Après Hénin-Beaumont : Sarkozy-Marine le Pen en 2012 ?
47,62%. Un score qui, pour n’importe quel parti politique, dans n’importe quelle élection à deux tours, sonne comme un glas évocateur de défaite cinglante. Mais le Front National, emmené par Marine Le Pen, a-t-il réellement connu une défaite aux dernières municipales à Hénin-Beaumont ? Le prétendu « front républicain », brusquement ressuscité au lendemain du premier tour qui avait vu le FN tutoyer les 40%, a-t-il vraiment triomphé de cette « hydre » politique ? Ou, au contraire, cet apparent échec est-il révélateur d’une nouvelle dynamique, dynamique susceptible d’emmener le parti à la flamme tricolore vers de nouveaux sommets ?
"Front républicain". Une expression qu’on croyait morte et enterrée depuis quelques années, depuis que Nicolas Sarkozy, en Saint-Michel de la scène politique française, avait pourfendu le "dragon" du Front National : en chassant sur des terres idéologiques jusque là jugées trop dangereuses, en abordant des thèmes mis à l’index par la bien-pensance et, finalement, en phagocytant des électeurs frappés du sceau de l’infamie pour avoir, un jour, glissé un bulletin au nom de Jean-Marie Le Pen dans l’urne. Le Front National était mourant, sa "palpitante" saga politique, commencée au milieu des années 80 et ayant atteint son paroxysme un certain 21 avril 2002, touchait à sa fin, et plus rien ne serait jamais comme avant. Pourtant, il aura suffi que la liste dirigée par Steeve Briois et Marine Le Pen atteigne 39,34% des voix au premier tour des municipales à Hénin-Beaumont pour que l’on se croit revenu au temps des grandes victoires frontistes de la seconde moitié de la décennie 90, lorsque Toulon, Vitrolles, Marignane et Orange furent, si l’on en croit les médias de l’époque, sauvagement arrachées à la République. L’image la plus cocasse, de ce point de vue, aura sans doute été celle de Xavier Bertrand qui, exprimant la voix de son maître, appelait les électeurs UMP à voter contre le FN. Comme il paraissait soudain loin, le temps où Nicolas Sarkozy, fraîchement élu, réunissait à l’Élysée les chefs des principales formations politiques, dont Jean-Marie Le Pen, démontrant ainsi à tous que le vieux lion avait perdu ses crocs !
Mais le "front républicain" a-t-il vraiment gagné cette élection ? À bien y regarder, on peut sérieusement en douter.
D’abord parce que, dès le premier tour, on remarquait que les résultats n’étaient pas forcément favorables au Front National : le candidat divers gauche Daniel Duquenne arrivait second avec 20,19 % des suffrages, le socialiste "officiel", Pierre Ferrari, soutenu par les communistes et le MoDem, obtenait 17,01 %, suivi par les Verts avec 8,52 % des suffrages. Le FN, en dépit d’un excellent score, ne disposait, sur le papier, d’aucune réserve, et l’UMP plafonnait de toute façon en dessous des 5%. En fin de compte, ce sont les mathématiques, plus que la chimère du "front républicain", qui auront battu le FN au second tour. Les mathématiques, oui, et à la marge, les déclarations fort malhonnêtes de M. Duquenne quant à la suppression possible des subventions versées à la commune par le Département et la Région, en cas de victoire de l’extrême-droite. Hypothèse saugrenue, car une telle suppression, pour des motifs politiciens, aurait été totalement illégale, mais qui a néanmoins pu jouer un rôle, aussi minime fut-il. Un impact sur lequel la justice administrative sera amenée à se prononcer, le FN ayant déposé un recours.
Quoi qu’il en soit, cette défaite du Front a malgré tout des accents des victoires, car tous les chiffres sont loin de lui être défavorables. De fait, avec 47,62%, le nombre d’élus frontistes présents au conseil municipal de Hénin-Beaumont double, passant de quatre à huit, renforçant l’emprise du parti sur la localité, incarnée par la tête de liste, Steeve Briois, celui-là même qui n’a de cesse de se présenter comme l’"enfant du pays", jusqu’à en faire un leitmotiv et un argument électoral, lequel n’aura sans doute pas été sans conséquence face à une classe politique locale jugée encroûtée, inefficace, clientéliste et corrompue, suscitant désormais clairement la défiance des classes populaires, victimes de la désindustrialisation.
Autant d’éléments locaux et régionaux qui ont une certaine résonance au niveau national, permettant au FN d’envisager l’avenir sous de meilleurs auspices. La crise économique est loin d’être terminée, et même à ce moment-là, la crise, générale celle-là, engendrée par la mondialisation et le néo-libéralisme, sera appelée à se poursuivre, faute de véritables changements politiques. Car si Nicolas Sarkozy a été capable de "vampiriser" une partie de l’électorat de Jean-Marie Le Pen, gageons qu’il aura des difficultés, à long terme, pour le conserver en menant une politique toujours davantage placée sous le signe de l’injustice et de l’iniquité.
On a pu penser, un temps, que Nicolas Sarkozy contribuerait à une sorte de recyclage de ces "brebis égarées de la démocratie" qu’étaient les électeurs du FN, et que le vote UMP pourrait n’être qu’une étape vers de nouveaux comportements électoraux. C’était poser la question de la récupération des classes populaires par des formations politiques plus classiques. Mais cette récupération ne pouvait être ainsi envisagée comme un automatisme : ces formations devaient amender leurs comportements comme leurs programmes afin de répondre aux attentes de ces électeurs. Force est de constater qu’il n’en a rien été.
Car le MoDem s’enfonce dans les chemin de terre boueux que creuse son président, François Bayrou, à mesure que ce dernier peine à tracer une ligne politique claire. Le Parti Socialiste, de son côté, n’en finit pas de prouver son incapacité chronique à apprendre de ses échecs. Deux ans après l’élection de 2007, après avoir fait étalage de ses divisions et de insondable vide idéologique, le voilà qui se rabat sur le vieux créneau de l’antifascisme qui lui a pourtant valu sa pire humiliation, en l’occurrence le 21 avril 2002. Et on ne peut que faire le même constat s’agissant de l’extrême-gauche, au sens large (NPA, Parti de Gauche, etc.) qui en dépit de la prise en compte des questions sociales fait preuve du même rigorisme gauchiste dès lors que sont abordées les questions d’immigration ou de sécurité. Il faut rendre à César ce qui est à César : en l’absence d’une alternative crédible et sérieuse, les électeurs du FN reviendront au FN. Et ils y reviendront peut-être plus nombreux.
Du père à la fille : un nouveau Front National ?
Car le FN change. Et il change parce que son électorat change également. Le FN de 2009 n’est plus celui de 1995, et l’électeur frontiste de Hénin-Beaumont ne ressemble pas à celui de Toulon ou Vitrolles. Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême-droite, dresse un parallèle édifiant entre le déplacement du centre de gravité électorale du FN, en gros du Sud-Est aisé vers le Nord sinistré, et le changement de la sociologie de l’électorat frontiste, des professions libérales et des petits patrons pestant contre les impôts écrasants et les assistés en tout genre, immigrés ou non ; vers un auditoire clairement populaire, pour ne pas dire prolétarisé, demandant simplement qu’on prenne son existence et ses difficultés en compte.
L’exemple de Vitrolles est de ce point de vue particulièrement riche en enseignements : la campagne y avait été fortement imprégnée par ce qui était à l’époque le cheval de bataille du Front, la préférence nationale, Bruno Mégret allant même jusqu’à promettre l’instauration d’une "prime à la naissance" pour les mères françaises. Rien de comparable avec la campagne menée par Steeve Briois et Marine Le Pen, aux accents clairement sociaux. Le premier insiste sur ses origines populaires : "J’ai grandi dans un milieu modeste, avec des valeurs de solidarité, de travail, d’amitié et de respect", dit-il dans un clip distribué sous forme de DVD dans toutes les boîtes aux lettres de la ville. Dans le même clip, la seconde enfonce le clou : "Peut-être ici plus qu’ailleurs on sent ce qu’on est en train de perdre. La chaleur humaine, l’empathie à l’écart de l’autre, la charité, l’intérêt que l’on porte à son voisin, l’absence de l’égoïsme qui est en train de ruiner la société française...". On croirait ces citations tout droit sorti de la bouche de Martine Aubry, d’Henri Emmanuelli ou de tout autre hiérarque du PS, voire de Jean-Luc Mélenchon. En revanche, on n’imagine mal Bruno Gollnisch, ou Le Pen père lui-même, tenir ce genre de discours.
De fait, la personnalité de Marine Le Pen paraît en phase avec ces changements. Jeune, elle n’appartient pas à ces générations qui ont façonné le Front National des années 80 et 90, cette alliance parfois improbable de nostalgiques du national-socialisme et du pétainisme, de vétérans des guerres coloniales, d’anciens de l’OAS, d’anti-gaullistes, de monarchistes et de catholiques traditionalistes, autant d’archaïsmes dont elle n’aura pas à assumer l’encombrant héritage. Femme, divorcée, résolument moderne -au moins en apparence- elle pourra peut-être faire sauter ce verrou qui a toujours privé le FN du vote des femmes.
Néanmoins, son caractère seul ne saurait suffire. Et elle ne pourra pas non plus se contenter de ravaler la façade du parti familial, comme on rénove un vieux manoir dont on vient d’hériter, pour le parer des atours de la respectabilité. Car elle est incontestablement plus modérée que son père. Jean-Yves Camus, que l’on ne peut guère soupçonner d’accointances fascisantes, le reconnaît lui-même ; sur des thèmes aussi variés que la Seconde Guerre Mondiale, l’Holocauste ou l’avortement, elle se montre plus moderne.
Mais un jour ou l’autre, elle devra se délester de quelques-unes des vieilleries idéologiques hélas toujours présentes dans le programme du FN, reliquats de vieilles obsessions intellectuellement peu rigoureuses, pour accoucher d’un programme rénové. Le FN, comme l’ancien Mouvement Social Italien (MSI) devenu Alliance Nationale, opérera alors sa mue pour occuper, en France, une place laissée vacante : celle de la droite sociale et souverainiste. Et peut-être la cadette de Jean-Marie Le Pen pourra-t-elle, face à un Sarkozy sans adversaire ni concurrent crédible, rêver de l’élection présidentielle de 2012.
Frédéric Alexandroff
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