Après l’éviction de M. PPDA : le journalisme à la sauce TF1
C’est à vous dégoûter d’être un bon serviteur ! Au moins la servante de Flaubert dans « Madame Bovary » se voyait-elle remettre une médaille aux comices agricoles pour ses « cinquante ans de servitude ». Voici 21 ans que M. Patrick Poivre d’Arvor officiait sur TF1 à la tête du premier journal populaire de France, réunissant entre 8 et 12 millions de téléspectateurs, loin devant ses concurrents.
Et il vient d’être congédié avec la « brutalité » qu’on réserve à un valet qui a cessé de plaire. « Aux vertus qu’on exige dans un domestique, demandait à son maître Figaro alors barbier à Séville, votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? »
Le présentateur dit avoir appris par les journaux son éviction du journal de 20 h. « Les dirigeants de la chaîne ne lui (auraient) donné aucune explication sérieuse ». Mais il a sa petite idée sur ce qu’il nomme « un licenciement déguisé ». Quelle faute grave, diantre, a-t- il bien pu commettre pour mériter d’être traité de la sorte ?
Des fautes lourdes non sanctionnées dans le passé
Aurait-il à nouveau bénéficié de largesses de la part d’un homme d’affaires recherchant ses faveurs à coups de voyages exotiques ou séjours de rêves, que la justice qualifie malheureusement de recel d’abus de biens sociaux, comme ça s’est vu dans le passé ? Nullement ! Et de toute façon, TF1 n’y avait pas vu à l’époque une raison suffisante pour douter de la déontologie de son présentateur vedette et le licencier. Tout juste avait-il été éloigné quelques semaines de son poste pour assurer sa défense, qui, c’est vrai, n’avait pas suffi à convaincre les juges.
A-t-il au contraire réédité le coup d’une interview truquée qui aurait échappé à la vigilance des téléspectateurs. On se souvient que le 16 décembre 1991, il avait fait croire qu’avec un collègue de la chaîne, ils avaient obtenu à eux tout seuls une interview exclusive de Fidel Castro. On voyait, en effet, les journalistes poser leurs questions et le chef de l’État cubain y répondre. Mais jamais aucun plan d’ensemble ne permettait de voir les interlocuteurs réunis dans le même plan : ils n’apparaissaient qu’en champ et contre-champ.
Le magazine Télérama avait levé le lièvre en proposant comme explication de cet étrange montage une mise hors-contexte qui avait soigneusement éliminé le décor de la conférence de presse à laquelle les deux loustics de TF1 avait participé avec des centaines d’autres journalistes.
Là encore, la direction n’avait trouvé rien, absolument rien qui justifiât une sanction, et surtout pas un blâme. La faute n’avait même pas d’abord été admise. Il s’agissait de ragots malveillants tout au plus venant de confrères jaloux du succès d’audience du présentateur.
Un crime de lèse-majesté ?
Lui qu’on a toujours vu si obséquieux avec les grands lors de ces interviews qui leur permettaient tant de se faire valoir, peut-il avoir déplu à l’un d’eux ? C’est impensable ! Eh bien ! Qu’on se détrompe ! Il ne faut pas croire. M. PPDA avait, selon lui, une réputation sulfureuse peu enviable auprès d’eux « J’ai eu droit au qualificatif d’insolence dans la bouche d’un certain nombre de présidents de la République, parfois en direct, parfois en off », a-t-il confié, selon le NouvelObs.com du 13 juin 2008, à l’occasion d’un pot à TF1, le 11 juin, pour fêter les vingt ans de ses émissions littéraires.
Et il serait revenu sur une interview du président de la République après la fameuse réunion du G8 en juin 2007 où, on s’en souvient, ce dernier était arrivé en retard mais guilleret à une conférence de presse après un entretien avec M. Poutine. Un présentateur belge qui s’est excusé par la suite, l’avait soupçonné de n’avoir pas bu que de l’eau, lui qui ne boit jamais d’alcool.
Et M. PPDA, en y faisant allusion, avait osé, au cours de l’interview, lui dire qu’il était apparu comme « très excité comme un petit garçon qui est en train de rentrer dans la cour des grands ». On imagine le sourire pincé du président qui l’avait remercié du compliment. M. PPDA avait eu beau se défendre de toute critique désobligeante, il s’était enfoncé en qualifiant cette fois de « fébrile » son interlocuteur qui avait apprécié le nouvel éloge comme il se doit. Or à en croire le présentateur éconduit, cette interview n’aurait pas été digérée et motiverait son éviction.
Ainsi, le journalisme à la sauce TF1 s’accommode très bien de la conversion d’une conférence de presse publique en interview exclusive ou de relations étroites avec un homme d’affaires susceptibles de jeter le soupçon sur l’apparence d’indépendance d’un journaliste. Mais, sous réserve que l’explication de M. PPDA soit la bonne, sa déontologie ne saurait souffrir d’écart dans la déférence due au prince. Et dire qu’un tel journalisme draine depuis tant d’années de 8 à 12 millions de téléspectateurs chaque soir !
Paul Villach
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