Après Sakineh, sauvons Asia Bibi !
Nous réjouir outre mesure de cette victoire, sur le plan des droits de l’homme, s’avérerait cependant, aussi noble et juste soit cette cause, quelque peu déplacé, voire indécent. Car, par-delà cet individuel et tragique cas de Sakineh, subsistent bien d’autres femmes menacées, dans les pays islamiques, d’une tout aussi dramatique et barbare exécution.
Parmi celles-ci figure depuis plus un an, recluse dans une prison de la province du Punjab, Asia Bibi, une chrétienne pakistanaise, âgée de 37 ans et mère de cinq enfants, qui vient de se voir condamnée, il y a quelques jours, à la peine capitale, par un jugement du tribunal de Sheikhupura, pour une encore plus absurde et obscurantiste accusation de blasphème : avoir osé relativiser, en public, les actions de Mahomet en comparaison du sacrifice de Jésus.
Le châtiment d’Asia Bibi, donc, pour cette seule liberté de pensée comme de parole, par-delà même sa profession de foi, par ailleurs tout aussi respectable que tout autre conviction religieuse ? La pendaison, purement et simplement !
C’est dire si, face à cette abomination que représente toute forme de persécution, comme en Irak très récemment, nous avons toutes les raisons de nous indigner, en la dénonçant le plus fermement du monde, contre cette sentence particulièrement abjecte, révoltante et rétrograde.
Et pourtant : rares sont les intellectuels, laïcs ou non qu’ils soient, à s’élever pour défendre aujourd’hui, comme ils l’ont fait très justement à l’égard de Sakineh, la tout aussi pauvre Asia Bibi, nouvelle martyre de l’intégrisme islamiste et autres fous d’Allah !
Alors quoi, au bout de la triste morale de cette encore plus sordide histoire ? Une nouvelle indignation sélective, effet aussi néfaste qu’irrationnel d’un inacceptable et surtout hypocrite « deux poids, deux mesures », de la part de nos piètres penseurs en col blanc ? Un énième conformisme médiatique, doublé du plus injustifiable des manichéismes politico-religieux face à un Pakistan dont on sait qu’il est, contrairement à l’Iran, un des alliés les plus incontournables, en cette sanguinaire partie du monde, des Etats-Unis d’Amérique, autre nation incompréhensiblement partisane de la peine capitale, et, plus généralement, de l’Occident ?
Pis : les principaux pays (France, Grande-Bretagne, Italie, Allemagne, Espagne…) de l’Union Européenne, dont la liberté philosophico-religieuse tout autant que les droits de l’homme représentent deux de leurs valeurs morales les plus inaliénables, toléreront-ils ainsi, par un silence lâchement complice, des comportements censés justifier a priori, au Pakistan comme en Afghanistan ou en Irak, leur propre combat, avec leurs armées occupant le terrain, contre les Talibans et autres terroristes d’Al Qaida ?
On n’ose certes l’imaginer, sinon au prix d’un inconcevable déni de nos principes mêmes, si ce n’est de notre esprit en ce qu’il a de plus universellement imprescriptible : ce que notre civilisation éprise du beau nom de « démocratie » qualifie de l’encore plus insigne nom de « tolérance » !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
* Philosophe, auteur de l’ essai « Critique de la déraison pure - La faillite intellectuelle des ‘ nouveaux philosophes’ et de leurs épigones » (Bourin Editeur) et promoteur de la « lettre ouverte aux autorités politico-religieuses de la République islamique d’ Iran » en défense de Sakineh (pétition publiée dans les principaux journaux d’Europe et signée par 150.000 personnes, dont les plus grands noms de l’ intelligentsia française et 7 prix Nobel).
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