Après nous, le déluge ?
Le monde a longtemps vécu sous la menace de l’apocalypse nucléaire mais le risque d’un embrasement planétaire avec possible disparition de toute l’humanité, belligérants et non belligérants confondus a conduit à l’équilibre de la terreur et à la Guerre froide.
Aujourd’hui, c’est plutôt sous la menace du déluge à la suite de la recherche du toujours plus de biens matériels, mirage rendu possible par le développement des nouveautés techniques et scientifiques.
Dans les deux cas, par la folie des hommes.
Cette course infinie n’évolue pas comme il avait été annoncé vers l’épuisement des ressources, plus ou moins repoussé par la découverte de nouveaux gisements ou moyens d’exploitation. Mais le rejet dans la terre, dans l’eau, dans l’air de produits les rendent dangereux, impropres à la consommation et facteur de dérèglement climatique avec des conséquences catastrophiques...
Les climato-sceptiques sont de plus en plus rares même si le poids de Donald Trump n’est pas négligeable. S’ils pensent que le réchauffement climatique n’est pas dû exclusivement à l’activité humaine, ils devraient admettre qu’il n’est pas utile qu’elle y contribue…
Au niveau international, l’influence importante des activités humaines sur l’avenir de la planète est reconnue maintenant depuis de nombreuses années. A la demande du G7, sous la pression de Ronald Reagan et Margaret Thatcher, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) a été créé en 1988, pour contrer une agence de l’ONU, trop favorable à l’écologie.
Depuis, le Giec ne cesse de lancer des avertissements. Le premier rapport (1990) signalait que depuis 1900, la rempérature avait augmenté d'environ 0,5°C. Dans le troisième (2001), ilk prévoyait une augmentation entre 1,4 et 5,8°C entre 1990 et 2100 et signalait que le rythme du réchauffement était sans précédent depuis les dix derniers milléniares. Le cinquième (2014) affirmait qu'il était possible de limiter l'élévation de température à 2 °C de plus qu’avant la révolution industrielle si les émissions de gaz à effet de serre étaient réduites de 40 à 70 % entre 2010 et 2050. Et aussi que la seule utilisation des réserves de combustibles fossiles disponibles entraînerait un réchauffements de 4 à 5 °C en 2100…
Le plus dangereux n’apparaît pas l’épuisement des réserves mais la découverte de nouvelles qui pourraient conduire à leur exploitation et à un réchauffement planétaire... de 7 ou 8 °C au siècle suivant (1)
Ces rapports ont servi de base à des rencontres internationales où les résolutions sont adoptées par des États de plus en plus nombreux. Mais sans grandes conséquences pratiques pour le moment.
Il n’est pas possible, cependant, d’affirmer que rien n’a changé. La question, avec l’aide de grandes organisations écologiques, plus que de partis écologiques qui n’ont même pas su profiter de la vague, est entrée dans le débat public.
La Conférence de Paris, malgré ses insuffisances, est un événement majeur : pour la première fois, l’ensemble des États de la planète est d’accord sur le diagnostic. Le texte signé fixe un but chiffré, même s’il est insuffisant et surtout insuffisamment financé, même si, 2 ans après, les engagements des signataires ne sont pas à la hauteur de la situation.
Même si la COP23 a eu lieu en l’absence d’un des États les plus pollueurs de la planète au moment où 15 364 scientifiques de 184 pays, biologistes, physiciens, astronomes, chimistes, agronomes... ont lancé un cri d’alarme… sur l’état de la planète, un avertissement à l'humanité (2).
Désormais, les scientifiques savent et font savoir ce qu’ils savent, notamment les risques de basculement vers l’irréversible. Les gouvernements savent. Les politiques savent. La population sait. Tout le monde sait.
Nous savons tous. Nous continuons à nous comporter comme si nous ne croyions pas à ce que nous savons. Parfois, à ce que nous disons ! Les puissances agissent plus en fonction de leur intérêt à court terme qu’en fonction du maintien de la vie, de l’humanité dans le temps qui vient.
Pourtant, une partie de la population subit, déjà, les conséquences du dérèglement climatique : catastrophes, dites, naturelles mais dont les données du bureau des Nations unies pour la réduction des risques montrent qu’en 2014, 87% avaient un lien avec le réchauffement de la planète (3).
Les déplacés sont de plus en plus nombreux, contraints de fuir leur terre par suite de l’intensité des catastrophes naturelles extrêmes (4). Dans son premier rapport sur les déracinés par le changement climatique, Oxfam les estime à 23,5 millions en 2016 : total ne tenant pas compte des catastrophes lentes et peu spectaculaires, sécheresses ou montée du niveau de la mer. (5). En 2014, 87 % des réfugiés climatiques étaient asiatiques.
La pollution est responsable de 5,5 millions de décès prématurés dans le monde chaque année, la moitié en Chine et en Inde (6).
La COP23 était présidée par la République des Fidji, ce qui témoigne de l’inquiétude de nombreuses îles du Pacifique menacées de disparition par la montée des eaux : 9,2 millions de personnes dans 22 États insulaires. Certaines pourraient disparaître dans les trente prochaines années.
Des juristes prennent la question au sérieux. Ils se demandent que vont devenir les États insulaires qui vont être submergés alors que, selon le droit international, la souveraineté territoriale et les bénéfices qui en découlent supposent une étendue naturelle de terre entourée d'eau qui reste découverte à marée haute. (7).
Les populations ont déjà commencé à émigrer (57 % des Samoans et 46 % des Tongiens vivent à l’étranger).
Pour empêcher les catastrophes de demain ou diminuer leur gravité, la COP21 a admis qu’il fallait limiter le réchauffement de la planète à 2 degrés maximum et, si possible, à 1,5 d’ici à 2100. La COP23 a reconnu comme insuffisants les engagements actuels des États et que le réchauffement serait plus probablement de 3 degrés ou plus (8).
En France, selon un rapport de l’Ademe, il est possible de produire 100 % de l’électricité avec des énergies renouvelables en 2050 : éolien 63 %, solaire 17 %, hydraulique 13 %, thermique 7 %. Ce qui ne coûterait pas plus cher que de maintenir 50 % de nucléaire, comme prévu.
Mais ce rapport a disparu (9). Et pour le moment, la France prend du retard sur ses engagements.
Devant la faiblesse des politiques, les intérêts immédiats des financiers, une mobilisation populaire internationale est nécessaire pour pousser à la prise de décisions efficaces.
Au delà de l’hexagone, les banques françaises jouent un grand rôle dans les investissements financiers dans des projets miniers très importants. Alors qu’elles développent une rhétorique de lutte contre le changement climatique, les banques françaises ont augmenté de 218 % leur financement dans le secteur du charbon entre 2005 et 2013. Sur cette période, la France est le quatrième pays qui a le plus financé le secteur, derrière la Chine, les États-Unis et le Royaume-Uni.
Mais il est possible de faire pression sur ces banques qui sont sensibles à leur image : BNP Paribas, Crédit agricole et Société générale se sont engagées à ne plus financer les projets miniers pharaoniques dans le bassin de Galilée, près de la côte orientale de l’Australie où se dresse la Grande Barrière de corail. (10).
A l’initiative d’Emmanuel Macron, après le retrait des États-Unis de l’accord de Paris, le One Planet Summit se tiendra à la Seine Musicale, en décembre. Il accueillera 2000 personnes dont une centaine de chefs d’État ou de gouvernement. Ce sommet est organisé avec l'ONU, l'OCDE, l'Union européenne, la Convention mondiale des maires, les réseau de villes C40, les ONG du Climate Action Network, des entreprises, sur la recherche de financements pour accélérer la lutte contre le réchauffement climatique (11).
Survenant un mois après la COP23 sera-t-il plus efficace que celle-ci ?
En attendant, les émissions de gaz carbonique vont augmenter de 2 % en 2017, alors qu’elles étaient stables depuis 2014, selon une étude du consortium international de scientifiques, le Global Carbon Project. Rester en dessous de 2 °C de réchauffement d’ici à 2100 semble inaccessible. Sans une baisse très rapide des émissions carbonées, le réchauffement de 1,5 °C sera atteint dans dix ans, de 2 °C dans quelques décennies et de 3 ou 4 °C d’ici à la fin du siècle (12).
Une vingtaine de pays, à l'initiative du Canada et du Royaume-Uni, dont la France, le Costa Rica, les îles Fidji, le Danemark, les Pays-Bas, la Finlande, l'Italie et la Nouvelle Zélande, ont annoncé, lors de la COP23, leur volonté de fermer les centrales au charbon au plus tard en 2030.
La notion de croissance est, de plus en plus, à interroger. Mais les États-Unis depuis 2005 ont réduit de 11,5% les émissions de dioxyde de carbone en affichant une hausse de la richesse nationale de 15%, selon la représentante américaine à la COP23. En 2017, après cinq années de baisse, les émissions de dioxyde de carbone liée au charbon devraient augmenter légèrement par suite de l’évolution des prix et de la volonté de Donald Trump de relancer cette énergie (13).
Les événements climatiques sont d’autant plus catastrophiques qu’ils font des dégâts matériels et humains. Ces catastrophes touchent surtout les populations les plus faibles : les pays les plus pauvres, les moins bien équipés ou organisés et, dans les pays riches, les populations les plus pauvres.
Au niveau mondial, les 10 % les plus riches sont la source de 50 % des émissions de gaz à effet de serre, tandis que les 50 % les plus pauvres y contribuent pour 10 %. A l’échelle d’un pays comme l’Inde, la moitié des émissions liées à la production électrique est le fait de moins de 15 % de la population, tandis que près d’un tiers des Indiens est privé d’accès au réseau. (14).
Au total, les pays riches polluent plus, par habitant, que les pays pauvres. Dans les pays riches et dans les pays pauvres, les personnes riches polluent plus que les personnes pauvres. Et ce sont ces personnes qui tiennent le pouvoir de décision. Tandis que, avant de toucher tout le monde, les catastrophes climatiques touchent en priorité les pauvres et les pays pauvres.
Ce sont ceux qui détiennent les pouvoirs qui sont les plus dangereux pour l’avenir. C’est dire la difficulté pour prendre des décisions qui mettent en question l’organisation financière, économique, sociale et politique. Et encore plus pour les appliquer.
Tout le monde sait.
L’année 2016 a été la plus chaude depuis les premiers enregistrements à la fin du 19ème siècle. Les déplacés climatiques se chiffrent par millions.
Si un changement de cap n’est pas pris rapidement, après nous le déluge risque de n’être pas une métaphore !
2 - Le Monde 13/11/17
3 - Libération 16/03/15
4 - Le Monde 02/11/17
6 - Le Figaro 12/02/16
7 - Foreign affairs 04/09/15, cité par Courrier international 17/12 06/01/16
8 - Le Monde 31/10/17
9 - Mediapart 08/04/15
10 - Le Monde.fr 08/04/15
11 - La Tribune 07/11/17
12 - Mediapart 14/11/17
13 - Le Figaro 16/11/17
14 - Alternatives économiques 16/11/2017
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