valeur le travail technique proposé par le Cinema français. Le Jury n'est constitué que de professionnels confirmés, alors, leur sélection est un gage de professionnalisme. Plus que les pailettes de Cannes, qui présente des nouveautés, il s'agit de voir ce que les professionnels voient et retiennent des oeuvres au niveau des savoirs-faire. Ce n'est pas un Prix anodin, mais la récompense d'un aboutissement artistique. Dans ce cadre, comment interpréter l'oeuvre Timbuktu qui obtient un nombre impressionnant de récompenses devant des oeuvres bien plus techniques et abouties ? Sans mettre en doute la beauté et la poesie des oeuvres récompensées, doit-on systématiquement se tourner vers l'exotisme africain, sachant que les africains rêvent souvent d'exotisme européen ?
Le cinéma français se porte bien nous dit-on, et la sélection des nominés présentait effectivement de l’excellence dans toutes les catégories et cependant c’est un film poétique mais inconnu du grand public qui a remporté la majorité des récompenses. On aurait dû se méfier en entendant le discours d’introduction empli de rancœur du Président du Jury, manifestement décidé à utiliser cet évènement prestigieux pour rendre amer la récompense autant que la nomination. Je suis déçue de voir le travail mal récompensé.
Alors, je vais oser ma propre sélection, illusoire, mais tout à fait honnête et justifiée par mon amour inconditionnel du cinéma ; qu’il soit français ou étranger, qu'il s'agisse de courts, de longs, de très longs métrages, des films avec beaucoup de dialogues et ceux qui s’illustrent par leur mélodie visuelle, ceux qui présentent des paysages à couper le souffle et ceux dont on peine à regarder la laideur des plans, les maladresses d’éclairage, la prise de son raté, l’infantilisme des acteurs. J’aime l’Humain, j’aime l’Art alors forcément j’aime le Cinéma qui est aujourd’hui la forme littéraire et artistique la mieux adaptée à notre mode de vie et de culture fast-food.
Comment ne pas saluer les actrices française nominées, ayant chacune de belles carrières et de très belles personnalités cinématographiques ? Comment ne pas remarquer le travail et la patience de Karine Viard pour son rôle pilier dans La famille Bélier ? Le jury ne pouvait-il avoir la courtoisie de remarquer cette implication ?
La quantité d’œuvres oubliées par cette distribution des récompenses fait mal au cœur étant donné le niveau d’excellence de cette 40 éme édition des Césars. Les biopics sur Yves Saint Laurent sont bluffant d’authenticité ; chacun des films ayant su mettre en valeur les différents traits de caractère de l’homme qui a inventé la silhouette de la femme contemporaine. Comment pourrait-on confondre Lanvin ou Dior avec Yves Saint Laurent ? Il y a des degrés dans l‘inventivité ; la force de la mode d’Yves Saint Laurent – que l’on aime ou pas son travail- est d’avoir modelé l’image de la femme libre sans lui retirer l’élégance intemporelle de sa féminité. Pour moi, Gaspard Ulliel avait fait un travail presque documentaire de « l’ambiance Saint Laurent », de sa vulnérabilité, de sa grâce venue d’une lassitude et d’un orgueil caractéristique des grands créateurs. Tandis que Pierre Niney montrait la fougue créatrice juvénile et l’ambition teintée d’autoritarisme du génie de la mode à ses débuts. Ces films contenaient à eux deux les vérités et les démons de l’œuvre Yves Saint Laurent, mais pour le voir, il faut avoir la culture du goût « à la française », et reconnaître la force et la spécificité de notre pays.Si l’on cherche à comprendre le choix du Jury, on s’aperçoit qu’il a simplement cherché à être surpris par l’émotion brute et bousculé dans ses convictions profondes. Ainsi, le film « Les combattants » présentent une inversion des genres féminins/masculins ; les codes habituels sont cassés puisque le rôle féminin est plus brutal que celui du personnage masculin, dans ce film sans nuances, hyperréaliste, on reconnait le désœuvrement d’une jeunesse privée de repères culturels, cherchant désespérément une autorité, un encadrement et qui s’imagine le trouver dans l’armée et l’expression d’une violence ordinaire, androgyne.
Le film à la forme documentaire Timbuktu sort de l’anonymat et présente la poésie de ses paysages, la douceur de l’ambiance et la pureté réaliste de la réalité africaine. C’est un film à la fois philosophique et cru. C’est une tentative pour une productrice habituée à de petits budgets de « faire un grand film ». C’est pour les parisiens en mal d’exotisme, un moyen de s’immerger dans l’atmosphère africaine et de fixer l’image d’un pays innocent et rêveur, avant qu’il ne devienne un théâtre d’opérations militaires avec les guerres à venir. Quelle que soit la valeur émotionnelle du film, on peut douter de l’intérêt de remettre un si grand nombre de récompenses à un film sans travail de décor, sans costume, ni distribution prestigieuse alors même que de fortes tensions sociales sont exacerbées au plan national, est-ce maladroit ? Cette autocongratulation des chaînes productrices via les récompenses est un moyen de maintenir l’intérêt des actionnaires ; il en ressort que le mécénat gratuit est révolu dans les entreprises privées ; tout prêt financier exige désormais un rapport financier direct pas seulement une valorisation par l’Image, alors que les associations et les sections ministérielles de la culture permettent encore ce soutien bienveillant. La dictature progressive et insidieuse du profit à tout Prix, donne la nausée, même à ceux qui sont récompensés. Quel paradoxe !
Il est dommage pour l’industrie française de si mal prendre en considération le travail produit par Luc Besson : « Jack et la Mécanique du Cœur » de Matthias Malzieu avec la musique de Dionysos et la participation de la chanteuse Olivia Ruiz, de Jean Rochefort, Rosy de Palma, et Grand corps malade est un pur concentré de poésie et de délicatesse, un excellent film dont on oublie qu’il est une animation tant les personnages ont du cœur. Un film de personnages dessinés plus chargé d’humanité que d’autres films largement récompensés où l’humain exhibe sa nudité.
Cette 40éme nuit des Césars contenait tous les ingrédients d’une sublime cérémonie ; l’assistance était talentueuse, les robes particulièrement élégantes, les films sélectionnés remarquables, le maître de cérémonie Stéphane Baer a fait de son mieux pour rendre l’atmosphère détendue, chose qui malheureusement ne fut pas vraiment possible tant les récompenses semblaient à l’avenant et contrariant la logique ; c’est-à-dire la récompense de l’effort artistique. Le Jury a préféré mettre en valeur l’émotion sans filtres alors qu’il y avait une quantité de travail, de qualité des détails, de recherches historiques et artistiques fantastiques proposé dans cette sélection de films, des trésors pour les générations à venir ! Je crains cependant que nous ne puissions pas toujours soutenir la qualité des productions si nous ne valorisons pas la qualité du travail lorsqu'il atteint cette excellence.
On doit féliciter Sissoko, puisqu’il a fait un film remarqué, pour autant est-il si remarquable ? On ne le sait pas puisque peu l’ont vu malgré leur assiduité à la culture cinéphile. Il faut espérer que cette quantité disproportionnée de reconnaissance servira à appuyer les productions cinématographiques africaines. Il n’en reste pas moins que cette cérémonie nous laisse un goût de sable…serait-ce que l’Harmattan a soufflé trop puissamment ? Lila (www.lilaluz.net)
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON