« Ce que je sais de plus sûr sur la moralité et les obligations des hommes, c’est au football que je le dois » disait en substance Albert Camus, grand passionné de ce sport éminemment populaire. Le poète contemporain pourrait lui répondre « Homme aliéné, toujours tu chériras le foot, tu y contemples toutes tes bassesses » paraphrasant ainsi le poète du Spleen.
Mercredi soir, le Spleen s’est abattu sur l’Irlande, d’aucuns diront la « valeureuse équipe » d’Irlande qui jusqu’à la 103ème minute pensait avoir fait le plus difficile, revenir au score. Elle songeait sans doute à porter l’estocade à une équipe de France en déroute, privée de projet de jeu, et qui, une nouvelle fois s’en remettait à la classe de certaines de ses individualités, Anelka et Llroris, les seuls à surnager dans le désastre en cours, presque inéluctable.
La classe, mais aussi le vice, la roublardise, l’expérience, tout ce qui se situe aux frontières des règles du jeu et si souvent au delà…
Mais la seule règle qui vaille, ici comme ailleurs tient dans les quelques mots tatoués sur le bras du Légionnaire de l’Ami Gainsbourg « Pas vu, pas pris ». Ici comme ailleurs, à la bourse comme dans l’entreprise. Et encore, le football professionnel compte-t-il quatre arbitres et des centaines de caméras pour scruter le comportement de vingt deux acteurs. Voilà bien un ratio de contrôle et de surveillance à faire rougir de jalousie tous les inspecteurs que compte notre société faussement policée, qu’ils soient de police, des impôts ou du travail et j’en passe.
Alors cessons de pousser une nouvelle fois des cris d’orfraie comme si le sport de haut niveau, le sport de compétition devait échapper à ce qu’il symbolise, à ce qui le constitue intrinsèquement, miroir d’une société libérale où seule la victoire, seul le profit sont beaux. Peu importe la manière, peu importe les conséquences. Qui pense encore sérieusement, après la dernière crise, un rappel parmi tant d’autres, que le libre jeu de la concurrence, que la compétition élit toujours et systématiquement le meilleur, le plus honnête, le plus méritant ?
Une chose est sûre, Thierry Henry s’est d’une certaine façon sacrifié pour le bien de l’équipe. La petite histoire des grands évènements retiendra en effet cette main que d’aucuns qualifient déjà de « main du diable ». Un main d’ores et déjà inscrite dans sa postérité, dans sa « légende ».
Ni diable, ni Dieu, tout le monde n’est pas Maradona. Juste la main de l’homme, de l’homme qui a qualifié la France et éliminé une Irlande qui n’oubliera pas.
En revanche, qui se souviendra de l’attitude de Thierry Henry à la fin du match ? Il fût le seul à ne pas exulter, à s’asseoir à côté des irlandais défaits et qu’il sait avoir floué d’une qualification plus que méritée à la vue de ce match. A presque s’excuser sur le terrain de ce geste qui, c’est presque sûr, l’a dépassé. Qui le saura jamais ? Peut-être pas même Henry qui tente maladroitement de se justifier…
Où l’on retrouve le poète : « Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ; ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes, tant vous êtes jaloux de garder vos secrets. »