Astérix contre le camp retranché de Droidlum
Lu dans le « Figaro » du 31 mai 2007 : « Astérix, ambassadeur contesté de la cause des enfants ? Le célèbre Gaulois serait justement jugé un peu trop... gaulois pour défendre leurs droits. La Défenseure [sic] des enfants, Mme Dominique Versini, l’a pourtant choisi en avril pour promouvoir la convention des Nations unies sur ce thème. Au premier rang des mécontents, Jean-Pierre Rosenczveig, président de la section française de défense des enfants internationale (DEI). Pour lui, « Astérix ne représente pas suffisamment la société française telle qu’elle est aujourd’hui ». Dans un communiqué, son association dénonce même le symbole d’un « bras séculier... Résistant aux envahisseurs » mal choisi pour défendre une France « aspirant à une coexistence pacifique des diversités qui la composent ». [1] »
Pour information, Jean-Pierre Rosenczveig est président du tribunal pour enfants de Bobigny.
Sur son blog [2], il précise sa pensée plus en détail. Nous avons relevé cinq points en particulier. Cinq points absolument terrifiants qui nous en apprennent beaucoup sitôt qu’on se penche dessus.
1- "Malheureusement, dans la forme comme sur le fond, cet "Album des droits de l’enfant" proposé par la Défenseure suscite de nombreuses et graves interrogations. Ainsi, la promotion des droits de l’enfant qui y est faite en donne une vision "gauloise" qui ignore la réalité interculturelle de la société française et le caractère universel de ces droits."
Jean-Pierre Rosenczveig reproche aux mascottes de l’Album de n’être pas assez racialement conformes à ses canons, d’être un peu trop blanches, un peu trop franco-françaises, pas assez Benettonesques en somme.
Chose curieuse, Jean-Pierre Rosenczveig n’envisage une pertinence de l’"universalité" qu’en terme de "représentativité" [multi]raciale... Il oublie que cette fameuse "universalité" des droits de l’homme qu’on nous vend depuis la Révolution est une idée typiquement française, et proclamée unilatéralement au monde entier depuis plus de deux siècles. C’est ainsi que l’Occident passe son temps à tancer les pays du tiers-monde et leur faire la morale à la moindre occasion.
Il est gonflé de trouver à l’album un manque d’intérêt envers ce qui n’est pas franco-français : dans le scénario, Uderzo nous dépeint l’accueil réservé au fils de Soupalognon y Crouton, chef d’un village ibère. Ce n’est pas seulement de Droits de l’enfant qu’il s’agit, mais clairement de droit de l’enfant immigré !
Il est gonflé de reprocher à l’univers d’Astérix de manquer de diversité™ : Astérix passe ses aventures à rencontrer la diversité culturelle™, que ce soit en Helvétie, chez les Bretons, chez les Belges, en Hispanie, en "Amérique", chez les Égyptiens, ou même à travers les multiples facettes du pays lorsqu’il fait le tour de Gaule. En ce sens, je ne décèle pas de trace de crime par la pensée chez notre brave héros moustachu. Le NKVD lui fait un étrange procès. Mais c’est le propre du NKVD que de traquer la pensée déviante, après tout. Même là où elle ne se trouve pas.
Couverture de l’Album : les Droits de l’enfant sont en réalité un prétexte pour parler de l’accueil de l’Étranger. Le glissement de sens est pour le moins étonnant. Mais qu’est-ce qui est encore étonnant en l’an 2000 ?
Illustration de l’Album : l’accueil de l’enfant [en réalité de l’étranger] au village gaulois. Je pense qu’on peut faire pire en matière de racisme. Cela dit, j’en vois une qui sourit moins que les autres, là-bas au fond, c’est louche.
2- "[La promotion des droits de l’enfant qui est faite dans l’Album] ignore tous les aspects sociaux et collectifs de la vie des enfants à l’exception de la scolarisation dans une école dont le maître mot semble être "en rang et silence je vous prie"."
Jean-Pierre Rosenczveig reproche à l’Album des droits de l’enfant de ne pas prendre en compte "tous les aspects sociaux et éducatifs de la vie des enfants", hormis la vie scolaire. Allons bon, il faut savoir de quoi nous parlons : il s’agit d’un ouvrage de vulgarisation juridique à usage des enfants et des parents. S’il doit s’agir idéalement d’un code complet de conduite sociale, autant en venir au fait et nous vendre le Petit Livre Rouge, ou le règlement de discipline des Témoins de Jéhovah. Selon toute bonne logique, le sujet de l’ouvrage se rapporte aux responsabilités des enfants et des parents, rien de plus. À moins de vouloir nous vendre une autre soupe.
Jean-Pierre Rosenczveig reproche encore à l’école de n’être associée qu’à une discipline [ultra-fascisante, je présume], à savoir "en rang et en silence je vous prie"... Chacun sait que la meilleure façon de transmettre du savoir aux enfants est de pratiquer le désordre, d’indiscipline et le chahut. M. Rosenczveig n’est pas encore revenu des idéologies pédagogistes progressistes où les enfants sont libres d’autoconstruire leur savoir en compagnie d’un adulte qui n’en sait pas plus qu’eux puisque toute verticalité est fasciste, toute transmission est un viol de la personnalité, toute culture est un abominable crime d’ethnocentrisme. Relativisons tout, et faisons confiance aux enfants pour devenir intelligents et cultivés par la seule opération du Saint Esprit. Oups : de l’Être suprême. D’ailleurs, le succès des méthodes progressistes dans l’Éduc’ nat’ n’est plus à prouver : 80% des élèves ont le Baccalauréat. CQFD. C’est imparable. Bon, le pourcentage des élèves qui savent lire et écrire n’a pas encore été publié, mais ça ne saurait tarder.
[souvenez-vous : "Le respect, ça change l’école"], de Ah, mais c’est que j’oublais ceci : l’école n’est pas un lieu de discipline et d’enseignement, c’est un lieu d’ouverture d’esprit, de tolérance, de respect des cultures solidaires métissées et d’éveil à la conscience citoyenne. Où avais-je la tête ? J’ai besoin d’un petit stage de rééducation, moi. Je crois encore que l’école sert à apprendre à lire, écrire, compter et apprendre les fondements culturels de la nation. Je me fourvoie.
3. "L’enfant y est présenté exclusivement comme un être en devenir qui n’aurait d’existence que par son futur état d’adulte et non comme un être humain titulaire des mêmes droits que les adultes (même s’il ne peut pour des raison de protection les exercer tous librement) et digne de participer aux décisions le concernant dès son plus jeune âge."
Encore une couche de relativisme et d’indistinction générale : surtout ne différencions pas les enfants des adultes, ce serait de la discrimination. Non seulement ils n’ont pas besoin de discipline pour grandir en culture et en savoir-vivre [il suffit juste de les arroser de temps en temps et de les exposer au soleil], mais ils sont, dès leur plus jeune âge, capables de savoir ce qui est bon pour eux, ce qui est légitime pour eux, ce qu’il est raisonnable de faire pour le bien de la Cité et la sécurité de tous. C’est-à-dire qu’un enfant, dans le monde idéal de Jean-Pierre Rosenczveig , est un individu politisé. Un individu qu’on peut donc légitimement imprégner de discours partisans, puisqu’il est assez grand pour se construire du sens critique. En compagnie d’Astérix, nul doute que son sens de la citoyenneté sera touché, qu’il prendra conscience de la nécessité du vivre ensemble multiculturel, et qu’il saura mieux expliquer à ses parents tout le bien que l’État est disposé à faire pour eux, pourvu de choisir le camp du bien et du progrès.
Surtout, n’appelez pas cela du totalitarisme, car le totalitarisme, c’est le fait d’associer de force les citoyens aux moindres faits et gestes de toute la cité. Et vous voyez bien que cela n’a rien à voir.
4- "La défiance à l’égard de l’Union européenne y affleure même : aucun lien avec le métissage a minima au sein de l’Union à 27 États. L’expérience diversifiée des collectivités locales n’a pas inspiré le scénario proposé et en cela est une régression centralisatrice et un appauvrissement du capital d’expériences locales connues."
Suivez bien le regard de Jean-Pierre Rosenczveig : parce que le métissage n’apparaît pas en filigrane, parce qu’aucun chant n’est fait à la gloire d’une Union populaire européenne aux peuples brassés, le message de l’album est suspecté d’être déviant par rapport à la doctrine. Il ne cristallise pas assez d’idées-phares du camp des progressistes, c’est fort dommage. C’est même pire que dommage, c’est une "régression" ! Un "apauvrissement" ! Disons-le tout net : ça pue la réaction et le fascisme, ça n’a pas l’air d’adhérer franchement au message du progrès, ça ne sourit pas assez devant le défilé du Parti, ce qui est la marque d’un esprit dévoyé, retors, pervers, passéiste, vieille France, bref, dangereux. Jack Lang lui-même qualifiait les ennemis de sa cause progressiste de "ratatinés" et de "rabougris", c’est dire la pertinence de l’argument et la certitude d’être dans le bon chemin... [4]
Bon, et puis il faudrait savoir : Jean-Pierre Rosenczveig est-il pour la diversité ou pour le métissage ??? La diversité, c’est cultiver et préserver les spécificités locales ; alors que le métissage, à l’inverse, c’est la fusion des diversités dans l’uniformité du mélange. Nous aimerions savoir comment Jean-Pierre Rosenczveig compte s’en sortir entre ces deux options diamétralement opposées et non miscibles l’une dans l’autre... Dans les deux cas, c’est clairement une politique de préférence raciale qu’il faut mettre en œuvre. Est-ce éthiquement acceptable ? À cœur vaillant rien d’impossible, et un certain Claude Bébéar n’a pas eu peur de lancer une grande campagne de racisme au sein de l’entreprise Axa, par exemple : à compétence égale, voire inférieure, on préfèrera les services d’une "personne-de-couleur". C’est-à-dire que si vous êtes un peu trop blanc [ou un peu trop noir si la majorité de vos collègues est déjà composée de Noirs], peu importent vos capacités, vous pourrez vous retrouver à la porte de la boîte au profit d’un semi-incapable au nom de l’homogénéité génétique de l’entreprise. Applaudissez, c’est la réponse des Modernes au traumatisme de l’horreur nazie. [5]
5- "Dans le scénario proposé, l’intervention de l’aïeul comme d’Obélisque [sic] et d’Astérix, interdit "la bagarre" et ramène les enfants en leurs foyers respectifs. Il n’y a pas d’espace social et public pour l’enfant. Pas de bande d’enfants trublions et questionneurs, pas de place pour une émancipation responsable. La formation à l’exercice de la citoyenneté n’y est pas esquissée."
Autre point qui chagrine notre ami Jean-Pierre Rosenczveig : la répression appliquée aux enfants. Je vous rappelle que Jean-Pierre Rosenczveig travaille au tribunal pour enfants de Bobigny, et qu’à ce titre il est très bien placé pour nous causer de la question au sujet de laquelle on parle.
Dans l’album, en tant qu’adulte et doyen du village, Agecanonix se permet de corriger vertement une bande de garnements qui se bagarraient entre eux, et M. Rosenczveig trouve à y redire. Hé oui : la bagarre est le fait d’individus libres et responsables ! Qui ont pleinement assumé le choix citoyen de se taper dessus, en tout bien tout honneur ! Et d’ailleurs, la bagarre n’est-elle pas - à l’instar des tags sur les murs - une mêêrveilleuse expression de la culture de la jeunesse ?
Et où sont-ils, ces enfants qui viennent interroger spontanément les grandes personnes sur la portée éthique et sociologique des fables de La Fontaine, le devenir cosmogonique des philosophies antiques et les respect des droits de l’homme dans les cages d’escalier des cités ? Ces enfants curieux et cultivés par eux-mêmes que tout le monde côtoie dans la rue ? Mais pourquoi stigmatiser une amicale bagarre ? Pourquoi condamner les comportements violents ? Pourquoi réprouver l’expressivité juvénile avec des mots extrêmement racistes ["barbares !"] plutôt que de communiquer des opinions pour vivre nos différences avec sympathie ? Jean-Pierre Rosenczveig travaille au tribunal de Bobigny, vous pouvez lui faire confiance : s’il dit que c’est mal de condamner la violence, alors il ne faut pas condamner la violence. Et puis les enfants sont des êtres qui ont énormément de choses à nous apprendre. Ne discriminons pas les jeunes.
Donnons aux jeunes de l’espace social ! Donnons-leur le droit de participer pleinement à la vie de la cité, nom d’une pipe ! Ils ont plein de programmes intelligents pour résoudre le problème du chômage, la crise de la fraise Haribo, et l’épineuse carrière du groupe Kyo. Et puis surtout le problème de la tolérance citoyenne, couplée avec le droit des gens à être gentils avec les autres. Y compris au cœur d’un happening social interactif que l’on nomme "bagarre".
Bref, vous l’aurez compris, pour Jean-Pierre Rosenczveig, la société idéale est remplie d’oiseaux qui font cui-cui, est horizontalisée le plus possible, cultive l’indifférenciation généralisée, hait profondément la liberté au profit de l’égalitarisme mou, hait l’intelligence au profit du sentimentalisme, préfère l’homogénéité utopique à la dynamique des différenciations réelles, déteste tout ce qui est un peu trop français, s’agenouille devant l’enfant-roi, rêve d’impliquer tout le monde dans les rouages du système politique, et pratique la suspicion envers quiconque résiste à ses objectifs.
On veut votre bien ; ne commettez pas l’erreur de vous y soustraire, on saura vous traiter en conséquence.
[1] Source >>>
[2] Source >>>
[3] Lire l’Album >>>
[4] Voir ma note du 9 mai 2006 >>>. Quelle étrange proximité intellectuelle... Jean-Pierre Rosenczveig et Jack Lang fréquenteraient-ils les mêmes sous-sols humanistes à damiers ?
[5] Voir ma note du 3 juillet 2006 >>>. Lui, pour le coup, on est sûr qu’il fréquente les sous-sols humanistes à damiers, puisqu’il ne s’en cache pas.
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