Arnaud Montebourg, ou les ambiguïtés de « l’impétrant »
Ira-t-il ? Ou…Ira-t-il ?
Officiellement, Arnaud Montebourg réfléchit encore à sa candidature à la présidentielle de 2022. Selon ses amis, l’annonce définitive devrait survenir imminemment sous peu, avec le printemps.
On voit toutefois mal pour quelle raison l’impétueux « impétrant » (selon le terme qu’il affectionne), 3e homme malheureux des primaires de la gauche en 2017 et 2012, ferait de nouveau une croix sur son destin national.
Coïncidence, ce retour annoncé suit de près la publication, en novembre 2020, de L’Engagement, « récit intime et édifiant » de ses 2 années passées dans la lumière de la présidence Hollande, entre le célèbre discours du Bourget du 22 janvier 2012, et son départ du Ministère de l’Économie, le 24 août 2014.
Dans cette chronique d’une rupture inéluctable, le lecteur croise des Mohicans et des hussards, « l’esprit de la marinière » et l’esprit de pantouflage des « énarques bercyens », « Frwançoois » et Barack, Alstom et la vilenie états-unienne, Colbert et le redressement productif, les tandems interchangeables Hollande-Ayrault puis Hollande-Valls. Bien évidemment, on y revisite de l’intérieur la trahison fondatrice du hollandisme, le refus de la nationalisation temporaire des hauts-fourneaux de Florange, le 1er décembre 2012, en dépit de « la promesse de la camionnette » du 24 février de la même année.
Récit personnel, mais aussi livre-programme plutôt convainquant, lorsque Montebourg se propose de revisiter « la leçon de Colbert » et de Keynes en réalisant « l’Union Sacrée » pour la défense de l’appareil productif national, une économie qui resterait d’essence libérale et capitaliste, mais où l’État n’hésiterait plus à intervenir, protéger, soutenir l’action privée :
« pas la substitution de l’État à l’économie, dans je ne sais quelle économie administrée [mais] l’art d’édicter des règles » (p 64). « L’État ne pouvait pas réussir seul, et le privé pas davantage » (p 229).
« Des idées finalement pas très neuves » dans l’Histoire (p132), mais qu’on ne laisserait pas (pour une fois !) à l’état de « mots prétextes pour se hisser sur le pavois » (p 369), d’incantations creuses pour campagne électorale, oubliées dès l’élection acquise : déjà pas si mal.
Le made in France serait aussi un puissant facteur d’union nationale, « un modérateur des tensions qui traversent la société française », une « force unificatrice capable de rassembler l’ouvrier syndicaliste de la CGT […], le petit patron sous-traitant […], l’écolo militant […], et le patriote exacerbé [...] » (p 228).
On ne peut que le suivre en convenant que, n’ayant pas grand-chose à perdre, il vaut toujours mieux essayer, même si la réussite n’est jamais certaine, que de rester les bras croisés et ne rien faire.
Qui donc pourrait s’opposer à la sauvegarde d’une industrie nationale dévastée, sinon des bureaucrates obtus, des politiciens planqués ou couards (ou les deux à la fois), des journalistes stipendiés, des promoteurs sectaires de « la start up nation » (suivez mon regard !), des banquiers d’affaires défenseurs des intérêts de « la fabrique de l’argent » (re-suivez mon regard !) ?
Oui, on se le demande bien…
Mais pourquoi, alors, une fois le livre refermé, cette impression d’avoir été à demi charmé par une plaidoirie de prétoire, où l’avocat escamote ou déforme la part de réalité qui ne va pas dans le sens de ses conclusions ?
Est-ce l’ancienne profession de l’ancien Ministre ? Les quelques génuflexions devant le covid (p260), épidémie qui démontre tout (et son contraire) ? Les railleries envers son « honorable successeur » à Bercy, « Julien Doré de la politique » (p200 à 207), « transformiste », « chanteur de variétés » ? Les quelques attaques nominatives contre certains de ses anciens collaborateurs d’énarques ? Pas vraiment.
Pas question non plus d’incriminer ce qui était absent du livre (ce n’était pas un programme de politique générale), il s’agit bien de ce qui était dedans.
Alors quoi ?
Le grain de sable, qui finit par sauter aux yeux, page après page. Il s'appelle Austérité.
Tout d’abord, celle de l’exécutif Hollande-Ayrault, qui est qualifiée, avec insistance, d’apocalypse sur Terre :
« une ponction digne des Diafoirus et des médecins de Molière » (p337).
« Ponction énorme et jamais réalisée depuis des décennies » (p350).
« politique radicale d’austérité » (p340).
« des mesures aussi dangereuses qu’inhumaines » (p 341).
« une période inimaginable d’austérité par les mesures les plus dures que la France avait connue depuis longtemps » (p 335).
On parle bien ici de la France, non pas de la Grèce mise sous tutelle et ravagée socialement.
Avantage du récit littéraire et intime, rien n’est chiffré, rien n’est démontré. Tout juste est-il précisé que « nos indicateurs précis à Bercy » démontraient « graphiques de l’INSEE à l’appui, que les ménages avaient perdu 1000 euros de pouvoir d’achat en deux ans » (p350). On veut bien le croire, mais quels impôts précisément François Hollande a-t-il fait exploser ?
Ce tableau noir flirte même avec le ridicule lorsqu’on lit, p344, que les résultats des mesures fiscales décidées à l’été 2012 « se faisaient sentir dès le début de l’année 2013 ». Diantre. Si vite ?
J’ai surtout vu le hollandisme fiscal comme un immobilisme parmi d’autres, en dépit des promesses de grande réforme (encore une trahison fondatrice) :
Le CICE et la hausse de la TVA (de 19,6 à 20%), soit le contraire d’une réforme : après avoir hurlé contre le projet de « TVA sociale » repris par le sarkozysme finissant, on faisait pareil, en atténué.
Aussi des baisses de charges accordées après des protestations agricoles en 2015, l’abandon de la taxe poids lourds après la révolte de la Bretagne. Mais ces mouvements sociaux n’étaient pas le fait de particuliers écrasés d’impôts, ils venaient du monde des indépendants et de la petite entreprise plutôt à droite, et, comme toujours, « écrasé de charges ».
C’est surtout du côté de son successeur Macron qu’on a vu une politique déflationniste et austéritaire assumée envers les particuliers1 s’appuyant à l’occasion sur une écologie brutale et égoïste.2 L’embrasement des gilets jaunes en novembre 2018, puis l’épidémie de Covid au printemps 2020 ont quelque peut contrarié ce mouvement.
On a presque l’impression étrange de lire avec Montebourg une critique du quinquennat Macron, mais adressée au quinquennat Hollande.
Effectivement, « payer ses dettes n’a jamais constitué un projet de société » et les dogmes budgétaires européens, abandonnés à cause du Covid, « ne servent à rien » (p380). Mais la proposition s’inverse aisément.
L’endettement peut être bénéfique s’il finance l’investissement. Mais, même s’il n’y a pas « le feu à l’hacienda », faire des dettes pour payer ses dépenses courantes (comme c’est beaucoup le cas en France) ne fait pas non plus un projet de société.
Encore le pire est à venir. La politique de « relance » voulue par Montebourg, dont le refus par l’exécutif justifie sa démission, est précisément décrite comme « la redistribution de 15 milliards d’euros aux ménages » (p370)
Sauf qu’il est pour le moins curieux qu’un ancien ministre du redressement industriel feigne d’ignorer qu’une telle politique, menée seule, ne profite pas tant que cela à l’économie nationale….si celle-ci a du mal de répondre à la demande. Plus précisément, c’est ce qui a été fait avec Mitterrand en 1981, mal fait sans doute, puis abandonné en 1983. Peut-on vraiment croire que 30 ans plus tard, avec une industrie dévastée, des importations déjà massives, les conséquences auraient été différentes ?
Mêmes confusion et omissions surprenantes lorsque Montebourg reprend bizarrement à son compte l’autosatisfaction d’Obama en 2014 sur l’économie américaine, pour accabler Hollande : « pour s’extirper de cette récession qui s’incrustait, l’Amérique avait été aussi brillante que l’Europe pitoyable. En 3 ans, les USA avaient retrouvé leurs ressorts économiques en acier trempé […] Ils avaient utilisé la FED pour faire des chèques au Trésor public et augmenter leur déficit. La planche à billets avait fonctionné à plein » (p187).
On a certes bien le droit de rappeler à Hollande une autre de ses trahisons fondatrices (encore une), lorsqu’il a renoncé, vraisemblablement sans même avoir essayé, en juin 2012, à sa promesse de « renégocier les Traités européens », et d’imposer un objectif de croissance, en sus du « pacte de stabilité ».
Mais feindre d’ignorer que la France a délégué sa monnaie à une banque centrale indépendante.
Qu’elle n’est pas libre, seule, de « faire jouer sa planche à billets ».
Que l’Europe ne possède pas, de toutes façons, la seule monnaie d’échange internationale, appuyée sur la puissance politique et militaire américaine.
C’est tout de même gênant.
Si les USA d’Obama considéraient que leur mission messianique était de soutenir la croissance mondiale en subventionnant indirectement l’industrie de la Chine, tant mieux pour eux. On a le droit de ne pas vouloir faire pareil quand on n’est pas les USA. D’ailleurs son successeur s’y est bruyamment refusé.
On reste donc un peu sceptique sur les intentions réelles de l’auteur du livre.
S’agit-il bien de calmer les divisions de la société, d’assumer (enfin) une politique économique pouvant faire quasi consensus ?
Ou de réanimer, hystérie anti Macron aidant, les vieilles lunes du programme de l’aile gauche du parti socialiste de 1996, qui n’ont jamais vraiment été appliquées quand c’eût été possible, et n’ont plus la moindre chance de l’être 25 ans après, avec une France de plus en plus enserrée dans des institutions européennes où chaque décision importante est le fruit d’un laborieux consensus et de discussions interminables ?
Il est certain qu’avec la crise du Covid et les montagnes d'emprunts contractés pour assumer le confinement et faire passer le ralentissement de l’économie, le prochain débat sera, de nouveau, celui de la dette. On comprend que, selon Montebourg, elle devra être oubliée, comme les 3 % de déficit admissible, « par magie ».
Trop simple, trop démago ?
Ou alors, plus simplement, un programme juste esquissé qui demande à être précisé ?
Vraisemblablement, on ne tardera guère à le savoir.
À suivre !
1 Baisse des APL, baisse des aides à la rénovation énergétique, fin des contrats aidés, hausse de la CSG, hausse des taxes sur les carburants, réforme des retraites, réforme de l’assurance chômage.
2Le nom de Ministère de la « Transition écologique et solidaire » étant surtout l’antithèse de la pratique du gouvernement, qui rejoint les pires délires de l’écologie punitive
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