Ateliers d’écriture : peut-on apprendre à écrire ?
Naît-on écrivain par la grâce de Dieu ? Cette rengaine a beau dater, elle n'en demeure pas moins vive dans les esprits crédules, où elle persiste - en France plus qu'ailleurs - avec la vigueur d'une vielle superstition. Il n'échappe pourtant à personne que nul ne vient au monde plume en main, pipe au bec, la cervelle bardée de tournures chics et d'intrigues chocs. Écrire est un art qui, à l'instar de la musique, suppose de la technique. Alors foin d'atermoiements, allons au fait : comment « pimp »-t-on sa plume ?
Jusqu'au siècle dernier, l'enseignement dispensé par l'école républicaine – naguère plus respectée – conjugué à de nombreuses lectures – alors divertissement sans rival - constituaient l'ossature classique d'une écriture, d'un style, d'un sens du récit. C'est dans ce contexte grisonnant que les Etats-Unis, pris d'une de leurs fameuses pulsions de pragmatisme, ajoutèrent leur pierre à l'édifice : les ateliers d'écritures (writing workshops) se proposaient de prêter main forte à ceux qui manquaient de confiance, d'inspiration, en un mot de savoir-faire littéraire. Par le fait, le succès de ces établissements ne s'est jamais démenti outre-atlantique ; des écrivains de renom, tels Philippe Roth ou Kazuo Ishiguro, ont bénéficié de leurs enseignements.
En France, pays où l'élitisme bride souvent la création, le procédé dérangea d'entrée. Et pourquoi donc ? L'artiste y aurait-il ceci de commun avec Dieu qu'il serait cause de lui-même, voguerait dans d'inatteignables nuées et commettrait chef-d’œuvre sur chef-d’œuvre avec la désinvolture d'un Orphée ? Nieztche dénonça cette fable : « D’où vient donc cette croyance qu’il n’y a de génie que chez l’artiste, l’orateur et le philosophe ? Qu’eux seuls ont une « intuition » ? (…) tout ce qui est fini, parfait, excite l’étonnement, tout ce qui est en train de se faire est déprécié. Or personne ne peut voir dans l’œuvre de l’artiste comment elle s’est faite ; c’est son avantage, car partout où l’on peut assister à la formation, on est un peu refroidi. »
Tout est dit : si les écrivains français sont si rétifs à leur évocation, c'est que l'existence de tels ateliers révèle le côté artisanal, humain, et construit de leur « génie ». D'aucuns récusent même la qualité d' « écrivain » à ces « usurpateurs », en ce qu'ils seraient irrémédiablement marqués par les techniques prodiguées, aux dépens de leur propre personnalité littéraire. C'est oublier que les élèves n'aiment rien tant qu'à s'affranchir des maîtres. Que le mimétisme ne dure qu'autant qu'il y a quelque chose à mimer. Quand à la présence d'un professeur, jugée contradictoire à la démarche littéraire, elle n'a jamais fait débat en matière de sculpture, notamment dans les ateliers de la Renaissance ; en outre, ne sont-ce pas deux choses équivalentes que de suivre les cours d'un écrivain et de subir l'influence de ses lectures ?
Après un siècle de tergiversations, la France finit tout de même par lâcher de son leste dogmatique ; elle se range peu à peu à l'idée que l'écriture ne perd rien à ajouter un troisième pilier à son apprentissage. Et si la lecture demeure la condition sine qua non de toute création littéraire, on ne saurait négliger cet apport tout à la fois technique et psychologique que représentent les ateliers d'écriture. Pourvu, toutefois, que leur coût ne brave pas le sens commun, ainsi qu'il semble en être le cas chez Gallimard, où huit modestes séances vous seront monnayées à hauteur de 1500 euros. Soit l'achat de trois-cent livres de poche...
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