Arabes, Turquie et repositionnement stratégique
On a eu vent récemment de l’existence de contacts diplomatiques ou de renseignements entre l’Égypte et la Turquie, ce qui met en évidence un nombre de choses, indépendamment des limites et des objectifs de ces contacts (du côté turc, bien sûr).
Au premier rang de ces choses il y a le parti qui pousse à la solution des choses et qui fait bouger les choses. Celui-ci, qui est à l’origine du trouble dans les relations entre les deux puissances régionales, est la partie turque.
La Turquie a découvert tardivement que le risque de perdre les relations entre les nations pour satisfaire les « Frères » n’était pas dans son intérêt, elle qui s’est enfermée dans un cocon régional et international pesant.
Elle ne peut plus manœuvrer et réaliser ses intérêts commerciaux et économiques dans cet environnement hostile de sa propre création. Les erreurs de la politique turque se reflètent dans les niveaux de son commerce et de ses intérêts économiques importants avec les pays arabes.
Je suis convaincu que la quête de repositionnement régional de la Turquie vise principalement à sortir du cocon où elle s’est retrouvée à cause de ses interventions militaires injustifiées qui dépassent ses capacités et limites de puissance globale. C’est une façon d’atteindre cet objectif en cherchant à remédier aux dissensions qui ont affecté ses relations arabes, à travers l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
Les réserves du Caire concernant le comportement de la Turquie et ses alliances avec l’organisation terroriste des Frères musulmans sont les mêmes que celles que d’autres pays de la région, notamment l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Les démarches de la Turquie pour nuire aux intérêts de trois États arabes n’ont atteint aucun de leurs objectifs.
La vérité est que dans sa carrière politique, le président Recep Tayyip Erdogan est connu pour abandonner ses alliés et ses amis politiques et partisans. Cela suffit pour que ses plus proches alliés et compagnons soient devenus ses pires ennemis sur la scène politique et partisane (principalement Abdullah Gul et Davutoglu, ses cofondateurs du Parti de la justice et du développement).
C’est une manifestation authentique de son orientation, dans laquelle ses défenseurs voient une sorte de pragmatisme. Ses détracteurs y voient l’expression authentique d’un opportunisme politique. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas tant la classification du comportement qui nous intéresse que son contenu et ses implications.
En fin de compte, la politique ne se résume pas à des noms, mais à une longue recherche des intérêts et par-delà les comportements. Certes, l’ordre mondial actuel et la géopolitique dans sa forme courante ne reconnaissent plus le modèle des alliances stratégiques traditionnelles. De nouveaux modèles d’alliances tactiques évolutives sont apparus.
Celles-ci peuvent réunir des antagonistes en fonction des dossiers et des intérêts stratégiques qui rapprochent les États. On peut ainsi voir une alliance entre deux États dans un dossier, un antagonisme entre ces mêmes États dans un autre dossier, et ainsi de suite. Des exemples tels que les relations très complexes entre la Turquie, l’Iran et la Russie peuvent être cités.
On trouve de l’entente dans des dossiers comme la Syrie et de profondes différences dans d’autres dossiers comme l’Irak pour les relations turco-iraniennes, et la Libye pour les relations turco-russes. Il est vrai que la Turquie d’Erdoğan a découvert tardivement que sa loyauté envers les « Frères » est devenue un lourd fardeau pour elle.
Le pari de l’utiliser comme un pion pour chercher des noises à certaines capitales arabes influentes ne paie plus. Les pertes d’Ankara sont devenues lourdes et inacceptables pour le peuple turc. Ce dernier s’est progressivement désintéressé de la politique d’Erdogan.
La cause en est le déclin des performances économiques internes et les politiques qui ont plongé le pays dans les conflits externes et l’isolement qui ont miné la réputation que la Turquie s’est faite dans les sociétés arabes au cours des deux dernières décennies, surtout au niveau culturel.
Moi, je ne crois pas à l’inertie politique. La politique est synonyme de dynamisme, de manœuvres et de capacité à atteindre et à garantir les intérêts des États à travers diverses portes. Je ne suis pas tenté de sous-estimer ce que l’on appelle le flirt turc avec l’Égypte, l’Arabie Saoudite ou les Émirats arabes unis. L’important, ce n’est pas ce que l’on dit, mais ce que l’on fait.
L’important est que la Turquie s’efforce de rompre les causes de son isolement régional, de créer les bonnes conditions et d’éliminer les pommes de discorde en vue d’ouvrir une nouvelle page dans les relations arabo-turques. C’est l’épreuve décisive pour M. Erdogan, et non les déclarations, quoique ces dernières soient importantes pour un bon climat.
La politique étrangère turque peut ou non avoir subi quelques révisions. Certains observateurs sont convaincus qu’il y a des démarches pour revenir à la politique du « zéro problème » de Davutoglu. Cette politique a été le moteur de la montée en puissance économique de la Turquie au sein du G20.
De même, les signaux turcs exprimant le désir de restaurer les relations avec les États arabes peuvent ou non traduire une orientation stratégique ou constituer un changement tactique temporaire. Dans tous les cas, pour savoir ce qui se cache derrière tout cela, il faut savoir dans quelle mesure les politiques turques ont réellement changé et si ce changement est durable.
En effet, les intérêts stratégiques de la Turquie, notamment en ce qui concerne le gaz de la Méditerranée orientale, et la détérioration des relations avec les pays arabes sont devenus des arguments de poids pour l’opposition contre l’AKP et le président Erdogan.
Le président a compris que la marge de manœuvre de la Turquie était limitée face aux puissances régionales arabes qui, pensait-il, pouvaient être facilement pressées et influencées pour atteindre les objectifs et les orientations de son parti et non les intérêts de l’État turc.
En fin de compte, il faut dire que la politique dans sa globalité ne connaît pas la constance. La seule constante est le changement. Ce sont les intérêts des nations qui priment. Il n’y a rien de surprenant dans les signaux qui reflètent les changements de politique d’un pays, qu’il s’agisse de la Turquie ou d’autres pays, dans leurs relations avec le monde arabe.
Ce qui compte le plus, c’est la mesure dans laquelle ce changement concorde avec les objectifs et les intérêts des pays et des peuples arabes, et s’il s’agit d’une réelle transformation de la pensée et de l’approche politiques d’Erdogan et de ses compagnons.
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