Archives du Vatican. PIE XII « pape d’Hitler », rempart anticommuniste ou tête de turc de l’antichristianisme ?
Pour le 81e anniversaire de l’élection de PIE XII (2/03/20), le Vatican a sorti ses archives du purgatoire. 150 historiens se sont bousculés au portillon pour éplucher les millions de documents de la période papale 1939-1958.
Que cherchent-ils ? Les uns des traces d’antisémitisme de PIE XII, d’autres le contraire.
En réponse à l’opprobre politico-religieux répandu par une saga mettant en cause PIE XII et donc l’Eglise catholique, le Pape François a déclaré “L’Eglise n’a pas peur de l’Histoire” et rouvert ses archives après l’initiative infructueuse de Jean-Paul II en 2000 avec sa commission paritaire (trois catholiques et trois juifs), illustration de sa vaine intention de réconciliation. L’échec aurait été imputable à « …certains membres juifs de la commission (accusés) de fuites déformées et tendancieuses. Les nouvelles diffusées ces jours-ci sont dénuées de tout fondement et ont clairement un but de propagande au détriment du Saint-Siège », d’après son responsable, le jésuite allemand Peter Gumpel.
Si certains s’étonneront de la magnanimité papale qui accepte d’entendre les gloses de certains non catholiques lors d’un processus de béatification, d’autres y trouveront une légitimité comme le président du CRIF Richard Prasquier estimant « puisque nous sommes les « frères aînés », pourquoi ne pas nous exprimer sur des affaires de famille ? » Sa déclaration s’inscrit dans un mouvement plus ancien ; « …depuis longtemps, la communauté juive presse Benoît XVI et le Vatican de surseoir à cette béatification de Pie XII, dont le pontificat fut entaché par la passivité et les silences du Vatican face à la Shoah… »
Des déclarations en rupture avec la multitude d’éloges de personnalités juives d’après-guerre dont Golda Meir, Ben Gourion, Einstein… et Pinhas Lapid consul d'Israël à Milan pendant la guerre qui déclarera en 1963 : « Je comprends très mal que l’on s’en prenne aujourd’hui à Pie XII tandis que pendant de nombreuses années, on s’est plu ici (en Israël) à lui rendre hommage. Je peux affirmer que le pape personnellement, le Saint Siège et les nonces ont sauvé de 150 000 à 400 000 juifs », un sentiment antichrétien, interprétation des non-dits de PIE XII, se diffusera néanmoins un peu partout à partir de spectacles.
Au départ une pièce de théâtre de Rolf Hochhuth « Le vicaire » (1), scandale mondial lors des premières représentations, désigne PIE XII coupable d’un silence suspect lors des persécutions allemandes envers les juifs. (Transfuge de la police secrète roumaine, le général Ion Mihai Pacepa aurait révélé à la CIA l’implication du KGB dans la promotion de la pièce.)
Avec « Amen » réalisé d’après cette pièce, Costa-Gavras donnera un immense retentissement à cette opinion. Comme avec son film « Hanna K » qui inspirera des générations de défenseurs de la cause palestinienne, avec « Amen » un titre hébreu traduisible par « en vérité », il propagera une culpabilité de Pie XII.
Les amitiés négationnistes de l’auteur de la pièce, n’empêcheront pas des personnalités aux origines proches des victimes du nazisme à priori radicalement opposées, de monter le film ; producteur Berrrel Langman (Claude Berri) d’une famille juive ashkénaze polonaise, Jean-Claude Grumberg coscénariste, père déporté à Auschwitz, Matthieu Kassovitz fils d’un juif qui a fui le ghetto de Budapest… Avec « Amen » ils ressusciteront la polémique théâtrale sectaire des accusateurs de Pie XII reléguant au troisième plan le sort des autres victimes.
Honnête, Costa-Gavras avouera l’avoir réalisé sans historien « … Avec mes lectures, j’ai construit ma propre interprétation. Et puis, le cinéma c’est, d’abord, quand même, un spectacle ? » En l’occurrence une œuvre de malfaisance efficace.
- Affiche du film
L’origine des différents est assez éloignée des freins à la béatification de Pie XII ; provenant des antagonismes « chrétien-juif » ancien, « protestant-catholique » et « protestant-juif » de l’histoire allemande, s’y est ajouté le dernier « bolchévique-catholique ».
Pie XII, tel un stylite réfugié au sommet de sa colonne au carrefour des voies antiques, s’est trouvé face à ces oppositions rendues convergentes par la conjoncture nazie.
Qui sont les instigateurs de la controverse de ces dernières décennies qui ont en commun la volonté de rendre coupable le silence du catholique PIE XII et pourquoi ? Le terreau historique apporte son lot d’explications.
Des protestants un peu jésuites ont parlé d’un « fameux silence ». Une façon de marquer une possible réprobation ou, selon, de s’éloigner des éclaboussures dont ils n’ont pas besoin. Le silence des protestants allemands majoritaires de l’après-guerre cache aussi une proximité avec le pouvoir de l’Eglise du IIIe Reich des « chrétiens allemands » (nationalistes luthériens).
L’histoire des territoires allemands est pavée de conflits religieux. Dès le XIIIe/XVe siècle, les chevaliers Teutoniques croisés catholiques, imposeront les conversions et l’esclavage à la Prusse des peuples baltes qu’ils marqueront. Plus tard avec Luther (…un seul moine erre en son opinion, laquelle est contre toute la chrétienté (catholique alors) », le nord de l’Allemagne deviendra protestant en quasi-totalité au début du XXe s. En 1866, les prussiens protestants vaincront les catholiques autrichiens et envisageront de se déclarer « Etat chrétien » (protestant) en 1870. La gauche libérale majoritairement protestante et les juifs s’allieront face au gouvernement de l’Empire. A la fin du XIXe s. les protestants libérés des chaînes catholiques de Charles Quint depuis longtemps, intégraient la gouvernance de l’Etat. Avec son Kulturkampf, Bismarck tentera une mainmise de l’Etat sur l’Eglise catholique, que réussira la loi française de 1905. En 1915, des pasteurs protestants célébrant le 100e anniversaire de Bismarck le jugeront digne descendant de Luther. Les violentes orientations anti-juives de Luther (2) ne seront condamnées par les protestants qu’en 1998. Rolf Hochhuth, embrigadé par les Jeunesses hitlériennes était protestant.
Les catholiques du sud (Pie XII était bavarois) s’opposeront aux dirigeants protestants et seront parmi les premiers à rejoindre les camps de concentration.
Des rabbins expriment des divergences selon leur courant judaïque d’appartenance, leur connaissance des événements, voire un antichristianisme ancien(2).
Le grand-rabbin de Rome Riccardo Di Segni (03/2020) contredisant Serge Klarsfeld (*), parle de « … ces ‘révélations’ (qui) risquent de se retourner contre ceux qui veulent blanchir [Pie XII] à tout prix. Il est clair qu’il n’y a eu aucune volonté d’arrêter le train du 16 octobre [1943, qui déporta plus de 1 023 Juifs du ghetto de Rome vers Auschwitz] et que le Vatican ne venait en aide qu’aux [personnes d’origine juive] baptisés. »
Le journaliste américain John Conrwell rapprochera dans son livre « Le Pape et Hitler ». Inspira-t-il l’historienne journaliste Annie Lacroix-Riz qui considérait (Le Monde Diplomatique 11/99) que Cornwell « ne mérite pas l’indignité dont l’a accablée la France catholique. La production historique ( ??) a établi depuis plus de trente ans, hors de France surtout, que Pie XII fut « le pape de Hitler »… est-il scandaleux d’être choqué par le projet de béatification d’un des papes les plus antisémites, germanophiles et intégristes du siècle ? » Elle ne dénoncera pas les autres.
Au CRIF, « Il semble… » à son président Richard Prasquier que « La vérité est que l’extermination des Juifs n’était dans l’univers mental du Pape qu’un événement déplorable, mais secondaire…. »
D’autres plus nombreux et plus discrets contestent le procès d’intention fait à PIE XII.
Le rabbin américain David G. Dalin réhabilite PIE XII qu’il qualifie de « Juste parmi les Nations ». Il exprime la volonté de son courant judaïque Massorti qui encourage les « … rapports de convivialité et de solidarité avec les Non-Juifs »
Quel objectif poursuivait la polémique ? Creuser davantage le sillon de l’impossible judéo-christianisme (2) entretenu par les communautés depuis 2000 ans ?
Au fil des siècles l’enseignement talmudique des rabbins a pris soin de conserver les communautés juives à l’écart de celles dominantes de leurs pays d’accueil en conservant un mode de vie communautaire excluant les non-juifs (2). Ce faisant les religions dominantes restaient peu influentes sur l’enseignement et la foi des juifs. Depuis le « décret infâme » de Napoléon et l’intégration des juifs dans la République (3) des courants fissurent le judaïsme ancien avec les juifs messianiques qui remettent aussi en cause l’enseignement rabbinique et reconnaissent en Jésus le messie.
Sensible à ces transformations, Benoît XVI écrira le renoncement des catholiques à l’effort de conversion des juifs. En 2015, le rabbin Rosen (American Jewish Committee) obtiendra les bonnes grâces du Vatican qui déclarera un salut possible pour les juifs même hors du christianisme.
Les conversions des juifs continuent néanmoins et provoquent de violentes réactions. La permanence de l’antichristianisme de certains juifs est toujours une réalité.
Quel lien ces rappels ont-ils avec Pie XII ? L’épisode qui suit et sa conclusion pourraient nous instruire.
Proche de PIE XII, témoin de son implication dans le sauvetage des juifs pendant l’occupation allemande et après une vision du Christ dans la grande synagogue de Rome le jour de Yom kippour, le grand-rabbin de Rome Israël Zoller et sa femme se convertiront au christianisme. Prenant le prénom de PIE XII pour son baptême, il s’appellera dorénavant Eugenio Pio Zolli. Un livre lui sera consacré il révulsera certains juifs dont Sergio Minerbi ancien ambassadeur d’Israël à Bruxelles. Il voulait taire cette éloquente conversion qui allait à l’encontre des accusations contre PIE XII et dira ; « Ressusciter Zolli, c’est montrer aux juifs la voie directe de la conversion ».
Ce commentaire n’est pas anodin, il révèle la crainte toujours vive de la disparition du judaïsme avec la conversion qui s’ajoute à « …l’extinction en cours en Europe… » du judaïsme expliquée par Josy Eisenberg lors du colloque parisien "Quel judaïsme pour demain" avec Jacques Attali et le rabbin de Jérusalem Adin Steinstalz.
Abandonner le judaïsme reste inacceptable. Richard Prasquier dédaignera Israël Zoller avec l’explication de sa conversion « …liée en fait à son rejet, pour cause de lâcheté, par sa communauté après la guerre. » Une manifestation du herem, le bannissement destiné aux juifs apostats comme Spinoza. BH Lévy « …foudroyé » par la conversion au catholicisme de sa sœur Véronique pour qui c’est « l’accomplissement absolu d’un juif » exprimera ce traumatisme.
Hors ces considérations religieuses.
Des juifs enquêteront pour fonder leur avis malgré un a priori peu amène envers PIE XII, parmi eux l’américain Gary Krupp président de la fondation « Pave the way » à New York qui a présenté les résultats de sept années d’enquêtes en France et à la Yeshiva University de New York où il sera entendu. Noah Greenfield dira « … Pie XII fut un exemple lumineux d’humanité, de foi et de courage. »
Ailleurs, Gary Krupp sera souvent critiqué par ses coreligionnaires. La reconnaissance de PIE XII sauveur de juifs est contraire au sentiment diffus généralisé qui repose sur son silence.
- Gary Krupp au Vatican
Participant à cette conférence, Serge Klarsfeld apportait sa contribution morale et les arguments d’un avocat au dossier. Il s’est attaché à démontrer l’impossibilité des individus et des gouvernements à s’opposer pendant un temps à la domination hitlérienne. Il a décortiqué les processus d’arrestation et exposé une solide analyse chronologique des causes (semblable à celle discutée d’E. Zemmour à propos de Pétain et des juifs) ; « …ni la Croix-Rouge, ni la Suisse ni le Pape ne pouvait faire plus pour les juifs… on n'a entendu ni Churchill, ni Roosevelt, ni de Gaulle parler des juifs après la rafle du vel’ d'hiv… » Avant de conclure (*) « …Il est certain que l'histoire rendra justice à Pie XII ». Il utilisera la note explicite de Goebbels désignant « …Pie XII ennemi du nazisme » pour démentir une complicité du Vatican avec l’Allemagne.
Costa-Gavras soulignera un autre aspect de l’affaire, le rempart que constituait l’armée allemande face à la menace de l’athéisme bolchévique pour l’Eglise aussi à la même époque. Il dira « pour Pie XII, Hitler n’était pas un ennemi à détruire, ce que pensaient Churchill et de Gaulle… ».
Le Vatican était à la croisée de plusieurs antagonismes.
Alors qu’une grande partie des archives a déjà été divulguée (10 volumes d’archives avaient déjà été publiées -Actes et documents du Saint-Siège- dans les années 70), il est peu probable qu’à l’issue de ces dernières investigations vaticanes on entendra les mea-culpa des accusateurs,
Leurs confessions est pourtant attendue, la béatification attend.
Ceux qui voudront participer à cette épopée vaticane pourront consulter la mise en ligne des archives. Douze volumes de 800 pages.
- Le gouvernement allemand et plus tard Helmut Kohl s’excuseront auprès du Vatican. La pièce interdite dans plusieurs pays, disparaîtra jusqu’en 2006 lorsqu’au Berliner Ensemble, on rejouera « Le vicaire ». Ce théâtre résulte du rachat par Rolf Hochhuth aux ayants droit de l’ancien propriétaire juif le terrain du fameux théâtre.
- La civilisation, l’éducation ou la morale judéo-chrétienne de pieux poncifs… (1/3)
- La civilisation, l’éducation ou la morale judéo-chrétienne de pieux poncifs… (3/3)
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