Ariane de Rothschild, une femme passionnée
Partout dans le monde, lorsqu’un enfant réclame à ses parents un jouet coûteux, il s’entend répondre : « On n’est pas riche comme Rothschild ! » A l’exception peut-être des Rockfeller, aucune famille n’est devenue ainsi synonyme de richesse dans la mémoire collective. A vrai dire, les Rothschild sont plus qu’une une famille. Ils incarnent une institution qui s’est maintenue à la pointe de la banque et de la philanthropie depuis le milieu du 18ème siècle.
Ariane de Rothschild est très impliquée dans les activités du Groupe Edmond de Rothschild, dirigé par son mari, le baron Benjamin de Rothschild, fils de feu Edmond de Rothschild. Vice-présidente de la holding familiale, Ariane de Rothschild est une femme de finance chevronnée qui connaît parfaitement le monde de la banque. Elle est membre du conseil d’administration des banques privées Compagnie Financière Edmond de Rothschild en France et Banque Privée Edmond de Rothschild en Suisse, mais est également en charge de plusieurs fondations ainsi que de nombreuses autres activités.
A qui s’interroge sur un tel nombre de responsabilités, la baronne répond tranquillement : « Une de nos plus grandes forces est notre diversité. Nos activités vont de la fabrication du fromage de Brie au conseil des gouvernements sur les questions financières. »
Cette diversité a aidé la famille à résister pendant la crise. « Les gens n’ont plus eu le sens de l’argent et tout le monde a commencé à parler en milliards de dollars, sans se rendre compte de ce à quoi correspond en fait un milliard. Mon beau-père, Edmond de Rothschild, avait l’habitude de dire qu’après un certain nombre de zéros, les gens ne savent plus ce que représente une somme, qu’ils ne conçoivent pas de combien il s’agit réellement. C’est pourquoi nous avons d’autres entreprises que des banques. Lorsque vous vous occupez d’une ferme ou d’une fondation, un million de dollars, c’est beaucoup d’argent. Cette diversité nous a aidés à rester enracinés dans le réel, et c’est un aspect important pour savoir qui nous sommes. »
Pour trouver les solutions de l’avenir, Ariane de Rothschild met l’accent sur les leçons du passé. « Pourquoi sommes-nous arrivés à cette crise ? Il s’agit d’une question importante. Si nous pouvons répondre à cela, nous allons également avoir de meilleures réponses pour demain », affirme-t-elle.
Ce qui mené à la crise actuelle, à ses dires, c’est le mépris du rapport fondamental risque-rendement. « Tout se concentrait uniquement sur le taux de rendement attendu par les investisseurs. Vous avez eu des milliers de personnes intervenant sur le marché de façon déraisonnable, qui s’attendaient à des rendements élevés, sans tenir compte des vraies conditions du marché », explique-elle. Une croissance artificielle est ainsi devenue la seule préoccupation. « Au lieu de penser en termes de préservation du capital, tout le monde prenait des positions agressives pour maximiser l’augmentation des gains. Nous, nous parlons à nos clients en termes de gestion des risques, et nous ne nous focalisons pas uniquement sur le rendement. L’une des idées les plus dangereuses qui ont mené à la crise fut cette notion du « too-big-to-fail » (trop gros pour perdre). A mon sens, c’est inacceptable, dans la mesure où cela détruit le sens même du capitalisme, qui est l’entrepreneuriat. »
Comme des géants apparemment infaillibles se sont effondrés, certains se demandent si le capitalisme est encore un système viable. Pas Ariane de Rothschild. « Le capitalisme repose sur la propriété et à ce titre, vous rend responsable », dit-elle. Mais si Ariane de Rothschild n’a pas perdu sa foi dans le capitalisme, elle ne croit pas que tout repartira comme avant. « À mon avis, la plupart des business models ont été remis en question. La bourse va peut-être rebondir, mais je m’interroge sur ce redécollage. Comme beaucoup de gens, mon mari et moi nous demandons combien de temps cela va durer, et si même il est possible que cela dure. Pour l’avenir, nous ne cherchons pas seulement de nouveaux modèles économiques, mais nous voulons aussi revenir à ce qui fait la réussite de notre famille, la sagesse des affaires. »
L’histoire de Rothschild met en évidence certaines particularités de famille. « Nous sommes une entreprise familiale, et, comme telle, nous nous projetons loin dans le temps. Nous ne nous intéressons pas aux bénéfices de l’année prochaine, nous pensons plutôt en termes de ce que nous serons en mesure de léguer à nos enfants. Cela ne signifie pas que nous négligeons complètement le court terme, nous en sommes aussi responsables à l’égard de ceux qui travaillent pour nous », souligne Ariane de Rothschild. « Pourtant, par-dessus tout, ce qui importe vraiment, ce sont les trente à quarante ans à venir. Peu d’entreprises pensent aussi loin. »
La devise de la famille - "Concordia, Integritas, Industria" - est le fil conducteur des Rothschild. « Lorsque l’on examine dans ce qui a fait notre famille, on revient toujours à cette phrase. C’est l’essence de ce que nous défendons, » affirme fièrement la baronne. « Bien qu’elle ait deux cent cinquante ans, cette devise est néanmoins moderne. À première vue, cette devise peut sembler assez simple, mais ce n’est pas le cas. Un sens très particulier est attaché à de chaque mot. " Concordia ", pour commencer, n’est pas seulement l’unité. C’est l’unité dans la différence. La question est : « Comment voulez-vous préserver les différences locales, mais créer une unité mondiale ? » Vers la fin du 18e siècle, Mayer Amschel Rothschild a impliqué ses cinq fils dans l’entreprise familiale en tant qu’associés. Un de ses fils est resté à Francfort, tandis que ses frères ont créé des établissements à Londres, Paris, Vienne et Naples. Ainsi, depuis le début, " Concordia " a toujours eu une connotation particulière qui met l’accent sur l’unité dans la différence. »
« En raison de la crise, poursuit Ariane de Rothschild, nous avons vu réévaluée la conception de l’éthique. Cette éthique qu’auparavant, seules quelques -uns rappelaient, est maintenant présente à tous les esprits. L’éthique est pour nous une question essentielle d’équilibre et c’est ainsi que nous concevons "Integritas". Vous devez avoir un comportement éthique envers autrui, envers la terre sur laquelle vous vivez, et envers les autres cultures. Mais on ne peut pas être dogmatique sur cette question de l’éthique. Quand on vit dans des pays différents, on réalise surtout l’importance de s’adapter et de trouver un équilibre. »
Industria, le troisième élément de la devise, va également au-delà de la définition triviale. « " Industria " signifie non seulement travailler, mais travailler avec créativité. Vous devez vous réinventer pour garder la main. Notre tradition est ancrée dans l’innovation depuis plus de deux siècles et bien des générations. »
Certains diront qu’un banquier philanthrope est une contradiction dans les termes. Mais Ariane de Rothschild ne correspond pas à ce cliché. « Nous avons le bonheur d’avoir hérité d’une tradition philanthropique unique qui repose sur un engagement absolu à la solidarité, à la responsabilité sociale et à l’avancement des connaissances. C’est notre devoir de préserver à notre tour cet héritage. »
Selon la baronne, le devoir est presque devenu un mot démodé au cours des 20 dernières années. Il est perçu comme étant une obligation de l’extérieur. « Pour ma part, je crois que c’est le contraire qui est vrai, et j’élève mes enfants à avoir le sens du devoir. Vous ne pouvez pas avoir de privilèges sans rien donner en retour. Cette obligation va bien au-delà du fait de signer des chèques, elle est aussi d’aider à trouver de nouvelles solutions. Nous aimons rapprocher le rendement de nos activités bancaires au retour sur nos investissements philanthropiques. Les gens que nous soutenons, les projets dans lesquels nous investissons, manifestent ensemble notre confiance dans le potentiel humain, notre volonté de partager, et notre recherche d’excellence. »
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